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Déclaration du Gouvernement relative à l’engagement de la France au Sahel suivie d’un débat

La situation au Mali et au Sahel n’est que le triste reflet du vide absolu de ce que signifie de manière opérationnelle la guerre contre le terrorisme, une guerre qui désigne à la fois une lutte contre un mode opératoire, contre des organisations qui se recomposent très rapidement, contre des organisations partageant des ambitions changeantes, parfois antagoniques, et enfin une lutte contre une idéologie aux contours extrêmement flous. Que combattons-nous au Sahel ? Quel est l’objectif de la France ? Vous n’avez jamais apporté de réponse à ces questions, parce que vous n’en avez pas.

L’absence de lecture critique de cette notion de guerre contre le terrorisme, forgée au lendemain du 11 septembre 2001, a conduit à des désastres de très grande ampleur, de l’Irak à l’Afghanistan en passant par la Libye, la Somalie, le Yémen ou encore le Sahel. Ces guerres contre le terrorisme sont anachroniques : elles ne peuvent être gagnées si l’on ne lutte pas contre les véritables racines du mal. Les députés communistes ne cessent de vous le dire, ces menaces sont l’insécurité alimentaire et environnementale – la zone sahélienne est l’une des plus sensibles au réchauffement climatique –, mais aussi l’insécurité liée à l’effondrement des services publics d’éducation, de santé, de justice ou de sécurité intérieure. Toutes ces insécurités nourrissent des trafics et des flux illicites de capitaux. Les catégories ethniques et religieuses sont manipulées pour justifier et légitimer la violence, mais elles ne sont que des excuses. On ne peut donc parler de ce retrait comme d’une humiliation de la France : c’était en réalité un échec prévisible depuis le premier jour, car en l’absence d’objectif une guerre ne peut être gagnée.

Si l’humiliation appelle un sursaut d’orgueil, un échec appelle la réflexion et l’humilité. C’est pourquoi les députés communistes proposent en priorité de dresser un bilan lucide de l’action de la France en Afrique, afin de ne pas reproduire les erreurs commises : si nous l’avions fait après la monstrueuse guerre contre la Libye en 2011, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

Vous avez, monsieur le Premier ministre, largement insisté sur la manière dont les troupes allaient se redéployer et sur l’avenir opérationnel des opérations militaires en cours au Sahel. Pourtant, nos interventions militaires sont sur la sellette partout au Sahel. À la fin de l’année dernière, le blocage du convoi militaire français au Burkina Faso et au Niger l’a prouvé.

En tant que promoteurs infatigables de la paix, les députés communistes proposent, dans un deuxième temps, d’organiser un plan de retrait concerté avec tous les États du Sahel et de la région – et chaque mot compte dans cette phrase : un plan de retrait pour valider le souhait des peuples de voir partir l’armée française selon une organisation précise et concrète ; concerté, parce qu’on ne peut plus continuer cette politique élyséenne consistant à ce qu’un homme décide seul, sans respecter ses interlocuteurs ; du Sahel, car il s’agit bien de créer les conditions du retrait de la région, en accord avec tous les États et les peuples concernés.

Pour avancer dans la sécurité et pour gagner la paix, le troisième acte d’urgence consiste à mettre en place une coopération militaire collective bien plus équilibrée, qui reposerait sur la formation et sur le transfert de technologie militaire afin de rendre leur indépendance à ces États. Nous ne sommes pas naïfs, nous avons bien conscience que la violence existe et qu’elle doit être combattue pour aider les populations qui souffrent, mais pour cela l’action doit être menée avec les États et par les États eux-mêmes.

La quatrième proposition des communistes, c’est de renforcer nos coopérations civiles, en apportant une aide au développement qui soit orienté vers le recouvrement des recettes fiscales et la reconstruction de l’État. Cela permettra de redonner la marge de manœuvre budgétaire indispensable pour rebâtir dans ces pays des services publics forts – c’est ce qu’il y a de plus efficace pour lutter contre le terrorisme et pour gagner la paix.

Au Sahel – comme en France, soit dit en passant –, cette marge de manœuvre budgétaire a été, il faut le redire, détruite par les réformes ultralibérales imposées à ces États dans les années 1980-1990 par le Fonds monétaire international, le club de Paris et la Banque mondiale, qui ont créé un terreau fertile où sont nées les contestations armées actuelles. Aujourd’hui encore, l’Afrique meurt de ses taux d’imposition des entreprises extrêmement faibles et d’une évasion fiscale qui équivaut à ce qu’elle reçoit en aide publique au développement.

Le cinquième acte à accomplir avec les États sahéliens, c’est d’en finir avec la présence paternaliste et humiliante de la France chez eux. En protégeant vos vassaux africains sans jamais regarder la légalité de leur pouvoir, vous avez humilié les peuples d’Afrique de l’Ouest. Vos indignations démocratiques à géométrie variable ont épuisé les peuples et fragilisé leur envie de démocratie. Pourquoi, après la mort d’Idriss Deby au Tchad, vous êtes-vous empressés d’adouber son fils lors d’un coup d’État constitutionnel ? Pourquoi le coup d’État en Guinée, qui a abouti au remplacement du président Alpha Condé par un ancien soldat de la Légion étrangère, le lieutenant-colonel Doumbouya, n’a-t-il été condamné que du bout des lèvres par la France ? Et je ne parle même pas de la Côte d’Ivoire, où vous avez fermé les yeux sur le troisième mandat inconstitutionnel d’Alassane Ouattara, votre complice de toujours…

Pourquoi seul le coup d’État au Mali a-t-il été sanctionné par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ? Le blocus mis en place met de l’huile sur le feu et ne fait souffrir que la population. Pourquoi le président Macron se permet-il de convoquer – c’était l’expression employée – les chefs d’État du G5 Sahel au sommet de Pau le 13 janvier 2020 pour les obliger à prêter à nouveau allégeance à la France ? Pourquoi refusez-vous de valider l’enquête des Nations unies sur le bombardement effectué par l’armée française à Bounti, au Mali, le 3 janvier 2021, qui a fait une vingtaine de morts dans un rassemblement qui n’était vraisemblablement qu’un mariage ?

Ajoutons à cela le double jeu de la France au Mali, qu’il s’agisse de son soutien implicite aux mouvements rebelles du Nord du Mali, et dernièrement au Mouvement national de libération de l’Azawad, ou de sa promotion acharnée de l’accord d’Alger qui, rédigé sans le peuple malien, ne correspond en rien à ses aspirations et menace l’intégrité territoriale du pays.

Je ne parle même pas du franc CFA ou de son avatar l’éco, instrument de domination monétaire de la France dans la région !

Face au blocage des voies démocratiques, il semble que pour beaucoup, l’envie d’indépendance et de souveraineté ait remplacé le désir de démocratie. C’est un changement majeur qui bouleverse les dynamiques au Sahel. Évidemment, nous, élus d’une démocratie moins fragile que celle de ces États, l’inversion des priorités entre souveraineté et démocratie nous dérange au plus haut point ; mais il faut reconnaître qu’au Sahel, dans une zone où les entreprises françaises sont très influentes, où l’on paie en francs CFA et où les autocrates sont validés par Paris, la notion d’indépendance et de souveraineté prend souvent la forme d’une défiance envers notre pays.

Et cette défiance est renforcée par l’insécurité, qui ne recule pas. La preuve en est qu’il y a neuf ans, au début de l’opération militaire française, les djihadistes et autres entrepreneurs de violence étaient présents sur 10 % du territoire malien alors qu’aujourd’hui, près de 90 % est classé en zone dangereuse.
Outre les cinquante-neuf militaires français tués auxquels nous devons rendre hommage pour leur engagement, il faut rappeler que pour la seule année 2021, il y a eu 4 838 victimes africaines, sans compter les 2,2 millions de personnes déplacées internes et les 200 000 réfugiés.

Nous ne pouvons que constater que le peuple malien ne s’est pas opposé à l’arrivée au pouvoir de ces militaires. Il ne les juge pas bons démocrates, personne ne s’y trompe, mais il les considère davantage capables de lutter contre le terrorisme et plus à même d’agir indépendamment de la France pour retrouver de la souveraineté. C’est un fait. Certains pensent même que ces nouveaux dirigeants rendent sa fierté au peuple malien.

C’est cela qu’il vous faut comprendre d’urgence. Que l’on croie ou non à la sincérité des intentions du régime malien actuel, peu importe ! Le constat est sans appel : nous avons perdu le soutien des Maliens. Attention à ne pas faire de confusions : le peuple malien n’est pas anti-Français, il s’oppose à la politique que la France mène actuellement, dans la continuité des décennies précédentes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) C’est une nuance fondamentale à saisir si l’on veut pouvoir mener avec justesse nos futures actions diplomatiques auprès des autorités maliennes. C’est pourquoi, monsieur le Premier ministre, il est impératif que vous preniez enfin la mesure du drame que la France a suscité là-bas.

Le redéploiement des troupes françaises dans les États voisins du Mali est une nouvelle preuve de votre incompréhension totale du terrain. Changez de logiciel. Arrêtez d’écouter les multinationales françaises qui veulent maintenir leur domination économique dans cette région. Arrêtez d’écouter les va-t-en-guerre qui pensent que la violence ne se combat qu’avec des armes. Essayez plutôt de comprendre les peuples et leurs dynamiques propres.

Eux seuls doivent être entendus.
Nos propositions émanent du vécu des gens et de leurs revendications. Nous les avons construites avec eux et nous les relayons ici. De plus en plus de voix en France les accompagnent. Si vous aviez su écouter, la dignité de la France en Afrique aurait peut-être été sauvée depuis longtemps. En tout cas, nous, nous le pensons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC, FI et LT).

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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