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Discussions générales

Déclaration du Gouvernement relative à l’évolution de la situation sanitaire suivie d’un débat

À mon tour, je tiens à exprimer notre inquiétude et notre condamnation à l’égard de l’acte de guerre qui vient d’être commis en Ukraine sous l’égide de Vladimir Poutine. Nous appelons de nos vœux une grande mobilisation pour la paix.

La pandémie qui frappe le monde depuis deux ans nous a imposé une épreuve collective qui a déboussolé la planète. Elle a provoqué plus de 137 000 décès en France. J’ai une pensée pour les femmes et les hommes que le virus a emportés, ici et ailleurs. Comme chacune et chacun, j’ai en tête des noms et des visages.

Je m’adresse aussi à celles et ceux qui chaque jour, avec courage, ont affronté le virus au plus près ; celles et ceux dont le métier est de prendre soin, d’une manière ou d’une autre, en particulier dans les hôpitaux et les EHPAD. Ils donnent foi en l’humanité.

Cette épreuve qui a occupé tant d’espace ne se résume pas à une crise sanitaire – laquelle est sans doute, elle-même, le produit d’une crise écologique. Le virus a agi comme un amplificateur de toutes les difficultés ; il a affecté toutes les dimensions de nos vies. Pendant deux ans, nous avons vécu des relations tronquées, avec des corps empêchés, des visages masqués, sans cette tendresse du quotidien par laquelle on se sent exister, ces poignées de main, ces embrassades. Nos relations ne se réduisent évidemment pas à cela, mais silencieusement, c’est aussi là que beaucoup d’entre nous en ressentent le manque – et cela alimente parfois la rugosité des relations sociales. La culture a été atrophiée, et avec elle les rencontres, les vibrations, les interrogations, les émotions, les passions et cette fonction si singulière qui nous fait humains, le rapport à l’acte de création qui invente le monde, ou en tout cas qui s’y efforce.

Que dire, par ailleurs, de la crise sociale qui était déjà présente, des inégalités qui se sont encore creusées, de l’injustice faite aux femmes, des métiers si cruciaux et si mal reconnus ? Il a fallu soutenir notre économie, et l’activité partielle fut une décision indispensable. Cependant, nous avons vécu deux ans le nez sur le pare-brise, en mal de nous projeter. Cette épreuve nous a confrontés à la crise de sens que traverse notre société, où tout est trop marchandise, trop performance, trop loi du plus fort, trop loi de l’argent, trop fuite en avant. Ce devrait être l’occasion de nous reconnecter à l’essentiel, d’engager des changements, de bifurquer, de choisir plutôt que subir la marche du monde et ses aléas. Le « monde d’après » dont nous avons pu rêver adviendra peut-être, mais votre majorité n’en a pas pris la direction. Vous avez fait un peu de cabotage le long des côtes devant le gros temps, mais, dans la gestion même de la crise, vous avez maintenu le cap fixé depuis 2017.

Auriez-vous pu faire autrement ? Nous le pensons. Personne ne prétend que c’était facile, et vous avez pris des décisions nécessaires – nous sommes conscients de la difficulté de la tâche, monsieur le ministre.

Toutefois, vous vous êtes souvent réfugié derrière l’idée qu’il n’y avait qu’une seule option, celle que vous aviez retenue – ou plus exactement, celle que le Président de la République venait d’annoncer à la télévision. Le débat public méritait d’être mené avec plus d’intensité et de hauteur de vue : le pays en avait besoin pour affronter la crise. La vitalité démocratique n’est pas la moindre des victimes de votre gestion sanitaire. Dès le départ, l’intendance s’est concentrée sur un faible nombre d’acteurs et de personnes, révélant un affaiblissement sans précédent de notre système démocratique. Le Parlement, les élus locaux, les partenaires sociaux, le mouvement associatif et la société civile ont été plutôt marginalisés dans les processus de décision. Vous mettiez déjà beaucoup d’ardeur à les contourner auparavant ! Dans un classement de l’état des démocraties publié la semaine dernière, le journal The Economist place la France en treizième position sur vingt-et-un pays d’Europe. Pas moins de douze projets de loi relatifs à l’état d’urgence sanitaire se sont succédé, étendant chaque fois les pouvoirs de police spéciale attribués au Gouvernement pour limiter l’exercice des droits et des libertés. Dans un rapport de 2021, le Conseil d’État nous a alertés sur les risques d’un état d’urgence à rallonge : « Sur le long terme, son usage est délétère : il […] restreint les libertés de façon excessive et altère, à terme, la cohésion sociale. » Ce n’est pas sans effets, dans l’immédiat et dans la durée.

La crise a confirmé une pratique du pouvoir verticale et sans partage, dont témoignent la multiplication des décisions prises unilatéralement en Conseil de défense sanitaire, l’instauration d’un Conseil scientifique qui ne rend compte qu’à l’exécutif, et le recours sans précédent à des cabinets de conseil privés se substituant à l’expertise publique. Tout cela doit nous interroger : la vie démocratique n’est pas un luxe, mais une nécessité.

Dans le classement que j’ai mentionné, la démocratie française est jugée défaillante en raison des restrictions de libertés individuelles et collectives imposées à la population. Notre pays ressort abîmé et fracturé de la crise, et la méthode qui a été employée en guise de stratégie vaccinale n’a rien arrangé.

Vous avez fait le choix d’imposer successivement un passe sanitaire et un passe vaccinal, selon des logiques de surveillance, de contrôle et de sanction. Plutôt que de convaincre, vous avez stigmatisé une partie de la population, contribuant à alimenter des fractures sociales et territoriales déjà bien présentes. Vous avez mobilisé un discours binaire et simpliste, piètre façon de combattre les thèses complotistes.

Pour tenir vos objectifs sanitaires, vous avez créé des clivages, là où il fallait plutôt du rassemblement. L’argument du virus a même été utilisé au profit de la réforme des retraites ou de l’assurance chômage, à des fins politiques. Cet usage du contrôle, de la contrainte et de ce qui peut être vécu comme une forme de chantage et d’infantilisation fait appel à des dynamiques qui nous inquiètent pour les perspectives qu’elles tracent pour la société. Ces choix aux effets contradictoires ne jouent pas sur les bons ressorts ; ils témoignent d’un renoncement à créer la confiance et à construire une émancipation partagée. À l’inverse, il fallait développer une politique sanitaire qui invite la société à se mobiliser pour faire face, une politique qui repose sur des actes de confiance plutôt que sur l’autorité, et qui s’appuie sur les forces disponibles et sur un lien social à retisser par la rencontre.

De tout cela, nous ne sommes pas encore sortis. Tout en conservant une vigilance collective et une vigilance individuelle volontaire, adaptées à la situation, il faut engager au plus tôt une sortie de ces contraintes et de l’état d’exception permanent ; il faut se déprendre des mauvaises habitudes.

J’ai évoqué la vaccination. Je passerai sur la faiblesse éclatante de notre politique de recherche, mais je dirai un mot de la façon dont vous vous en êtes remis au marché et aux grands groupes pharmaceutiques, sans actionner les outils juridiques permettant à la puissance publique de prendre la main en mobilisant les capacités de production et en levant les brevets. Cette attitude est d’ailleurs à l’image d’un plan de relance sans garantie – plan de relance qui était pourtant nécessaire pour relever l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés. La couverture vaccinale de cinquante-six pays est en deçà de 10 %. Les laboratoires pharmaceutiques ont eu le temps d’engranger plusieurs dizaines de milliards d’euros de bénéfices grâce à la pandémie, directement liés à la commande publique – c’est aussi ça, le quoi qu’il en coûte.

La crise a révélé l’affaiblissement de la puissance publique, des services publics et plus particulièrement de notre système public de santé – un affaiblissement que vous n’avez pas su enrayer, et que vous avez même entretenu. Avant même que survienne la pandémie, le service public hospitalier connaissait une crise profonde. La détérioration de l’hôpital public s’est amplifiée durant le quinquennat du fait de la compression des dépenses, de l’amplification du virage ambulatoire, et j’en passe. À la faveur d’une crise sanitaire qui a révélé la paupérisation de l’hôpital public – et en même temps l’engagement sans faille des personnels –, le Gouvernement a été rattrapé par le réel, concédant, avec le Ségur de la santé, une revalorisation salariale attendue depuis trop longtemps, mais qui peine à compenser dix ans de gel du point d’indice. Trop tardif, trop insuffisant, trop incomplet, le Ségur de la santé n’a pas mis fin au malaise hospitalier qui couvait depuis de longues années, pas plus qu’il n’a véritablement ouvert de perspectives pour l’hôpital. Pire, vous avez continué de réduire les capacités d’hospitalisation : 17 900 lits ont été fermés durant le quinquennat. Quant à la prise en charge de l’autonomie, cette question lancinante revient ces derniers jours avec force et gravité. Les soignants continuent de crier leur colère, de subir des cadences effrénées et de souffrir d’un métier qui se déshumanise et qui perd son sens. Bien que vous ayez vanté les mérites de la sécurité sociale, monsieur le ministre, vous avez travaillé à l’affaiblir durant les cinq années qui viennent de s’écouler en asséchant les ressources. Enfin, la jeunesse restera l’angle mort de votre gestion de la crise sanitaire. Alors qu’une précarisation croissante touche les jeunes et les étudiants, il eût fallu leur donner accès à un revenu minimum. Parallèlement à cette précarisation socioéconomique, les professionnels nous alertent d’une explosion des troubles psychologiques après plusieurs mois de restrictions sanitaires. La prise en charge de la santé mentale des jeunes est une urgence, mais les moyens font toujours défaut. Les enseignants s’alarment des apprentissages « à trous », des décrochages et du repli qu’ils constatent parfois dans leurs classes. Vous n’en n’avez jamais véritablement pris la mesure.

Il y a donc beaucoup à réparer au sortir de cette épreuve qui tarde à se conclure. Il y a beaucoup à réparer après les dégâts du virus, mais aussi de votre politique. Lors de mon premier discours de la législature dans l’hémicycle, j’avais déchiré mon papier pour symboliser le sort que vous réserviez au code du travail. Aujourd’hui, il y a tant à rafistoler et à recoudre que je m’abstiendrai de déchirer mon discours : la République, disait Jaurès, est un grand acte de confiance ; nous avons confiance en la suite, et nous avons foi en l’humanité. (M. André Chassaigne applaudit.)

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