Nous serons nombreux à citer ces chiffres qui disent l’ampleur du phénomène du harcèlement scolaire : en moyenne, ce sont deux à trois enfants ou adolescents par classe qui en seraient victimes. Pourtant, de tels chiffres, massifs, ne reflètent peut-être pas entièrement la vérité : les victimes sont certainement plus nombreuses encore, tant le phénomène est difficile à repérer et à nommer. Il peut revêtir différentes formes – harcèlement moral, physique, sexuel ou encore racket –, qui peuvent d’ailleurs se cumuler ; il a lieu à l’école mais peut aussi se passer sur les réseaux sociaux, auquel cas il se trouve particulièrement amplifié. Il est aussi, à bien des égards, difficile à déceler : il s’effectue souvent en silence, et les actes en question sont trop souvent interprétés comme des chamailleries d’enfants. Les adultes, qui ne sont pas suffisamment nombreux ni formés, ne sont pas toujours capables de repérer les phénomènes de microviolence qui relèvent du harcèlement scolaire. Parfois même, pensant bien faire, ils font plus de mal que de bien.
Ce fléau nous touche donc toutes et tous et il est urgent de proposer des mesures pour le combattre. Je l’ai dit à plusieurs reprises au cours des précédentes lectures du texte : en tant que législateurs, il est important que nous abordions ce sujet ; je vous en remercie donc, monsieur Balanant. En revanche, je continue de penser que le texte, par son déséquilibre, ne nous met pas sur la bonne voie pour lutter contre le harcèlement scolaire.
L’article 1er, qui consacre au sein du code de l’éducation un droit à la protection contre le harcèlement scolaire, va dans le bon sens : un interdit s’y trouve à cet égard formulé. Le fait de dire que les enfants doivent être protégés par l’école constitue une avancée, qui permet à la communauté éducative de s’appuyer sur un interdit précisément défini. L’école doit être un lieu sécurisant pour les élèves et l’article 1er est conforme à l’article 28 de la CIDE – Convention internationale des droits de l’enfant –, selon lequel tous les enfants doivent pouvoir bénéficier de la même instruction et aller à l’école dans un environnement favorable à leur apprentissage.
L’article 3, qui prévoit la prise en charge des enfants harcelés par la médecine scolaire, constitue un très bon signal. Mais cela nécessite des moyens ; or ils sont insuffisants. La médecine scolaire souffre d’un manque de financement : on dénombre 1 médecin scolaire en poste pour 12 500 élèves, et les infirmières scolaires, seules représentantes de la médecine scolaire au sein des établissements, sont en sous-effectif. Ce sous-investissement fragilise le repérage et l’accompagnement des enfants victimes ou responsables de harcèlement. Il en va de même pour les psychologues scolaires, qui sont pourtant des acteurs clés dans la lutte contre le harcèlement scolaire. Une telle mesure doit donc être accompagnée d’un engagement financier clair de la part du ministre, engagement que nous attendons toujours.
Nous nous opposons en revanche à la création d’un délit de harcèlement scolaire au sein du code de procédure pénale. La criminalisation des enfants auteurs de harcèlement n’est en rien une solution permettant de rendre justice aux victimes. Aujourd’hui, les articles 222-33-2 et suivants du code pénal peuvent concerner le harcèlement scolaire ; il n’est pas nécessaire de les compléter pour décréter qu’il est interdit de harceler. La proposition sénatoriale consistant à supprimer la peine de harcèlement scolaire en la remplaçant par une circonstance aggravante, qui n’était certes pas parfaite, a été rejetée. Elle allait pourtant dans le bon sens.
La prévention, lorsqu’elle est accompagnée de moyens, est à nos yeux plus efficace que la sanction pénale. Mais, monsieur le rapporteur, faute d’un engagement précis, chiffré et assorti d’un calendrier précisant les moyens investis dans la prévention, le texte est déséquilibré. Il introduit en effet des sanctions pénales qui s’appliqueront immédiatement une fois la loi promulguée, alors que le volet relatif à la prévention et à l’accompagnement des victimes demeure pour le moment lettre morte, faute
d’engagements clairs en la matière.
Nous avions d’ailleurs déposé en première lecture un amendement visant à inscrire la lutte contre le harcèlement scolaire dans le programme d’enseignement moral et civique. En effet, dans le cadre de ces cours, des associations spécialisées dans les questions de citoyenneté peuvent intervenir. Nous avons noté une forme de décalage générationnel quant à l’approche du cyberharcèlement ; c’est pourquoi nous avons proposé que des temps soient consacrés à l’intervention de ces associations, qui connaissent bien le sujet, d’autant que les enseignants disent eux-mêmes ne pas disposer des outils permettant d’appréhender au mieux le phénomène.
Le sujet de la présente proposition de loi mérite donc d’être abordé ; en revanche, la manière de l’envisager et de le traiter ne nous convient pas. En l’état du texte, nous nous abstiendrons donc.