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Commémorations du 11 novembre

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.
M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, chers collègues, lors des vœux aux forces armées en 2008, le Président de la République avait rappelé sa volonté de définir une politique de mémoire, affirmant que « la mémoire, c’est les valeurs qu’on célèbre, qu’on respecte et dont on décrit l’actualité pour les plus jeunes de notre pays. »
Sous prétexte que le dernier poilu est décédé, la commémoration du 11 novembre aurait vocation à évoluer – postulat, à nos yeux, contestable.
M. Pascal Brindeau. C’est une réalité !
M. Jean-Jacques Candelier. Penser que le souvenir de ce conflit doit s’effacer avec la disparition des combattants nous paraît en effet ouvrir une porte dangereuse pour la mémoire de tous les conflits, pas seulement pour le 11 novembre.
Tous les protagonistes des guerres disparaîtront un jour ou l’autre. Ce projet de loi, qui entend commémorer tous les morts pour la France le 11 novembre, quels que soient le conflit et la mission au cours desquels ils sont tombés, est-il le meilleur moyen d’entretenir le souvenir ? Nous ne le pensons pas car une telle solution présente, à nos yeux, deux risques : celui d’un déséquilibre croissant entre les différentes dates commémoratives et celui de la confusion de la pensée historique.
Certes, formellement, ce texte ne supprime pas les autres commémorations nationales inscrites à notre calendrier. Toutefois, il est évident, compte tenu de la formulation proposée, que le 11 novembre aurait tendance à se substituer aux commémorations existantes et à les hiérarchiser.
Le rouleau compresseur médiatique est déjà en marche : alors que le projet de loi n’est pas encore adopté, la simple interprétation du discours prononcé par le Président de la République, le 11 novembre, a suffi à accréditer l’idée d’un Memorial Day à la française !
Au-delà des garanties toutes théoriques apportées par la droite, il faut raisonner concrètement.
La mobilisation des lourds moyens de l’État le 11 novembre afin de consolider la cérémonie au fil des ans ne pourra que nuire aux autres dates, devenues superflues, puisque tous les morts pour la France seraient commémorés ce jour-là. Je souligne au passage que la teneur de la cérémonie pourrait être débattue et décidée collectivement au lieu d’être fixée par le seul cabinet du Président de la République.
On sent bien dans certains propos que la date unique est désirée. Ainsi Patrick Beaudouin souligne qu’« à trop vouloir segmenter la mémoire des conflits, on rend illisible le message que l’on souhaite transmettre ». Mais il oublie sans doute que c’est l’histoire même qui segmente les conflits, lesquels n’ont pas les mêmes origines, les mêmes causes et la même nature.
Ne pas accepter le verdict de l’histoire, c’est vouloir faire une construction politique forcément artificielle.
Le Gouvernement est conscient du changement de nature de l’engagement de nos forces armées. Pour faire simple, nous ne faisons plus la guerre chez nous, mais ailleurs et nous la faisons sur des durées parfois très longues. Nos soldats sont désormais engagés loin du territoire national, dans le cadre d’opérations extérieures qui peuvent s’avérer meurtrières et dont les objectifs sont globalement ignorés de la population, quand il ne s’agit pas de les cacher.
Depuis vingt ans, plus de 300 soldats sont morts en opérations extérieures. Plus de 8 000 militaires français sont projetés sur une vingtaine de théâtres d’opérations, faisant de notre pays l’un des plus impliqués à l’extérieur.
Je n’entrerai pas ici dans le débat du bien-fondé de telle ou telle opération extérieure. Je dirai seulement que la volonté de rendre un hommage particulier à ces morts en opérations extérieures est légitime mais que se pose la question du comment.
Le ministre de la défense et des anciens combattants a décidé la constitution d’un groupe de travail qui doit déboucher sur la réalisation d’un monument nominatif des morts en opérations extérieures. Autant rassembler les noms des morts pour la France en un seul espace peut se concevoir, autant rassembler les morts pour la France en une seule date pour les commémorer est une entreprise bancale.
Le fait d’honorer tout le monde en même temps n’a pas de sens. Cela entraînera plus de confusion qu’autre chose chez les citoyens.
D’après le rapporteur, il faudrait redonner « tout son éclat » au 11 novembre. Pourtant, le 11 novembre est bien identifié dans la mémoire nationale, il n’est pas utile ni souhaitable de le dénaturer.
La Grande Guerre a une spécificité historique : par le nombre d’États qui furent engagés - 22 -, par les 19 millions de morts et les 21 millions de blessés qu’elle a faits, par les plus de 60 millions de soldats qui y ont combattu. Ce fut la première guerre d’une telle ampleur, la Der des Ders.
Durant la Première Guerre mondiale, 1,7 million de nos citoyens sont morts, soit plus de 10 % de la population active masculine. Presque toutes les familles ont vécu la souffrance de perdre au moins l’un des leurs.
Ce conflit a redessiné la carte du monde et profondément influencé le déroulement du XXe siècle. Des empires disparurent, des blocs furent constitués, la Société des Nations fut créée. Comment penser le présent et envisager l’avenir si nous oublions progressivement d’où nous venons ?
M. Pascal Brindeau. Précisément !
M. Jean-Jacques Candelier. En ne procédant plus à des distinctions, en confondant les conflits, on s’interdit d’apprendre.
Le 11 novembre est une date qui a marqué l’histoire. Ce jour appartient à l’histoire et ne doit pas, à notre sens, s’imposer à l’actualité commémorative.
Est-il historiquement acceptable, comme le souligne la Fédération nationale des anciens des missions extérieures, la FNAM, que la date du 11 novembre puisse honorer effectivement les combattants morts lors d’opérations extérieures ? Est-ce que, comme le dit le rapporteur, « le sacrifice du soldat tombé en Afghanistan est de même nature que celui du soldat tombé à la bataille de la Marne ou à Verdun » ?
M. Pascal Brindeau. C’est une évidence !
Mme Françoise Hostalier. Absolument !
M. Jean-Jacques Candelier. Peut-on mettre sur un même plan un poilu de 14-18, un soldat mort en Afghanistan ou encore un résistant au nazisme ?
Mme Françoise Hostalier. Ce sont les mêmes valeurs qu’ils ont défendues !
M. Jean-Jacques Candelier. Nous ne le pensons pas. Il n’existe pas un message unique de la France que celle-ci porterait à travers les siècles. Ce serait une conception un peu idyllique de l’histoire.
La France a envahi l’Afghanistan et y mène une guerre d’occupation depuis plus de dix ans.
Mme Françoise Hostalier. Aurions-nous dû y aller si l’Union soviétique n’y était pas allée auparavant ?
M. Jean-Jacques Candelier. Depuis 2001, on compte une bonne dizaine de milliers de victimes chez les civils afghans. Oui, un pays peut un jour avoir été occupé de manière sanglante comme la France et se comporter aujourd’hui comme une puissance étrangère occupante.
Non, il n’existe pas de grand roman national, qui verrait une France mythifiée mener une guerre de civilisation perpétuelle au nom des valeurs républicaines et patriotiques. C’est une conception profondément magnifiée.
Ce lyrisme nationaliste est bon pour endormir les consciences de nos concitoyens et pour éviter qu’ils s’interrogent, qu’ils se remettent en cause ou qu’ils regardent la réalité en face.
M. Pascal Brindeau. Marx ressurgit !
M. Jean-Jacques Candelier. Je pense notamment au passé colonialiste de la France. On ne peut idéaliser l’action militaire de la République, elle qui s’y connaît en barbarie, en guerres stupides, agressives et impérialistes !
Une démarche lucide et apaisée nécessite de rompre avec un certain bellicisme, un autocentrisme et une glorification du combat et des valeurs de la France.
Je soutiendrai tout à l’heure un amendement tendant à réhabiliter tous les fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale. La nation doit exprimer officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Les noms des fusillés doivent être portés sur les monuments aux morts de la guerre de 14-18 et la mention « Mort pour la France » doit leur être accordée. Ce n’est qu’ainsi que la représentation nationale rendra justice à tous ceux, frères de combat, qui ont payé de leur personne. Ce n’est qu’ainsi que tous les morts de la Grande Guerre réintégreront enfin la mémoire nationale.
Pour rendre vivante notre démocratie, il est nécessaire que les générations nouvelles reçoivent connaissance des faits mémoriels historiques. Être critique avec nous-mêmes est encore le meilleur moyen de promouvoir et de défendre la paix.
Hommage doit être rendu aux anciens combattants de chaque guerre à la date historique de la fin de ces conflits – j’y reviendrai concernant la guerre d’Algérie.
Permettre d’exposer les causes des conflits aux populations dans le but de leur permettre d’agir pour empêcher les drames, les injustices, les massacres, les exactions, les crimes de guerre et toutes les atteintes à la dignité humaine : voilà notre objectif.
Vous le voyez, nous sommes relativement éloignés de la philosophie actuelle du projet de loi, lequel constitue, après la suppression, dictée par la RGPP, des délégués à la mémoire combattante dans les offices départementaux, un coup porté au travail de mémoire, à la pédagogie et à la culture combattante.
Je profite des derniers instants qui me sont accordés pour évoquer la situation des pupilles de la nation. Mémoire et reconnaissance font bon ménage ! À la suite du rapport de la commission nationale de concertation chargée par le Premier ministre d’étudier le dossier des orphelins de guerre, le Gouvernement examine les améliorations à apporter au dispositif d’indemnisation des pupilles de la nation afin de corriger les inégalités. Un projet de décret est en phase d’approbation.
Les résistants qui sont morts en luttant contre la barbarie nazie seraient pour le moins choqués de constater que leurs enfants ont été exclus de l’indemnisation ! Les orphelins pupilles de guerre veulent simplement que l’on reconnaisse le sacrifice de leurs parents et leur peine. C’est cette reconnaissance qui compte pour eux.
Depuis toutes ces années, le traitement de ce dossier n’a que trop tardé. Tous les députés attendent des avancées rapides sur l’égalité de traitement et peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourrez-vous nous renseigner sur la parution du décret précité.

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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