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« L’énergie n’est pas une marchandise mais un bien commun »

Engager un débat sur la politique énergétique de la France, figure imposée par la crise que nous traversons, c’est répondre à des questions majeures dans le cadre desquelles les politiques énergétiques jouent un rôle central : protéger le pouvoir d’achat de nos concitoyens ; assurer la souveraineté énergétique de la France, qui est indissociable de sa souveraineté industrielle ; être à la hauteur de l’urgence climatique.

Or ce débat s’ouvre dans un contexte géopolitique bouleversé par la guerre, dans lequel la France et l’Union européenne se retrouvent confrontées à une contradiction insurmontable : le dogme de la concurrence libre et non faussée auquel vous souscrivez, madame la Première ministre, ne permet pas la régulation. La concurrence libre et non faussée ne sécurise pas l’approvisionnement énergétique : elle affaiblit notre souveraineté et se révèle incapable de prendre soin de la planète. Nous considérons pour notre part, et j’y reviendrai, que l’énergie n’est pas une marchandise mais qu’elle est un bien de première nécessité, un bien commun. Cela implique que nos outils de production quels qu’ils soient – nucléaire, énergies renouvelables – échappent à la logique du marché.

Les fragilités que révèle la crise actuelle ne datent pas d’hier. Elle n’est pas sans rappeler le choc pétrolier de 1973, qui avait entraîné la multiplication par quatre du prix du pétrole brut et conduit le gouvernement Messmer, avec une forme de courage et de volontarisme politiques, à établir un véritable plan stratégique d’indépendance énergétique, puisant sa sève chez ceux qui dans le sang, les larmes et l’espoir de la Libération avaient créé EDF et GDF en 1946.

La hausse du prix du gaz naturel, et donc de l’électricité, ne date pas d’hier non plus. Ces prix sont, vous le savez, la conséquence du développement du marché de gros, rendu nécessaire par votre choix d’ouverture à la concurrence. Ainsi, dans le marché construit à l’échelle européenne avec des mix de production différents, les prix dépendent de la volatilité des énergies renouvelables et des prix du gaz fossile et de la tonne de C02. Je vous le dis tranquillement mais fermement : prétendre faire entendre la voix de la France alors qu’elle n’a plus le contrôle de ses tarifs d’électricité est une pure illusion ; elle est même une pure hypocrisie. De notre point de vue, il faudrait au contraire s’émanciper du dogme de la concurrence si l’on veut se donner les moyens de reprendre la main. L’actualité révèle d’une manière brutale et exacerbée les défaillances de notre politique énergétique, que nous dénonçons avec les représentants syndicaux des électriciens-gaziers depuis longtemps, et démontre sans effort les limites du tout marché.

Comme toujours, le discours était bien rodé : l’ouverture totale devait renforcer les droits des consommateurs et même favoriser l’innovation industrielle. Vous connaissez le résultat, qui est sans appel : les dispositifs déployés pour permettre aux nouveaux entrants de pénétrer le marché ont favorisé l’émergence d’acteurs devenus spécialistes de l’achat opportuniste au travers du mécanisme délétère de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), pratiquant le démarchage abusif, accumulant les pratiques commerciales trompeuses et siphonnant par la même occasion non seulement les finances d’EDF mais aussi ses savoir-faire et ses capacités d’investissement. Vous avez trop longtemps fermé les yeux sur cela. Vous avez dès le début renoncé à agir. Vous êtes, vous les libéraux, collectivement responsables de ce processus de déréglementation qui est à l’origine de l’explosion des prix et de la remise en cause de notre indépendance énergétique, à tel point que notre sécurité d’approvisionnement n’est plus certaine à la veille de l’hiver – ce qui est anxiogène pour l’économie réelle et les industries.

La commission d’enquête parlementaire lancée par le président Marleix et présidée par Raphaël Schellenberger permettra d’identifier, sur le temps long, les responsabilités et les choix politiques qui ont mené à ce fiasco. Je le redoute, j’ose même l’anticiper : elle n’épargnera pas grand monde, ni la droite ni la gauche molle. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe RE.)

Dès le début des années 2000 en effet, EDF avait perçu, comme nous, la falaise qui se détacherait à l’horizon 2020, comme la retraite de ses plus anciens réacteurs construits à partir de 1977. Mais je vous rassure, madame la Première ministre : cette commission d’enquête ne vous épargnera pas non plus et n’épargnera pas votre politique de flottement, mi-chèvre mi-chou. Selon les interlocuteurs, les effets de mode et les échéances électorales, vous avez imposé à notre fleuron industriel EDF et à ses agents, souvent considérés comme des variables d’ajustement, des injonctions contradictoires.

Il leur faut réduire les coûts, maintenir des prix bas, nourrir et même gaver les concurrents, et enfin gérer voire accompagner le déclin du nucléaire, marqué par la fermeture de Fessenheim, l’arrêt du réacteur rapide refroidi au sodium à visée industrielle Astrid et la fermeture de quatorze réacteurs inscrite dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) aujourd’hui opposable.

En même temps, le marché devait s’occuper des énergies renouvelables, sans considération des territoires, des habitants ni, pour l’éolien offshore, des travailleurs de la mer, et sans véritable structuration d’une filière industrielle « made in France » dans les secteurs de l’éolien terrestre et du photovoltaïque – c’est moins le cas, je le concède, de l’éolien en mer. Et tout cela s’est fait en laissant s’envenimer les relations entre les filiales d’Areva et d’EDF et en accréditant l’idée d’une filière sans cap, sans tête, perdant chaque jour un peu plus ses savoir-faire, contrainte d’aller chercher à l’étranger – à un prix exorbitant – la validation de ses concepts techniques.

Le Gouvernement s’étonne du manque de réactivité d’EDF face au phénomène de corrosion sous contrainte et feint d’ignorer les particularités de l’organisation du temps de travail dans les centrales nucléaires. Surtout, il fait l’impasse – le député normand que je suis considère cette question comme un enjeu stratégique – sur la perte de savoir-faire et sur les besoins de main d’œuvre, faute d’une stratégie globale et cohérente.

Dans le même temps, l’Allemagne – au nom d’une prétendue écologie – fermait ses réacteurs, renforçait sa dépendance à l’égard du gaz russe et faisait tourner à plein régime ses centrales à charbon tout en faisant la loi au sein de la Commission européenne.

La suite, vous la connaissez puisqu’elle est sous nos yeux : 13 millions de personnes vivent dans la précarité énergétique et 84 % des Français sont très préoccupés par cette situation. Les villes de France sont confrontées à l’explosion des factures, laquelle fragilise les services publics. L’économie réelle est bousculée : chez moi, la compétitivité des verriers Verescence et Pochet du Courval, des industriels de l’agroalimentaire comme Danone et les Ateliers du goût-Davigel ou encore de ceux du secteur automobile comme Alpine est fragilisée par l’explosion des prix que votre bouclier ne permet toujours pas de contenir.

Je conclus : les députés communistes et du groupe GDR ne se contentent pas de signaler vos responsabilités et votre absence de cohérence pour l’avenir mais versent également au débat des propositions réfléchies grâce à l’intelligence ouvrière, grâce à l’intelligence des acteurs de terrain, grâce à ceux – je pense notamment au Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec) – qui s’intéressent depuis longtemps au sujet.
Ces propositions, nous les défendons aujourd’hui devant vous : suspendre l’Arenh au titre des circonstances exceptionnelles prévues par le code l’énergie (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR) ; adapter le tarif réglementé de vente de l’électricité à la réalité du mix de production français en incluant la production hydraulique ; réinstaurer le tarif réglementé de vente pour les collectivités territoriales et les entreprises et, bien entendu, le maintenir pour les ménages ; instaurer une TVA à 5,5 % pour ce bien commun de première nécessité et, enfin, engager une réelle – j’insiste : réelle, et non fausse – renationalisation d’EDF et d’Engie en rétablissant leur statut d’établissement public industriel et commercial (Epic). Nous le savons et vous le savez : la remontée au capital d’EDF engagée par l’État sans modification du statut de société anonyme vous permettra, quand vous voudrez et sans le Parlement, de revenir à la charge avec votre mauvais projet de vente à la découpe – un Hercule 2.0 qui parachèverait votre vision libérale. Au reste, l’inversion du calendrier parlementaire dans un contexte où l’accélération du développement des énergies renouvelables est nécessaire pourrait favoriser ce projet de vente à la découpe d’EDF.

Que les choses soient claires : pour le groupe communiste, l’énergie la moins chère est celle qui n’est pas consommée. Il faut donc réaliser des efforts colossaux en faveur de la sobriété énergétique. Votre refus, réitéré dans le projet de loi de finances (PLF), de dégager des moyens pour la rénovation thermique des logements et pour le développement des lignes ferroviaires du quotidien est l’illustration d’un contresens historique.

Nous pensons qu’il faut consommer moins et mieux et qu’il est urgent d’anticiper l’après-pétrole. Dans ces conditions, il faut composer un mix énergétique équilibré, intelligent, dans lequel les énergies renouvelables ont leur place – mais pas n’importe où, pas n’importe comment, pas avec n’importe qui et, surtout, pas sans les gens et les maires, pas sans respecter les territoires. Dans le secteur nucléaire, l’absence de renouvellement des capacités de production et des investissements nécessaires – vous n’avez pas évoqué les modalités de financement – nous prive de visibilité sur la stratégie de l’État.

Pour faire tout cela, la régulation par la puissance publique est nécessaire. Pour faire tout cela, il ne faut pas laisser le marché faire son œuvre. Pour faire tout cela, il faut préserver l’unicité et l’intégrité des outils industriels, de la production à la distribution. Pour faire tout cela, nous devons faire nôtre l’idée qu’avec son énergie ouvrière, le ministre Marcel Paul formula ici même : il faut avoir une vision d’ensemble de ces problèmes car l’énergie est l’armée de la reprise économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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