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Confiance dans l’institution judicaire

Lors de votre prise de fonction, vous avez, monsieur le garde des sceaux, annoncé vouloir lancer, « enfin, la réforme du parquet tant attendue » et vouloir « améliorer la justice de notre pays ». Vous avez alors souligné « les conditions de travail déplorables dans lesquelles se débattent quotidiennement magistrats et greffiers » et annoncé vouloir « mettre en place une justice plus proche du citoyen ». C’est donc avec bienveillance que nous avons accueilli ces annonces au regard de la situation critique de la justice et de son manque criant de moyens.

Hélas, nos espoirs ont vite été déçus. D’abord par la méthode du Gouvernement qui, il est vrai est un peu toujours la même. La réforme que nous examinons est en effet contestée par l’ensemble, ou presque, des professionnels de la justice qui dénoncent l’absence de consultations préalables à l’élaboration d’une réforme « fourre-tout », « sans ambition », « mal rédigée ». Ils considèrent en effet que cet énième projet de loi prétendant réconcilier les citoyens avec leur système judiciaire est en décalage total avec la réalité des besoins de la justice.

Or, comme le souligne la présidente de l’union syndicale des magistrats, « la confiance ne se décrète pas ».

En effet, le désamour est bien réel puisque, selon une enquête du CEVIPOF publiée en février dernier, seuls 48 % de nos concitoyens disent avoir confiance dans l’institution judiciaire. Certes, en la matière, plusieurs mesures du texte constituent des avancées.

Je pense tout d’abord à la possibilité de filmer les procès pour un motif d’intérêt public et de les diffuser ultérieurement à la télévision. Cette mesure pourra présenter des vertus pédagogiques, à condition que ces diffusions ne soient pas l’occasion d’une course à l’audimat qui conduirait à privilégier les grands procès criminels ou ceux mettant en cause des personnalités publiques. C’est pourquoi nous proposons qu’elles soient confiées au service public.

Je songe également à l’encadrement de la durée de l’enquête préliminaire, qui garantira l’exercice d’une justice équitable – bien que le dispositif gouvernemental puisse être amélioré –, ainsi qu’au renforcement du secret professionnel de l’avocat. Nous nous réjouissons, à cet égard, que les garanties attachées au secret professionnel aient été étendues, en commission, à l’activité de conseil des avocats.

J’évoquerai enfin la réforme du statut des travailleurs détenus, lequel donne parfois lieu à des abus de toutes sortes, en particulier s’agissant de la rémunération et du temps de travail. Nous resterons donc très attentifs au décret qui sera pris par le Gouvernement, même si vous avez raison sur un point : il est urgent d’agir. Chacun sait en effet que les détenus ayant exercé une profession ou suivi une formation durant leur emprisonnement sont ceux qui présentent la plus faible probabilité de réincarcération.

Pour autant, comment pouvez-vous prétendre réconcilier le peuple et son système judiciaire quand vous généralisez les cours criminelles départementales au détriment des cours d’assises – ce qui écarte le peuple des décisions rendues en son nom ? Comment pouvez-vous prétendre restaurer la confiance de la population dans l’institution judiciaire quand les moyens dérisoires accordés à la justice, notamment civile, empêchent les professionnels de tenir les délais, ce qui contribue à l’exaspération populaire ? Comment pouvez-vous prétendre que vous vous inquiétez du sort réservé aux plus fragiles quand votre projet de loi ignore la justice de contentieux du quotidien, alors même que les mesures de déjudiciarisation et de dématérialisation prises ces dernières années ont encore un peu plus éloigné les justiciables des tribunaux de proximité ?

La justice civile rend 2,2 millions de décisions par an, quand la justice pénale en rend 800 000. Elle est donc au centre de la vie des Français. Pourtant, elle demeure la grande oubliée des réformes. L’annonce de l’embauche d’un millier de contractuels pour réduire les délais de traitement de la justice civile ne suffit pas à nous rassurer : 1,3 million de dossiers judiciaires sont en souffrance, avec des délais moyens de traitement de quatorze mois en première instance et de dix-sept mois en appel. Même si les 1 000 juristes assistants et renforts de greffe qui prendront leur poste d’ici à la rentrée de septembre auront pour tâche de délester les magistrats et les greffiers des tâches les plus chronophages, former des contractuels prend du temps et il est fréquent – nous le constatons régulièrement – que ces derniers, mal rémunérés, démissionnent avant la fin de leur contrat de trois ans. Seule la création de postes de magistrats et de greffiers permettrait à la justice civile de rendre des décisions intelligibles dans des délais raisonnables.
Ces contradictions n’auront échappé à personne – pas même à vous, monsieur le ministre. C’est pourquoi, sur ce texte qui, malgré quelques pas dans la bonne direction, passe pour l’heure à côté des vrais enjeux, nous réservons notre vote, en attendant de voir quelles avancées nos travaux permettront d’apporter.

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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