« Un acte vaut cinq dires », avait coutume de répéter Henri IV, l’un de vos héros, monsieur le premier ministre. Faute de dire, vous faites un acte, celui par lequel vous auriez dû commencer : vous demandez la confiance du Parlement, comme le suggère la Constitution.
Votre décision, que certains jugent courageuse, n’est à nos yeux qu’un péché d’orgueil. Vous posez la question alors que vous connaissez la réponse : vous n’avez pas la confiance d’une majorité de parlementaires, encore moins celle de la majorité du pays. Vous disiez en 2018 : « Quand on porte un projet, si ce projet est fort et juste, on n’est jamais seul. » Votre projet de budget pour 2026 n’est ni fort ni juste, et vous êtes bien seul. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR. – MM. René Pilato, Alain David et Jean-Claude Raux applaudissent également. – M. Emmanuel Mandon s’exclame.)
Éternels fusibles du président de la République, les premiers ministres de la Ve servent à le protéger. Tel le soldat Ryan, il vous faut sauver le président Macron. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.) Vous serez donc le quatrième en trois ans à tomber pour épargner le principal responsable de nos malheurs. (Mêmes mouvements.)
Ce que vous proposez : presser toujours plus les salariés, les retraités, les chômeurs, les malades, et épargner ceux qui se sont enrichis outrancièrement depuis 2017. L’écart de fortune entre les plus riches et les plus pauvres n’a jamais été aussi important depuis trente ans. Or nous sommes convaincus, avec une majorité de Français, qu’un pays où les inégalités s’accroissent est un pays qui régresse.
Votre discours crépusculaire, voire apocalyptique, sur la dette est contredit par nombre d’économistes parmi les plus sérieux. Vous utilisez la dette pour effrayer les Français et pour proposer le pire budget de la Ve République. Mais la dette peut être vertueuse si elle permet des investissements pour l’école, pour l’hôpital, pour les services publics ou encore pour la réindustrialisation de la France, et ouvre ainsi une perspective d’avenir pour le pays.
Vous avez balayé d’un revers de la main toutes les propositions alternatives de notre groupe ou de nos collègues de gauche qui étaient orientées vers les urgences sociales et climatiques. Pourtant, les Français – ils l’ont dit en 2024 et le répètent à l’envi – souhaitent que l’on change de politique. Pensez-vous que l’appel au mouvement social du 10 septembre aurait eu un tel écho si votre politique n’était pas aussi discréditée, rejetée et même détestée ?
Votre responsabilité personnelle est d’autant plus grande que vous avez été l’artisan de la victoire d’Emmanuel Macron en 2017, devenant ainsi son parrain et son tuteur. De plus, votre formation politique a été de tous les gouvernements : elle a soutenu toutes les lois, tous les budgets, toutes les politiques qui ont tant abîmé la France. Et vous voudriez nous faire croire qu’il faut vous sauver pour éviter le chaos, vous qui en êtes l’un des ingénieurs !
Vous semblez découvrir l’état de nos finances alors que vous n’avez eu de cesse de contribuer à les dégrader. Vous ne pouvez pas vous dédouaner de vos responsabilités. Vous pouvez encore moins dire que vous ne saviez pas, vous qui avez quarante ans de politique derrière vous. Vous le savez, seuls les papes nouvellement élus découvrent les secrets du Vatican le jour de leur élection.
Après l’annonce de vos orientations budgétaires, vous n’avez entamé aucune discussion, aucune négociation, et vous avez une nouvelle fois méprisé le Parlement. Vous avez tenté de diviser les syndicats. Ils viennent de vous répondre par la mobilisation du 18 septembre, dans l’unité retrouvée la plus large. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Vos méthodes de discussion sont des leurres. Derrière chacune des mesures budgétaires que vous avez annoncées, qui ne sont pour vous que de froides colonnes de chiffres, je vois, moi, des visages et des familles de ma circonscription. Les familles qui survivent au-dessous du seuil de pauvreté représentent 15 % des habitants de notre pays, plus de 28 % de ceux de la Seine-Saint-Denis et 37 % des habitants de ma ville de Saint-Denis. Ce sont les chiffres de 2021 ; depuis, la situation s’est aggravée. Vous êtes l’homme de ce record jamais égalé depuis 1981.
Derrière les chiffres relatifs aux petites pensions et aux bas salaires, je vois des personnes âgées qui ont travaillé toute leur vie et se voient désormais obligées de frapper à la porte des associations caritatives. Je vois des salariés qui renoncent aux petits plaisirs de la vie, mais parfois aussi à l’essentiel, à cause de leur pouvoir d’achat en berne et de la faiblesse de leur salaire, très loin de suivre l’inflation des prix des biens de consommation courante. Je vois des étudiants obligés de se saigner aux quatre veines pour pouvoir étudier, manger ou se loger. Je vois des enseignants, des hospitaliers et des agents territoriaux souffrir parce que leur salaire et leurs conditions de travail se sont dégradés. Je vois des travailleurs qui vivent dans l’angoisse d’un licenciement ou qui sont livrés à l’ubérisation et à la précarisation du travail.
Ce qui vaut pour ma circonscription vaut pour l’ensemble du pays, et encore davantage pour les outre-mer. Là-bas, c’est vie chère, bas salaires, chômage endémique, mépris des revendications, scandales environnementaux, survivance du colonialisme. Votre politique a aggravé la situation de nos concitoyens ultramarins. Votre budget est un condensé de mépris de classe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
En voulant faire entrer la France à marche forcée dans le carcan de la mondialisation libérale, vous avez à la fois aggravé la situation économique et sociale et plongé le pays dans une crise démocratique. Parce que le président de la République a refusé de tenir compte du résultat des dernières législatives, et alors que nombre de députés de votre rassemblement hétéroclite ont été élus pour faire barrage au Rassemblement national, ils n’ont eu de cesse de solliciter le soutien de l’extrême droite, ou du moins sa neutralité. Ne vous inquiétez pas pour elle : M. Bardella vient de recevoir l’onction patronale aux journées du Medef – je le précise surtout pour les Français qui auraient pu croire un instant que le RN s’attaquerait aux inégalités sociales. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.) À chaque fois que vous faites un pas vers l’extrême droite, vous la légitimez.
À l’image du président de la République, vous ne pensez qu’à diviser notre nation. À vous entendre, les chômeurs seraient des fainéants, les allocataires des minima sociaux seraient des assistés, les retraités des nantis, les malades des profiteurs. Les étrangers, quant à eux, cocheraient toutes ces cases et bien d’autres encore. Voilà votre fonds de commerce !
Vous le savez, notre devise est et restera Liberté, Égalité, Fraternité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Elle n’est pas et ne doit plus jamais être Travail, Famille, Patrie.
Ce que veulent les citoyennes et les citoyens de notre pays, c’est la liberté, celle de critiquer et de manifester, alors que vous avez réprimé le combat politique et syndical ; c’est l’égalité devant l’impôt, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité dans l’accès aux services publics, alors que vous n’avez eu de cesse de les mettre en pièces ; c’est la fraternité, la fin des discriminations et une France qui combat tous les racismes. Ils veulent un pays qui dialogue avec les peuples du monde pour une planète de paix, un pays qui ne regarde pas ailleurs quand un peuple subit un génocide, comme c’est le cas en ce moment à Gaza. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Où est le François Bayrou de 2007 qui disait, lors d’un rassemblement électoral : « Les vrais ennemis, ce sont le chômage, l’échec de l’éducation, l’exclusion, la pauvreté, les fins de mois difficiles, l’inquiétude et le souci des familles » ? Depuis votre nomination, vous n’avez rien fait pour rapprocher vos dires de vos actes. Vous aimez vous référer à Pierre Mendès France. Or si on se souvient de Mendès, c’est pour la fin de la guerre en Indochine, mais aussi pour le verre de lait dans les écoles. De vous, on retiendra que vous avez augmenté les dépenses militaires et que, dans la France d’aujourd’hui, des centaines de milliers d’enfants n’ont qu’un repas par jour. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS. – M. Alain David applaudit également.)
À l’image de Margaret Thatcher hier, vous ne pouvez soutenir qu’il n’y aurait qu’une seule politique possible – surtout pas avec ce bilan. Vous n’aurez pas la confiance du groupe GDR. Nous continuerons d’agir et de proposer d’autres choix pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)