Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous rassemble aujourd’hui ne peut laisser personne insensible, tant les crimes perpétrés par Daech, que ce soit en Syrie, en Irak ou partout ailleurs dans le monde, sont contraires à toutes les lois, à la morale et à toute forme d’humanité.
Il est important de rappeler que les populations présentes en Syrie et en Irak subissent un épouvantable calvaire. Elles sont victimes des persécutions du groupe autoproclamé « État islamique », qui tente d’asservir un vaste territoire en opprimant les peuples, en commettant meurtres, tortures, viols et enlèvements, en exigeant des rançons et en ayant recours à l’esclavage.
Avant de revenir sur les exactions commises sur ce territoire, notons que les plus chanceux ont pu s’enfuir, générant ainsi l’un des plus importants exodes que l’Europe ait connus. Depuis cinq ans, des millions de personnes ont fui les bombes, la barbarie terroriste et les combats pour tenter de préserver le peu qui leur restait : leur vie. La plupart ont trouvé refuge dans les pays voisins, principalement en Jordanie, au Liban et en Turquie. Quant aux pays européens, ils ont répondu à cette crise humanitaire en ordre dispersé.
La France, de son côté, a mis en œuvre une opération spécifique d’accueil des ressortissants syriens. Il est toutefois regrettable que seuls 1 125 d’entre eux aient été acceptés dans le cadre de ce programme. C’est très peu, d’autant que notre pays a fixé son objectif d’accueil à 30 000 demandeurs d’asile, là encore un chiffre très insuffisant au regard de l’ampleur de ce déplacement de populations inédit dans notre histoire récente. À titre de comparaison, l’Allemagne a mené une politique beaucoup plus volontariste en prenant à elle seule 41 % des décisions positives d’asile en Europe.
Au-delà de ces chiffres, il ne faut pas oublier que derrière chaque demande se trouvent des hommes, des femmes et des enfants dont la vie peut avoir été brisée. Personne ne fuit son pays de gaieté de cœur !
Dans ce contexte brûlant, nous ne pouvons que déplorer les hésitations coupables des pays européens. Nous constatons qu’ils ont du mal à harmoniser leurs réponses, chacun jouant une partition différente face au drame qui se joue.
Je me dois également de dénoncer une fois de plus le pacte de la honte que représente l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie. Un an après le triste anniversaire de ce contrat cynique revenant à faire du troc de réfugiés contre quelques concessions politiques et financières, à traiter des êtres humains ayant fui leur pays en guerre comme de vulgaires marchandises, le bilan est dramatique. Selon la directrice adjointe du programme Europe d’Amnesty International, « l’accord UE-Turquie est un désastre pour les milliers de personnes abandonnées à leur sort sur les îles grecques, dans une situation dangereuse, désespérée et apparemment sans issue ».
Les exactions de Daech, qui ne génèrent que mort et désolation, entraînent dans leur sillage une cascade de conséquences généralement passées sous silence, dont cet exode massif de populations que nous ne sommes pas en mesure de traiter aujourd’hui de manière digne.
J’aimerais également revenir sur les causes géopolitiques de ces exactions et rappeler comment, en déstabilisant les États nations, la France et les puissances occidentales ont permis l’émergence du monstre Daech.
Concernant la Syrie, une fois de plus, nous pouvons regarder du côté du commerce des ressources stratégiques, notamment du gaz, pour tenter de décrypter les causes du conflit.
En 2009, le Qatar proposait de lancer un projet de gazoduc qui aurait traversé l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie afin d’alimenter le marché européen.
À la même période, un autre projet est envisagé avec l’Iran, celui d’un gazoduc qui traverserait l’Irak et accéderait à la mer en Syrie pour atteindre l’Europe par le littoral syrien. Cette option fut retenue par Damas en juillet 2011 afin d’exporter le gaz iranien, provoquant les foudres de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie.
C’est précisément lors de l’été 2011 que l’aide étrangère à la rébellion s’est accrue, provoquant une intensification des combats.
Oui, le choix de militariser la révolte a bien été une responsabilité occidentale. Pariant sur un scénario à la libyenne, Washington et ses alliés arabes, turcs et européens ont soutenu les groupes armés alors qu’il aurait été possible de mettre fin au conflit en 2012. Notre ancien ministre des affaires étrangères était tellement convaincu de cette stratégie qu’il déclarait en 2012 que Bachar Al-Assad allait tomber, que c’était juste une question de temps et que sur le terrain, le Front Al-Nosra faisait « du bon boulot ».
Nous ne pouvons feindre d’oublier les errances graves et lourdes de conséquences de la diplomatie française, suspendue aux décisions américaines, dans la crise syrienne en cours, d’autant que les démocrates, les communistes et les laïcs ont été décimés bien avant les révoltes du printemps 2011 en Syrie, à une époque ou Bachar Al-Assad, tyran et assassin dans son pays, était pourtant le bienvenu dans les capitales occidentales comme dans celles des pays du Golfe. La révolte que la France a soutenue, en reconnaissant notamment le Conseil national syrien remplacé par la Coalition nationale syrienne dominée par les islamistes, M. Jean-Jacques Candelier. …n’a jamais été agréée par les révoltés syriens de la première heure.
Concernant l’Irak, nous avons déjà dénoncé ici même le fait que Daech, « créature des États-Unis » selon les mots d’Hillary Clinton, est un monstre hérité de l’intervention anglo-américaine en Irak en 2003, qui a créé un chaos et une guerre interconfessionnelle affectant l’ensemble de la région.
Les puissances occidentales et leurs alliés régionaux ont persisté à vouloir construire, par le fracas des armes, leur hégémonie dans cette région qui représente pour eux un enjeu majeur, en matière d’énergie notamment. Qui peut douter que les tragédies irakienne et libyenne ont offert un terreau propice à la propagation de l’idéologie mortifère de Daech ? Depuis, les conséquences humaines se sont révélées toujours plus dramatiques. Je vous ferai grâce d’un exposé chiffré sur la violence que subit actuellement le territoire irako-syrien.
Fidèles à notre idéal qui nous a toujours placés aux avant-postes en matière de mémoire et de reconnaissance des génocides, nous soutenons encore aujourd’hui dans cet hémicycle les revendications des peuples opprimés.
En 2009, notre groupe avait appelé la communauté internationale à prendre ses responsabilités face au massacre des Tamouls, en demandant, avec d’autres, que la Cour pénale internationale puisse se saisir de cette affaire. De même, en 1997, Roger Meï avait plaidé pour la reconnaissance du génocide arménien. Dans la lignée de ces appels, nous pensons qu’il est légitime d’avaliser la présente proposition de résolution dénonçant les crimes perpétrés en Irak et en Syrie. Il nous appartient à tous de faire en sorte qu’ils soient reconnus et jugés. Cependant, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de faire la liste de toutes les minorités visées par l’État islamique. Le projet totalitaire de ces barbares aveugles ne s’arrête ni à la foi de ses victimes, ni à leur nationalité, ni à leur milieu social, ni à leur sexe, ni à leur couleur de peau, ni à la communauté dont ils font ou non partie.
Face au danger fascisant que représente cette organisation, notre indignation ne peut être sélective. Comment comprendre ce traitement du conflit syrien quand nous gardons un silence total sur la guerre menée par l’Arabie saoudite et ses alliés au Yémen ?
Certes, l’Arabie saoudite représente un grand marché pour l’industrie française. Mais la France ne peut mettre en balance les valeurs humanistes qui fondent notre République avec des intérêts économiques.
L’Occident doit définitivement tourner le dos à cette vieille tradition consistant à lire le Moyen-Orient à travers le prisme de la question des minorités. N’oublions pas que si les Yézidis, les Kurdes et les chrétiens d’Orient sont victimes du fanatisme de Daech, ce sont les musulmans qui sont les premières victimes de ces barbares. Ce n’est pas la chrétienté qui est massacrée par Daech, c’est l’humanité au sens large du terme. La spirale de la haine qui anime ces bourreaux n’a, en définitive, aucune limite.
Il faut rappeler qu’en décembre 2015, l’Assemblée nationale avait déjà adopté une résolution appelant à la reconnaissance du génocide commis par l’État islamique en Irak et en Syrie à l’encontre des minorités religieuses. Cependant, celle-ci ne disait pas un mot sur les violences exercées principalement à l’encontre des populations civiles, réunissant par là même la plupart des critères qui définissent un génocide selon la convention de 1948.
Comment ne pas avoir en tête le drame des civils d’Alep-Est, bombardée pour en déloger les groupes terroristes et islamistes qui s’y étaient retranchés ? Des centaines de milliers d’habitants ont été plongés dans un enfer où, pendant des mois, ils ont manqué de tout – de vivres, de soins, d’abris. Bien que commune aux périodes de guerre, cette situation n’en est pas moins abominable. La guerre n’est jamais propre ; c’est pourquoi il est de notre devoir de tout faire pour l’éviter et d’agir en amont sur ses causes.
Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront cette proposition de résolution, en dépit des réserves que j’ai exprimées. Il est désormais nécessaire que le Gouvernement fasse tout ce qui est en son pouvoir pour que la Cour pénale internationale se saisisse de cette affaire.
Nous soutenons toutes les victimes de toutes les formes d’agressions qu’ont pu subir les peuples syrien et irakien. Il est nécessaire que soit dorénavant trouvée une solution politique et diplomatique, la seule qui puisse ramener la paix dans ce territoire meurtri par tant d’années de guerre. « Quelle connerie la guerre », disait Jacques Prévert.
Discussions générales
Crimes en Syrie et en Irak
Publié le 21 février 2017
Jean-Jacques
Candelier
Député
du
Nord (16ème circonscription)