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Débat sur le fonctionnement des juridictions prud’homales après la réforme de la carte judiciaire

Table ronde
Mme la présidente. Pour cette première phase du débat, je souhaite d’abord la bienvenue à Mme Maude Beckers, avocate en droit du travail, coprésidente de la commission sociale du Syndicat des avocats de France, à M. Michel Demoule, greffier en chef au conseil de prud’hommes de Roubaix, à Mme Stéphanie Kretowicz, vice-présidente du tribunal d’instance du Xe arrondissement de Paris et à Mme Violaine Touet-Seurat, présidente du conseil de prud’hommes de Nanterre.
Pour entamer la table ronde, je donne la parole à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Le groupe GDR a demandé l’organisation d’un débat sur le fonctionnement des juridictions prud’homales compte tenu de notre grande inquiétude quant au fonctionnement de ces juridictions après la réforme de la carte judiciaire de 2008, qui a abouti à la suppression de 62 conseils de prud’hommes.
De nombreuses juridictions prud’homales se trouvent dans une situation particulièrement critique, alors que, je le rappelle, le code du travail prévoit un délai d’un mois pour le traitement des dossiers. Aujourd’hui, faire valoir ses droits devant les juridictions prud’homales, c’est souvent être confronté à des délais de procédure extraordinaires.
Nos invités le diront certainement mieux que moi, se fondant sur leur expérience, sur la réalité qu’ils vivent au quotidien, mais, par exemple, à Bobigny, deux à trois années sont nécessaires à la tenue des audiences de départage. Les dysfonctionnements sont innombrables : ils touchent les conseils de prud’hommes et aussi les chambres sociales des cours d’appel.
Pour les salariés, les conséquences ne sont pas minces. Elles sont même souvent dramatiques puisque, si l’on ajoute à leur précarité, dans de tels contextes, la lenteur décourageante du procès entamé, ils subissent une véritable double peine. C’est donc la protection même des salariés par le droit du travail qui est compromise.
Je veux rappeler que la justice elle-même s’est émue de cette situation puisque, l’année dernière, le tribunal de grande instance de Paris a reconnu le préjudice causé par la lenteur inacceptable de la justice et condamné l’État, oui, condamné l’État, pour avoir « manqué à son devoir de protection juridique de l’individu et notamment du justiciable, en droit de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable », conformément à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
C’est la raison pour laquelle, madame la présidente, nous avons souhaité interroger, interpeller le Gouvernement, et en particulier la garde des sceaux, sur les dispositions que le Gouvernement entend prendre pour remédier à une telle situation, que, pour notre part, nous qualifions d’inacceptable.
Évidemment, la question des moyens humains et matériels est posée. Mais, pour fonder plus solidement notre interpellation, nous avons pensé nécessaire et utile de procéder aux auditions qui vont suivre et qui vont nous permettre de mieux préciser l’état des lieux et d’entendre les propositions des intervenants pour améliorer cette situation.
La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe GDR, que je remercie à nouveau d’avoir pris l’initiative de ce débat.
M. Marc Dolez. Merci, madame la présidente.
Madame la garde des sceaux, notre groupe a souhaité l’organisation de ce débat parce que nous estimons que la situation des juridictions prud’homales est extrêmement critique et inquiétante.
Vous avez abordé beaucoup de sujets. Je voudrais commencer par celui qui est à nos yeux le plus important.
L’État a manqué au respect du principe du délai raisonnable. Ce n’est pas moi qui le dis mais le tribunal de grande instance de Paris, qui, l’année dernière, a condamné l’État dans soixante et onze affaires. Permettez-moi de lire un bref extrait de sa décision : « Si manifestement, cette attente résulte du manque de moyens de la juridiction prud’homale, il n’est pas discutable qu’il revient précisément à l’État de mettre en œuvre les moyens propres à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables », conformément à l’article 6 de la Convention des droits de l’homme, ajouterai-je.
Madame la garde des sceaux, c’est bien la question des moyens humains et matériels qui est posée. Les estimations dont nous disposons font état d’environ 300 postes de personnels, de greffe et de secrétariat administratif, qui manquent dans les juridictions prud’homales. Dans ces conditions, comment le Gouvernement entend-il remédier à cette situation tout à fait inacceptable ? Il y a là un déni de justice pour de nombreux salariés qui subissent une double peine : à une précarité en termes d’emploi et de revenus viennent s’ajouter les conséquences d’une justice trop lente. Il convient donc que l’État assume ses responsabilités. Envisagez-vous pour cela de débloquer des moyens en urgence ?
Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, vous aviez indiqué que votre ministère prévoyait de pourvoir 142 emplois dans les tribunaux d’instance et d’améliorer la justice du quotidien, sans pour autant préciser le sort réservé aux conseils de prud’hommes. J’aimerais avoir des précisions sur ce point.
Vos propos liminaires, madame la garde des sceaux, m’incitent à beaucoup insister sur ce sujet. On ne peut pas simplement dire que les délais « ne sont pas satisfaisants ». La question des délais est cruciale si l’on veut qu’il y ait dans ce pays une justice accessible à tous qui permette d’apporter des solutions.
J’aurai encore bien des questions à vous poser, madame la garde des sceaux, mais c’est d’abord sur cette question des délais que je voudrais avoir une réponse.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La présence des députés prouve leur intérêt pour ce sujet. Quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes tous conscients que le conseil de prud’hommes est une juridiction particulière et qu’il est important de veiller à son efficacité. Les justiciables qui se retrouvent devant ces juridictions sont, comme je l’ai dit tout à l’heure, des personnes en détresse, qui espèrent que la justice va régler leurs problèmes.
Effectivement, la question des délais est cruciale, je suis parfaitement d’accord avec vous, monsieur Dolez.
À la suite de la réforme de la carte judiciaire, les stocks de dossiers se sont alourdis et les délais se sont allongés. La clôture d’une affaire prend dix-huit mois et même vingt-quatre mois lorsqu’il y a départage même si cette procédure ne concerne que 12 % des cas.
S’agissant des effectifs, vous avez cité des chiffres. Ils varient selon les sources. C’est FO, je crois, qui avance le chiffre de 300, la CGT évoquant celui de 250. Les services du ministère, quant à eux, indiquent qu’il n’y aurait pas de manque d’effectifs.
M. Marc Dolez. C’est comme pour les manifestations ! Les chiffres du ministère de l’intérieur ne sont pas les mêmes que ceux des organisateurs !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous connaissons la plaisanterie depuis que nous sommes étudiants, ce qui nous renvoie très loin.
M. Guy Geoffroy. Même avant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Disons que nous participons à la querelle depuis que nous sommes étudiants.
Nous avons convenu avec le Conseil supérieur de la prud’homie de faire un point dans les deux mois qui suivent, grâce aux contributions de chacun, sur la comptabilisation des effectifs. Je dois dire que je ne suis pas très surprise par ces désaccords car je me rends bien compte des écarts qui existent dans tous les types de juridiction. Entre les informations remontées par les chefs de cour et celles contenues dans les fiches de la direction des services judiciaires, il y a des différences : le calcul peut se fonder sur les effectifs de magistrats ou de greffiers ; il peut être exprimé en équivalents temps plein ; parfois les arrêts de travail ne sont pas pris en compte à temps. En outre, les magistrats étant protégés par leur statut, il n’est pas possible de disposer du poste de ceux qui sont arrêtés pour affection de longue durée. De multiples biais expliquent donc les différences de chiffres.
Dans deux mois, nous devrions être capables de caler nos modes de calcul et de savoir exactement quels sont les effectifs de conseillers et de greffiers dans les conseils de prud’hommes.
Il n’y a pas que la question des effectifs. L’efficacité dépend aussi, bien entendu, d’un certain nombre de méthodes. Nous sommes ainsi en train d’étudier très sérieusement les contrats de procédure, qui permettent notamment d’éliminer certaines pratiques dilatoires. Cette méthode pourra être appliquée et aux conseils de prud’hommes et aux juridictions commerciales, qui ont en commun d’être des juridictions spécialisées, où il n’y a pas une grande maîtrise des délais.
Croyez bien, monsieur Dolez, que je suis très soucieuse d’améliorer l’efficacité de nos conseils de prud’hommes, car je sais que dans ces juridictions comme dans nos juridictions civiles, la justice rend vraiment service aux justiciables

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)

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