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Conseil de l’Europe : lutte contre la traite des êtres humains

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà plus d’un siècle que la traite négrière a été abolie, plus de deux siècles que ce commerce avait été pensé et la mort de millions d’êtres humains dans des conditions atroces doit nous rappeler nos responsabilités, puisque les pays européens ont pratiqué ce commerce à grande échelle et de manière quasi-industrielle, et se sont enrichis grâce à lui. Aujourd’hui, nous sommes de nouveau confrontés à la traite des êtres humains. Mais cette activité criminelle ne concerne plus seulement les populations africaines : enfants, travailleurs, femmes, jeunes, toutes les populations fragiles vivant dans une extrême pauvreté, que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou dans certains pays européens, en sont victimes. C’est un fait quasi-mondial, hélas !
La traite des êtres humains, c’est le déni de la totalité des droits humains : droit à la liberté, à l’intégrité et à la sûreté des personnes, droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, droit de circuler librement, droit de vivre en famille, droit à la santé et à l’éducation. C’est une nouvelle modalité de l’esclavage qui exige une approche et une analyse dépassant largement toute vision politique réductrice.
Lorsque l’on évoque la traite des êtres humains, on la réduit presque systématiquement à la prostitution et au proxénétisme. Or on trouve des enfants, des femmes, des hommes, des jeunes forcés de se vendre pour atténuer leur misère dans des secteurs aussi variés que l’industrie minière et agroalimentaire, celle de la chaussure et du textile ou les travaux saisonniers agricoles. Il faut donc élargir à ces secteurs le problème de la traite des êtres humains ; or celle-ci ne recouvre pas seulement la prostitution ou la migration illégale.
Dans sa résolution 59/166 de mars 2005, l’assemblée générale de l’ONU a souligné à juste titre que la traite des êtres humains doit être abordée dans le contexte de la mondialisation et rappelé que les victimes sont particulièrement exposées au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l’intolérance. La traite des êtres humains n’est pas un phénomène isolé. Elle est avant tout un sous-produit de l’organisation sociale internationale d’une société darwinienne où règne la loi du plus fort. J’en prendrai pour exemple, parmi des centaines, le cas de l’Afrique de l’Ouest où 15 à 20 millions de personnes vivent, directement ou indirectement, du coton. En raison de sa bonne qualité, le coton est l’un des rares secteurs relativement compétitifs d’Afrique. Dès 2001, quatre pays du Sahel parmi les plus pauvres de la planète – Tchad, Burkina Faso, Mali, Bénin – ont demandé à l’OMC la suppression des subventions massives que les États-Unis et l’Union européenne accordent à leurs producteurs, ces aides alimentant une surproduction mondiale qui provoque la chute des cours. De fait, en 2005, le prix mondial des 500 grammes de coton est tombé au-dessous de 40 centimes d’euros, ruinant la plupart des producteurs de coton africains et leur famille et aggravant la situation de misère sociale déjà généralisée. Il faut dire aussi que les bailleurs de fonds internationaux – FMI et Banque mondiale – avaient imposé à ces pays la plus stricte orthodoxie économique, ce qui s’est traduit par l’ouverture forcée des marchés et la privatisation massive des services publics, y compris celle des compagnies cotonnières. Ces critères dits d’ajustement structurel ont jeté un nombre important d’Africains dans une extrême pauvreté. Pour y échapper, certains d’entre eux n’ont pas eu d’autre choix que de tomber dans le trafic des êtres humains, certains se retrouvant en Europe.
Si la lutte contre la traite des êtres humains est du devoir du citoyen qui revendique l’égalité pour tous, cette question ne peut être abordée indépendamment de celle du développement des pays dont sont issues les victimes de la traite. L’Afrique n’est plus la seule victime de cette nouvelle forme d’esclavage ; dans un contexte de mondialisation sauvage et généralisée, la traite des êtres humains s’est développée sur l’ensemble des continents, touchant également de plein fouet les pays de l’ancien bloc soviétique.
La traite des êtres humains est pratiquée à des fins très diverses : de l’exploitation au travail des mineurs, du personnel de maison – y compris dans les ambassades –, du personnel de restauration, des employés de sous-traitance, au trafic d’organes, l’exploitation des êtres humains en est à la fois l’objectif principal et le modus operandi.
Je veux souligner l’intérêt de la définition proposée à l’article 4 de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 décembre 2000. La traite des êtres humains est une combinaison de tous les éléments repris ci-dessus et non d’éléments pris isolément. Cette définition large, également adoptée par la convention du Conseil de l’Europe dans son article 4, constitue une base juridique qui exigera un changement tant de notre politique que de notre cadre normatif.
En France, la politique mise en œuvre pour combattre la traite des êtres humains s’appuie sur une conception restrictive et exclusivement répressive, contrairement à la définition adoptée par le texte du traité, et fort peu adaptée à la réalité. L’action de l’Office central de répression de la traite des êtres humains se limite à constater et à réprimer toute infraction ayant trait au proxénétisme, à centraliser tous les renseignements pouvant faciliter la recherche du trafic des êtres humains pour l’exploitation de la prostitution et à coordonner toutes les opérations tendant à la répression de ce trafic sur l’ensemble du territoire national. Alors que certains pays européens ont mis en place des mécanismes de protection des victimes de la traite, la France continue à considérer ces femmes et ces hommes comme des étrangers en situation irrégulière. Dès lors, aucune protection réelle des victimes ni aucun programme de réhabilitation ne sont envisagés. L’OCRTEH ne dispose d’aucun outil juridique spécifique pour lutter contre la traite des êtres humains. En l’absence de volonté politique, les forces de police ne disposent pas de structure où adresser les victimes pour les protéger.
La politique conduite en France est donc loin de la définition adoptée par la convention du Conseil de l’Europe. C’est la conséquence logique d’une approche très restrictive et réductrice : la lutte contre la traite des êtres humains est associée et pratiquement réduite à la lutte contre la migration illégale et contre le proxénétisme. La France doit donc adapter sa législation pénale et sa politique de lutte contre la traite des êtres humains en tenant compte de la nécessité d’élargir ce cadre. Une incrimination spécifique à la traite des êtres humains, telle que définie par la convention du Conseil de l’Europe, doit être introduite dans notre code pénal. Mais, dans le même temps, pour mener un vrai combat contre la traite, il est indispensable d’abroger les lois qui font l’amalgame entre criminalité internationale, immigration étrangère et traite des êtres humains.
Une politique de prévention, portant sur la protection des enfants et des victimes, l’accueil et un traitement décents dans le respect des droits humains fondamentaux, est la seule orientation qui peut se révéler efficace dans la lutte contre la traite des êtres humains. Elle doit faire l’objet d’une campagne de sensibilisation efficace dans les écoles et les divers établissements publics d’éducation. Mais je n’en trouve la trace nulle part dans les projets du Gouvernement, qui adopte plutôt une approche répressive. Quelles sont donc ses intentions s’agissant du lancement, dans les prochains mois, d’une telle campagne de sensibilisation en direction de l’enfance et de la jeunesse ?
Il est temps de mettre fin aux amalgames entre migration, criminalité organisée, sécurité, étrangers et traite des êtres humains. Tant qu’on ne prendra pas en compte les causes profondes, qui résident dans les disparités de développement entre pays riches et pays pauvres, y compris à l’intérieur de l’Europe, la lutte contre la traite des êtres humains, inscrite uniquement dans une politique visant à défendre la sécurité de la forteresse Europe sur des bases nettement répressives, sera insuffisante et n’agira que comme un cautère sur une jambe de bois.
Malgré toutes ces observations et les questions que j’ai pu poser en commission, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera ce traité, qui constitue une première étape, en attendant les autres. (Applaudissements.)
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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