Interventions

Discussions générales

Déclaration du gouvernement sur la stratégie de défense nationale

Depuis le début, il y a quatre ans, de la guerre d’agression territoriale menée contre l’Ukraine par la Russie autoritaire et corrompue de Vladimir Poutine, nous restons les témoins d’échanges de coin de table visant à savoir si Kiev sera le garde-manger de Washington ou de Moscou. Nous pourrions débattre de notre enfermement dans une logique de blocs aux dépens d’un engagement renouvelé en faveur de la paix, passant par le dialogue avec les Brics+ et les pays du Sud global.
Nous pourrions débattre de notre incapacité à voir plus loin que la géographie de l’Union européenne alors que, comme l’avait ébauché en pleine guerre froide l’acte final de la conférence d’Helsinki, l’espace de sécurité collective paneuropéen court de Brest à Vladivostok, impliquant la zone méditerranéenne. À ce propos, je constate amèrement que le représentant du Quai d’Orsay n’est pas là. Nous pourrions débattre de la reconstruction d’une base industrielle de défense pilotée par la nation, au service de la défense du pays et non sous l’emprise des intérêts capitalistes (M. Aurélien Saintoul applaudit) –⁠ je parle de cette industrie de défense vendue à la découpe aux intérêts privés, souvent américains d’ailleurs.

Au lieu de cela, c’est le prix de nos renoncements qui figure à l’ordre du jour. Après les tentatives de tambouille du compromis à l’eau tiède, nous voilà au stade ultime de l’union sacrée, au nom du surarmement, « pour protéger ce que nous sommes » –⁠ je cite le chef d’état-major des armées. En clair, il s’agit de défendre un capitalisme national et européen arrimé à l’impérialisme américain, lequel se soucie aussi peu des travailleurs français que des jeunes Ukrainiens déjà broyés par une guerre qui sert les logiques de puissance et les intérêts d’oligarchies prédatrices. En bon dresseur, Donald Trump exige une augmentation colossale –⁠ jusqu’à 5 % du PIB d’ici à 2035 – des dépenses militaires des pays membres de l’Otan, et nous acquiesçons.

Il multiplie par neuf les droits de douane auxquels sont soumis les membres de l’Union européenne, afin d’aligner mieux encore les États européens derrière les entreprises belliqueuses de l’impérialisme étasunien, et Mme von der Leyen appelle ça un accord. Il verrouille l’organisation sclérosée de l’Otan au risque de l’engager dans des conflits mortifères, le tout sur fond de corruption massive, de pots-de-vin entre marchands d’armes, et nous ne trouvons rien de mieux que de répéter que ce qui nous importe est le renforcement de cette alliance.

Souvenons-nous de ce qu’aurait déclaré Henry Kissinger : il est dangereux d’être l’ennemi des États-Unis, fatal d’être leur allié. L’actualité éclaire ces mots d’un nouveau jour ; ce n’est plus de la vassalisation, c’est de l’humiliation ! Alors, pour rendre plus digeste, si j’ose dire, la cacophonie belliciste, les tournées de mobilisation des généraux européens exigeant l’alignement des peuples sur l’économie de guerre et appelant sans détour au sacrifice de nos enfants au nom de prétendues valeurs, on érige en principes de nouvelles lubies, par exemple, sous prétexte d’autonomie stratégique, l’Europe de la défense. Ils parlent d’Europe de la défense, et ils sautent comme des cabris ! (Sourires.)

Grâce au projet Rearm Europe auquel l’effort national concourt, d’un coup d’un seul, les milliards consacrés à l’effort de guerre pleuvent à l’échelle européenne : voilà une course à l’armement de 800 milliards sans recettes nouvelles, qui va saigner nos services publics au profit d’industriels de la défense vassalisés et qui plus est financiarisés. Ils nous promettent qu’en Ukraine, la paix est au bout des canons.

Ce n’est pas ainsi que le peuple ukrainien obtiendra la paix et nous, peuple français, n’aurons que la guerre sociale, celle que l’on mène contre les travailleurs et les retraités. Comment des bureaucrates bien installés peuvent-ils justifier que les dépenses liées à la militarisation soient retirées des critères de Maastricht de rigueur budgétaire alors que tout ce qui sert nos services publics, tout ce qui tend finalement au bien commun, ne peut pas l’être ? Pas plus tard qu’il y a deux semaines, le Parlement européen a ouvert la porte, par l’adoption du programme européen pour l’industrie de défense, aux journées de travail de treize heures, au nom de la nécessaire mobilisation face à la menace existentielle proclamée. Ce que les libéraux n’ont pu obtenir du fait des luttes sociales, ils entendent l’imposer par la militarisation. Tout cela n’a rien à voir avec notre sécurité collective.

Mais alors, de quoi parlons-nous ? Chez nous, en France, vous scandiez il y a encore quelques semaines que, sans adoption de votre budget, un des plus austéritaires de la Ve République, notre défense serait mise à mal. Il suffit d’ailleurs de comparer nos discussions d’hier à celles d’aujourd’hui pour comprendre que cette surmarche à l’armement peut se résumer en un adage : « plus d’obus, moins de sécu ! » Vous usez de ce que des sociologues appellent à juste titre le keynésianisme de guerre pour rendre possible ce que le discours d’austérité décrète plus que jamais impossible. Il faudrait se départir de notre pacte social républicain, pour notre « liberté », car à en croire le secrétaire général de l’Otan, nous ne serons plus en sécurité « dans quatre ou cinq ans ». Si nous ne le faisions pas, ajoute-t-il, nous devrions « prendre des cours de russe ou partir en Nouvelle-Zélande ». (Sourires sur les bancs du groupe GDR.)

Pendant que l’on agite le drapeau du renforcement de notre défense, assorti de promesses illusoires et surgonflées, on voit flamber le cours en Bourse des groupes de l’industrie militaire, à commencer par nos fleurons Dassault et Thales. Avant même cette explosion boursière, ce dernier groupe a versé, sur l’exercice 2024, 1 milliard à ses actionnaires. De l’autre côté, des semaines de grèves dans les entreprises des groupements de défense et d’aérospatiale français (M. Frédéric Maillot applaudit), une perte nette de 1 000 emplois et un rappel des retraités sur les affaires militaires, faute de formation des jeunes, mais rien pour les salaires, rien pour l’essentiel investissement dans l’outil industriel. Ce qui est en majorité notre argent, celui du contribuable et de la commande publique, part donc directement dans la poche des actionnaires.

Le capitalisme financiarisé est de toute évidence incompatible avec toute planification industrielle au bénéfice de notre autonomie stratégique. (Mme Elsa Faucillon, M. Stéphane Peu et M. Aurélien Saintoul applaudissent.) Derrière les grands mots d’« indépendance nationale » que vous avez brandis tout à l’heure, et pendant que vous louez les mérites de cet « effort de souveraineté », nos entreprises de défense, elles, sont bradées les unes après les autres. Qui peut encore faire confiance à ceux qui ont laissé Vencorex passer sous pavillon chinois ?

Ils l’ont fait au nom de notre autonomie, peut-être ? Qui peut encore faire confiance à ceux qui ont laissé Eolane, producteur de cartes électroniques, se faire démembrer ? Idem pour Atos, une fierté française qui se retrouve découpée, menacée et, pire encore, qui voit sa priorité grillée sur la commande du supercalculateur IA de nos armées, au profit de l’entreprise américaine HP. Certainement était-ce au nom de notre indépendance nationale ? Qui peut encore faire confiance à ceux qui laissent même filer l’acier, en refusant la nationalisation d’Arcelor (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), à ceux qui nous ont dépourvus de la maîtrise de transports stratégiques de marchandises en liquidant Fret SNCF ? Était-ce une fois de plus au nom de notre souveraineté ? Quelle hypocrisie !

Notre défense n’est pas nue : oui, nous pouvons faire mieux tant en matière de défense sol-air que dans le domaine des drones ou celui de l’espace. De beaux défis s’offrent à nous. Je pense en outre au projet Iris2 –⁠ infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite. Le système satellitaire de connectivité sécurisée est une nécessité si l’on ne veut pas revivre l’épisode humiliant survenu il y a un an, lorsque c’est le Starlink d’Elon Musk qui a rétabli les télécommunications du département français de Mayotte. Pour cela, nous avons besoin d’un savoir-faire et de compétences dont nous disposons déjà ! Encore faut-il y mettre la volonté d’une maîtrise publique. Les salariés de nos industries de défense, tout comme les femmes et hommes qui honorent nos armées, méritent mieux qu’une instrumentalisation façonnant bulles spéculatives et dividendes de guerre. Jaurès avait raison : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. »

La défense ne saurait servir d’instrument de domination ; elle doit être un outil au service de la paix, sous l’autorité du droit international et de l’ONU. C’est cette voie qu’il faut ouvrir, avec l’implication de puissances tierces, pour construire une nouvelle architecture de sécurité collective et sortir enfin de la logique des blocs. L’engrenage de guerre franchit une étape gravissime en assumant dans le verbe la perspective d’un conflit entre puissances nucléaires. Gare à ceux qui rêvent d’un nouvel Austerlitz, ils pourraient nous projeter dans un futur Waterloo !

Ce budget de 57 milliards, dont 14 milliards pour l’armement, inscrit nos pas dans une hypocrite servilité, décorrélée de toute perspective de paix. Ce n’est pas un simple ajustement budgétaire, c’est une faillite morale ! Non, nous n’acceptons pas la guerre comme horizon politique. Alors, s’il fallait encore le préciser, nous assumons notre opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. –⁠ M. Christophe Bex applaudit aussi.)

Imprimer cet article

Edouard
Benard

Député de Seine-Maritime (3ème  circonscription)
Contacter par E-mail Suivre sur Facebook Suivre sur Twitter

Sur le même sujet

Défense nationale

A la Une

Dernière vidéo de Edouard Benard

Thématiques :

Affaires européennes Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques