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Collectivités territoriales : réforme des collectivités

Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre d’intervenir assis. Des soucis achilléens m’empêcheraient de rester un quart d’heure debout, sur une seule jambe.
Monsieur le secrétaire d’État, nous abordons aujourd’hui le cœur de la réforme territoriale entamée il y a quelques mois à la faveur de textes a priori anodins comme celui relatif à la concomitance, mais surtout de réformes comme celle sur le Grand Paris ou la taxe professionnelle. En quelques coups de crayon, c’est l’ensemble du paysage territorial qui est redessiné dans ses compétences, ses hiérarchies, ses équilibres. Le redécoupage des cantons ne manquera pas de finaliser un schéma déjà bien engagé.
Cette reforme aura des conséquences tant sur le fonctionnement de notre République que sur les principes fondamentaux de la décentralisation engagée maintenant depuis plusieurs décennies. Cette réforme était indispensable – mais pas sous cette forme – tant les logiques de développement de certains territoires s’essoufflent car elles sont noyées par des intérêts locaux et fermées à toute nouveauté.
Il s’agit donc moins de refuser toute logique de réforme que de rappeler les principes fondamentaux que nous devons avoir en tête pour réformer en profondeur les logiques de développement territorial.
C’est pourquoi, comme pour le débat sur le Grand Paris, il est indispensable de rappeler un certain nombre de principes fondamentaux, en commençant par celui du développement métropolitain basé sur l’égalité et la solidarité afin de lancer des dynamiques fondées sur des synergies nouvelles mettant en œuvre une autre logique de développement.
La construction de ces nouvelles dynamiques devrait être dictée par la réduction des inégalités territoriales. C’est d’ailleurs dans ce sens que les pôles urbains multifonctionnels, agissant comme de véritables centralités, en réseau, doivent être réaffirmés avec au centre du processus de construction un véritable respect du partage du pouvoir, permettant des coélaborations et des codécisions avec les collectivités territoriales, en particulier sur la définition des orientations et des mobilisations territoriales, dans le respect des grands principes de la décentralisation.
Il ne faut pas oublier non plus la place du citoyen dans le débat politique qui, si elle est au cœur de votre discours, reste pourtant la grande absente de ce texte. Bien au contraire, alors que les taux d’abstention atteignent des records, que les élus locaux ou nationaux sont chaque jour un peu plus discrédités, que le débat politique ne cesse de s’appauvrir à force de courir derrière des logiques strictement à court terme, il serait urgent de prendre cette question à bras-le-corps. Or, là où l’on aurait souhaité une dose de proportionnelle, c’est un scrutin uninominal à deux tours qui a été privilégié. Là où nous aurions voulu introduire un réel respect de la parité, c’est un mode de scrutin fermé à ces considérations qui a été validé.
Par ailleurs, nous attendons toujours, et ce depuis plus de deux ans, l’institutionnalisation du référendum d’initiative citoyenne, dispositif qui nous avait été présenté comme la caution citoyenne de la réforme constitutionnelle.
Pourtant, à en croire les exposés des motifs, déclarations des ministres et autres arguments, deux sujets reviennent régulièrement : réconcilier les citoyens avec la politique et donc avec leurs élus et faire des économies en mettant fin au fameux mille-feuille administratif. Or, que ce soit la création des conseillers territoriaux ou l’absence de règlement de la question financière, rien dans ce texte ne règle ces questions.
Bien au contraire, sous couvert de diminuer le nombre d’élus, les conseillers territoriaux feront en réalité office d’élus cumulards institutionnels, voire professionnels, le tout pour des économies proches de zéro, voire des surcoûts, puisque, par exemple, les hémicycles régionaux devront être quasiment tous reconstruits pour accueillir tout le monde.
Le conseiller territorial cumulera donc des fonctions. Votre projet institutionnalise le tripatouillage électoral car il est très clair que le mode de scrutin obligera à des marchandages, canton par canton, en fonction des intérêts locaux des uns et des autres.
Dans ces conditions, réduire de moitié le nombre d’élus, c’est au contraire, croyons-nous, distendre le lien qui unit le conseiller aux habitants des territoires. Moins d’élus, c’est très clairement moins de proximité.
D’ailleurs, la proximité devrait aussi passer par la constitution d’assemblées à l’image de notre société – malheureusement pas au sein de notre hémicycle et encore moins ce soir –, en respectant la parité. Lors du débat sur la réforme constitutionnelle, vous avez systématiquement balayé d’un revers de main l’ensemble des amendements proposant l’introduction d’une dose de proportionnelle. Permettez-nous donc de douter de la sincérité de votre propos quand vous affirmez que la justification essentielle de cette réforme est de réconcilier les citoyens avec le politique. La valeur contraignante de la loi de 1999 s’est envolée en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire.
De la même façon, cette réforme des collectivités locales était l’occasion parfaite pour introduire enfin le droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers non communautaires, bref de mettre nos institutions au goût du jour. Or, à l’heure où l’abstention devient la donnée essentielle du débat politique, tout devrait être mis en œuvre pour redynamiser la participation citoyenne. C’est dans ce cadre que l’exercice de la citoyenneté doit être perçu comme un facteur essentiel d’intégration à la société française. Dans bon nombre de communes, les habitants, français ou étrangers, ont été consultés sur ce sujet et, chaque fois, une majorité d’entre eux s’est dite favorable au droit de vote des étrangers. Le chef de l’État lui-même s’était dit partisan de cette ouverture. Or il semblerait qu’il ait tout simplement décidé de revenir sur ses engagements de campagne faute d’avoir converti sa majorité à cette position.
Nous pensons que l’égalité des droits, notamment en ce qui concerne la participation à la vie politique du lieu de résidence, est une condition indispensable à une véritable représentation de la souveraineté populaire ainsi qu’à un dynamisme citoyen au niveau local.
Tous ces éléments, essentiels au débat politique, sont évidemment absents du texte qui nous est proposé aujourd’hui. Ces grands absents marquent une rupture de taille par rapport à notre vision de la société, et ce d’autant plus qu’on assiste à une véritable recentralisation via la suppression de la clause de compétence générale des communes et des départements. Les manœuvres fiscales du Gouvernement et l’application de la révision générale des politiques publiques aux dépenses locales engendrent un phénomène de sous-financement qui obligera les conseils généraux et régionaux à réduire la voilure de leur action.
La réforme des collectivités a commencé avec le vote du Grand Paris en posant le problème des ressources financières. Là encore, elle est sous-jacente à chacun des articles, à chaque nouvel échelon, sans jamais être affrontée. Une fois encore, elle est évacuée, laissée pour compte avec des marges de manœuvre locales très faibles, surtout sur nos territoires populaires où, soit dit en passant, il est difficile d’envisager l’augmentation de la taxation des ménages à revenu moyen, déjà largement taxés, et où les élus sont parvenus à créer un véritable lien avec les entreprises sans nuire pour autant à leur capacité d’investissement et à la création d’emplois.
Sans compter que l’accroissement de la dépense publique locale résulte pour beaucoup des transferts de compétences organisés par l’État. Celui-ci s’endette, y compris auprès des collectivités locales, puisqu’il refuse de compenser les transferts de charges. Le Conseil d’État, dans son arrêt du 30 décembre 2009, a d’ailleurs contraint l’État à assurer ces compensations, et le condamne même à verser des dommages et intérêts aux départements lésés.
À ces cruelles restrictions financières s’ajoutent une recentralisation forcée ainsi qu’un autoritarisme étatique via des préfets aux pouvoirs exorbitants dans la nouvelle architecture administrative de la France. À tous les échelons, c’est donc très visiblement un coup d’arrêt à la décentralisation qui est porté par le Gouvernement. Si celui-ci veut se passer des régions et des départements qui contrebalancent tant bien que mal la politique de l’Élysée, son objectif principal est surtout de favoriser le désengagement de l’État.
Or, dans le contexte actuel, il nous faut chercher à accroître l’efficacité de l’action publique, qu’elle soit locale ou nationale, afin de mieux mettre en œuvre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, et de promouvoir une société solidaire. Moins de services publics dans nos territoires, c’est l’ouverture de nouveaux marchés pour le privé, c’est la promesse de profits multipliés pour ceux qui soutiennent le chef de l’État et qui ont créé la crise.
Face à la montée des inégalités, les services publics sont garants de l’exercice effectif des droits fondamentaux en vertu desquels la solidarité prime sur la concurrence, la stabilité sur la précarité, l’indépendance sur la soumission aux intérêts particuliers. Or ce n’est pas du tout ce à quoi nous assistons actuellement puisque fusions, externalisations et autres privatisations détruisent petit à petit, mais durablement, les fondements du service public sans permettre à d’autres solutions publiques d’émerger.
C’est au contraire une logique de développement territorial renforcé, fondée sur une autonomie financière assurée, dotée de moyens humains beaucoup plus importants que nous devrions adopter. C’est le nœud du problème, et d’autant plus depuis l’annonce surréaliste, la semaine dernière, du gel de 10 % des dotations de l’État aux collectivités territoriales – comme si cela ne suffisait pas à couper l’herbe sous le pied aux communes, départements et régions, qui sont déjà asphyxiées par des transferts de compétences sans transferts financiers équivalents.
Si ce texte fait l’impasse sur les points que je viens d’énumérer alors qu’ils sont, évidemment, essentiels à la construction d’un paysage territorial rénové, équilibré et porteur d’avenir, il a néanmoins le mérite, je le reconnais, de proposer une logique de développement territorial axé sur l’ouverture à d’autres territoires, et une logique de construction collective.
J’aurais aimé y voir une volonté de mettre fin aux baronnies locales, à l’hypocrisie des communes toutes-puissantes qui, sous couvert de représenter l’échelon le plus proche des citoyens, se referment sur elles-mêmes en prônant des logiques protectionnistes où les notions d’égalité et de solidarité ne sont plus considérées comme des piliers constitutifs de notre République. J’aurais donc aimé déceler dans la création des pôles métropolitains ou encore dans la facilitation de la création des intercommunalités une volonté de l’État de laisser de nouvelles dynamiques de territoires prendre leur envol afin de répondre durablement aux inégalités sociales et économiques.
Il nous est effectivement indispensable, pour « faire société » – et cela à l’échelon national – et améliorer la qualité de vie de nos compatriotes, de mettre en valeur la réalité des potentiels de nos régions tout en prenant en compte les impératifs environnementaux et de cohésion sociale. La poursuite d’un développement inégalitaire des territoires, favorisant toujours plus d’exclusion et de ségrégation insupportable, ne peut continuer de constituer un axe de construction territorial et national. Cela reviendrait à concentrer les richesses sur un hyper centre survalorisé, certes élargi, mais vidé de sa mixité sociale par la libre loi du marché, les plus modestes devant s’éloigner toujours plus loin.
N’oublions pas que les territoires où la présence de l’État est la moins visible, souvent les territoires les plus populaires, sont aussi ceux qui se révèlent les plus riches d’expériences novatrices, des laboratoires où des dynamismes singuliers peuvent se développer. Ils mènent souvent des expériences volontaristes, construisent des territoires de solidarité où toutes les forces vives peuvent exprimer leur engagement.
Il est donc essentiel que la métropolisation parte de ces expériences locales en respectant une logique de développement résolument différente, solidaire, « durable », ouvrant des perspectives pour toutes les populations : riches ou pauvres, jeunes ou vieux, salariés ou chômeurs, avec ou sans papiers… C’est par la question sociale, en incluant tout le monde, qu’il faut aborder celle de l’attractivité, en liant le développement économique au développement social. Chacun, fort de potentiel et de rayonnement, doit pouvoir faire partie d’une centralité dynamique. Il s’agit de construire un projet de territoire qui assure l’égalité et dont le moteur soit la solidarité, avec pour méthode la coopération politique, administrative et économique.
C’est pourquoi, tant qu’ils s’inscrivent dans une logique de désenclavement des territoires les plus populaires, je crois que la construction de pôles métropolitains associés à l’échelon intercommunal pourra permettre de redynamiser les logiques de territoire en dépassant celles très fermées et trop strictes voire très égoïstes des communes. Le concept de pôle devient essentiel s’il correspond à la reconnaissance d’une pluralité de dynamiques de centralités construites en réseau et s’il prend en compte la multipolarité. Le pôle doit néanmoins répondre aux principes que j’ai énumérés au début de mon intervention et surtout s’appuyer sur une réalité financière crédible et durable.
Le devenir de la métropole doit rester un processus coproduit avec les territoires ; c’est par un projet humaniste de métropole solidaire que nous répondrons efficacement aux défis environnementaux et sociaux du XXIe siècle sans tourner le dos aux dynamiques que nous défendons ni à la grande ambition que nous nourrissons aussi pour Paris métropole.
Je ne nie donc pas la nécessité d’une réforme, pas plus que d’aucuns sur ces bancs, tant l’échelon communal s’essouffle, tant la répartition territoriale actuelle ne saurait répondre pleinement aux impératifs économiques et sociaux que je viens d’évoquer. Toutefois, le présent texte, ainsi que celui du Grand Paris, la réforme de la taxe professionnelle ou encore la réforme générale des politiques publiques visent à réduire les possibilités pour les collectivités territoriales, quelles qu’elles soient, de remplir leurs fonctions et de développer des services publics répondant aux besoins et aux attentes de l’ensemble des populations.
Ces différentes réformes balayent, les uns après les autres, les derniers contrepouvoirs au tout-puissant État. Ces derniers sont pourtant le reflet de la bonne santé d’une démocratie. Or que ce soit la presse, la liberté d’expression, de manifestation ou ici l’autonomie ou l’inventivité des collectivités territoriales – indissociable d’une autonomie financière –, toutes font l’objet depuis 2007 d’attaques frontales. Nos concitoyens ne sont néanmoins pas dupes. Ils sont tout à fait capables de comprendre que les collectivités locales sont trop souvent les derniers représentants publics vraiment présents dans les territoires, en particulier dans les plus populaires, c’est-à-dire ceux qui ont le plus besoin d’un appui et d’une présence publics. Cette réforme territoriale complique nos institutions et éloigne un peu plus les élus de leur terrain.
Sont soumis à notre examen trois grands textes : le Grand Paris, la suppression de la taxe professionnelle et, aujourd’hui, la réforme des collectivités locales, qui toutes participent d’un même projet politique très bien orchestré. Ne perdons pas de vue que tout est absolument lié. La dynamique engagée par le Gouvernement va clairement dynamiter les logiques de survie des territoires les plus vulnérables. C’est pourquoi, sans une véritable prise en compte de l’élément humain, sans règlement de la question des ressources financières, sans l’affirmation d’une réelle volonté de résorber les inégalités sociales et territoriales ou de dialoguer avec les collectivités locales, le texte restera pour nous inacceptable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Patrick
Braouezec

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