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Compétitivité de l’agriculture française

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je salue l’initiative de notre collègue Viala, car je pense qu’on ne parle jamais assez d’agriculture et d’alimentation dans cet hémicycle. Allons donc aujourd’hui jusqu’au terme du débat, sans rejet préalable avant la discussion des articles. (« Très bien ! » sur les bancs des groupes LR et LC.)
Cela dit, je regrette vraiment l’angle d’attaque qui est, dès son titre, pris par le texte. En faisant du mythe de la compétitivité de l’agriculture française l’alpha et l’oméga du redressement agricole du pays, vous vous trompez non seulement de mots mais surtout de maux. De fait, pour bien comprendre les choses, il faut, à mon sens, commencer par bien nommer les maux. Car la profonde crise de revenus que vivent nos paysans, européens et français, n’est pas, de mon point de vue, simplement conjoncturelle, liée à des aléas successifs ou aux seules contraintes administratives et fiscales, voire environnementales. Cette crise est structurellement contenue dans les choix politiques d’abandon des outils de régulation et d’intervention sur les prix d’achat de production : je pense en particulier à la maîtrise des volumes et du stockage.
Ces choix politiques sont en lien avec l’ouverture des échanges et la toute-puissance laissée à des opérateurs industriels et de la grande distribution, au détriment de la valeur ajoutée conservée par les producteurs. Ce n’est pas d’un manque de compétitivité dont souffrent nos paysans, mais d’un manque de revenus tirés du prix de la vente de leur production. Ce n’est pas la même chose. Cette crise structurelle prend racine dans l’application au secteur agricole depuis plus de trente ans de la doctrine néolibérale. Toujours aller vers le prix le plus bas : quel miroir aux alouettes !
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, j’ai la conviction que nous ne changerons pas en profondeur les conditions de vie, de travail, de production de nos agriculteurs sans nous attaquer à la racine des maux de l’agriculture. Pour agir efficacement, il faut des mesures fortes et non de simples palliatifs.
Nous le voyons d’ailleurs aujourd’hui. Après avoir agité pendant quelques semaines le chiffon rouge des États généraux de l’alimentation, le Président de la République et le Gouvernement ont fini par nous annoncer une forme de révolution copernicienne, qui porterait sur la répartition de la valeur ajoutée. D’ailleurs, mes chers collègues du groupe Les Républicains, je ne sais pas si vous l’avez constaté, mais le discours du Président de la République, hier, n’est pas sans rappeler celui prononcé par le Président Sarkozy, le 27 octobre 2009, à Poligny.
M. Jean-Pierre Vigier et M. Thibault Bazin. En moins bien !
M. André Chassaigne. Je vous invite à le relire : vous verrez qu’il y a un peu de copier-coller dans les propos du Président de la République.
M. Jean-Pierre Vigier. Exactement !
M. André Chassaigne. Mais on sait quelle suite a été donnée au discours de Poligny, et pour cause : après les mots, quand il s’agit de faire réellement, concrètement le bilan du libéralisme, de reconnaître ses échecs, tout devient plus compliqué ! Tout devient plus compliqué quand on continue de vouloir s’enfermer dans la nasse de la contractualisation censée régler des déséquilibres. Aussi, nous attendons de savoir, monsieur le ministre, sur quoi portera l’intervention annoncée de la puissance publique. De fait, après les sonneries de clairon et les roulements de tambour, il faudra bien intervenir sur le fond du problème, c’est-à-dire agir directement dans le rapport des forces entre des acteurs économiques aux capacités d’action totalement déséquilibrées.
M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est vrai !
M. André Chassaigne. Nous savons bien que les clauses contractuelles exigibles, comprenant de prétendus accords de modération des marges, n’interviendront en fait que de manière négligeable dans la solution à cette difficulté persistante. Le problème concerne les grands acteurs économiques de la distribution, de l’industrie agroalimentaire, qui profitent à plein des choix politiques de dérégulation et de libéralisation des marchés agricoles, non seulement au plan national, mais aussi, chacun le sait ici, à l’échelle européenne. Si l’agriculture ne sort pas du droit européen de la concurrence, nous ne pourrons pas imposer le prix minimum indispensable à la garantie de revenus. Tout le reste – je dis bien tout le reste –, c’est de la poudre aux yeux !
Pour revenir à votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, si certains articles de ce texte recueillent mon assentiment – nous avons d’ailleurs été quelques-uns à travailler ensemble, depuis quelques mandats, sur les questions agricoles –, force est de constater que ses dispositions principales vont toujours dans la même direction : l’accompagnement du libéralisme.
En analysant précisément son chapitre V, il me revient à la mémoire les échanges que nous avions déjà, en 2010, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, porté, à l’époque, par votre compagnon de parti, le ministre Bruno Le Maire. Il était déjà en pleine marche libérale, qu’il poursuit aujourd’hui par-delà les appartenances partisanes. (Sourires.) Je ne résiste pas à l’envie de vous livrer mon appréciation d’alors, tandis que le ministre déroulait le tapis vert de la contractualisation comme seule réponse politique à même de répondre à la crise de revenus des agriculteurs. Je lui disais :« Votre projet s’en tient […] à agiter le seul épouvantail de la contractualisation volontaire et de l’assurance privée, pour repousser les menaces liées à la libéralisation totale des échanges agricoles : contractualisation, assurance privée, la boucle est ainsi bouclée. Il n’y a pas de place pour les politiques publiques dans la sphère marchande, pas de place pour des mesures cohérentes d’intervention, de gestion de l’offre et d’orientation en matière de prix. » Je pourrais vous tenir les mêmes propos aujourd’hui, monsieur le ministre, comme je pourrais les formuler devant le Président de la République.
Nous verrons quelle place sera accordée aux politiques publiques dans la sphère marchande. Nous verrons quelle place sera faite à des mesures cohérentes d’intervention. Nous verrons comment on pourra gérer l’offre et l’orientation en matière de prix. Nous verrons si vous aurez le courage politique de remettre en cause la politique agricole commune qui, elle, tire toujours les prix vers le bas. Nous jugerons aux actes – nous aurons l’occasion d’en rediscuter. Mais déjà, à l’époque, parmi les organisations syndicales que nous avions auditionnées, il en était peu qui faisaient preuve d’enthousiasme à l’égard de la contractualisation, telle qu’elle était présentée. D’une façon générale, déjà, les organisations syndicales agricoles y voyaient un leurre plus qu’une solution. Elles soulignaient la nécessité d’une politique de régulation des marchés et d’outils d’intervention sur la définition des prix. On touche là directement à la politique agricole commune.
Je vais abréger mon propos, faute de temps, ce qui, je pense, ne vous laissera pas sans regrets. (Sourires. – « Quel dommage ! » sur les bancs du groupe LR.)
J’ai le sentiment douloureux que nous continuons, avec ce texte, comme avec les États généraux de l’alimentation, à tourner autour des vraies solutions qui s’imposent, mais sans jamais vouloir aboutir. Et pour cause : il s’agirait, entre autres choses, de remettre en cause les préceptes qui guident aujourd’hui l’ensemble des politiques européennes et nationales. Beaucoup d’entre vous, d’ailleurs, ont eu l’occasion de débattre de propositions de loi que j’ai défendues lors de la précédente législature. J’ai d’ailleurs déposé des amendements sur le présent texte, qui arriveront, je l’espère, en discussion – il est en effet important qu’elle soit menée jusqu’à son terme. Je crois en effet qu’il faut inscrire dans la loi des mesures fortes de nature à garantir le revenu des agriculteurs.
M. Thierry Benoit. Tout à fait !
M. André Chassaigne. Sur la question centrale de la répartition de la valeur ajoutée, je ne désespère pas que nous trouvions ensemble, d’ailleurs, des points d’accord.
Je veux revenir sur un grand trou dans la raquette de votre proposition de loi, qui figure d’ailleurs aussi dans l’intervention du Président de la République, lequel a évacué un peu trop facilement le problème : je veux parler des conséquences de l’application et de la poursuite des accords de libre-échange.
À ce sujet, l’audition, mardi dernier, de M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, a confirmé, s’il en était encore besoin, toutes nos craintes quant au positionnement de la Commission, mais aussi du gouvernement français, à l’égard du CETA et des négociations entre l’Union européenne et les pays du Mercosur – Marché commun du Sud. On s’émeut en public, devant les responsables agricoles, on gonfle les muscles, pour paraître volontaire, on annonce la révolution des prix, mais on appuie sur l’accélérateur au côté de M. Juncker, en Conseil des ministres européen : telle est la réalité ! Mes chers collègues, non seulement aucune garantie n’est apportée sur le volet agricole du CETA, en matière de respect des normes européennes ou de qualité des productions, mais on entend bien se servir de cet accord comme base de négociations des futurs accords. Naturellement, M. Hogan, comme M. le Président Macron, ne sont pas en capacité de justifier l’intérêt de ces accords pour notre agriculture.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. André Chassaigne. Au contraire, ceux-ci vont réduire à néant tous les efforts qui peuvent être faits…
M. Thierry Benoit. C’est vrai !
M. André Chassaigne. …de la même façon que, si l’on ne bouleverse pas la politique agricole commune, on peut accomplir tous les efforts possibles, vous pouvez engager une révolution copernicienne, elle restera limitée à des mots, et, in fine, demeureront les maux pour les paysans de notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes FI et LC.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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