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Collectivités territoriales : réforme des collectivités

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec ce texte, il s’agit, pour le Gouvernement et sa majorité, de faire un pas de plus dans la mise en ordre de marche de la société française pour appliquer plus et mieux les dogmes de la politique libérale qu’ils défendent.
Nous assistons tous les jours à la faillite de cette politique au plan économique, et aux drames sociaux qu’elle provoque mais, qu’à cela ne tienne, vous continuez.
Après avoir démoli les services publics ou leur avoir porté de sévères atteintes, alors qu’ils permettaient de répondre aux besoins de nos concitoyens en atténuant les inégalités – je pense à l’électricité, à la poste, au logement, à l’éducation ou à la santé –, vous vous en prenez désormais aux collectivités territoriales qui, elles aussi, tentent de répondre à ces besoins.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui s’inscrit dans la continuité du rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Édouard Balladur, rendu public en mars 2009. Il applique aux collectivités locales votre choix politique de désengagement et de réduction des dépenses publiques poursuivi depuis 2007.
La suppression de la taxe professionnelle, votée à l’automne dernier, dans le cadre de la loi de finances pour 2010, constituait une première étape de la mise en œuvre de ce projet en s’attaquant directement aux ressources des communes.
La nécessité de remettre en cause l’autonomie des départements et des régions s’est faite plus pressante après les échecs cuisants subis par la majorité présidentielle lors des dernières élections locales.
De ces échecs, le Gouvernement a conclu, premièrement, qu’il devait imposer d’en haut, par la loi, aux départements, aux régions et à leurs habitants cette politique de désengagement pourtant rejetée par les électeurs et, deuxièmement, qu’il devait changer le mode de scrutin pour limiter ce rejet.
Tel est l’objet de ce texte qui, de surcroît, supprime la clause de compétence générale : il organise en quelque sorte la reprise en main des collectivités territoriales par l’État. Sous couvert « d’ancrer durablement la décentralisation », comme l’énonce l’exposé des motifs dans une langue à laquelle nous sommes désormais habitués, les départements et les régions vont se trouver corsetés dans leurs prérogatives, après que les communes ont été privées de l’essentiel de leurs ressources. Voilà donc votre conception de la décentralisation et de son ancrage !
Ainsi que je viens de le rappeler, le texte supprime la clause de compétence générale des départements et des régions, qui leur permet d’intervenir dans des domaines qui ne sont pas strictement de leur ressort. Or, si les collectivités locales se permettent d’outrepasser leurs compétences, ce n’est ni par plaisir ni pour concurrencer l’État ; c’est bien pour répondre à des besoins dans des domaines dont, précisément, l’État lui-même s’est désengagé.
Si certaines villes financent des centres de santé, c’est parce que l’État est incapable d’assurer l’accès de tous aux soins, qu’il s’agisse de la couverture médicale ou des dépassements d’honoraires que ce gouvernement refuse obstinément de réguler. À Nanterre, par exemple, tous les gynécologues sont en secteur 2 : les seules consultations sans dépassements d’honoraires se font dans les centres de santé et à l’hôpital public. Voilà à quoi sert la clause de compétence générale : elle permet de pallier localement les défaillances de l’État.
Si ce texte a le mérite de ne pas s’attaquer à la clause de compétence générale des communes – ce qui, de toute façon, aurait été superflu après la suppression de la taxe professionnelle qui les prive de l’essentiel de leurs ressources –, il n’en est pas de même pour les départements et les régions.
Le milieu du sport associatif s’est ainsi vivement inquiété des conséquences de la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions. Le sport associatif, qui a déjà subi le démantèlement du ministère des sports, la suppression des directions départementales et régionales de la jeunesse et des sports, la fermeture d’un certain nombre de CREPS, la privatisation rampante de l’Institut national du sport et de l’éducation physique, la suppression de 4 550 postes de professeurs d’EPS en sept ans – et j’en passe –, redoute à juste titre les conséquences de l’impossibilité pour les départements et les régions de financer les associations sportives. Dans un rapport récent, le Comité national olympique et sportif français, qui regroupe 107 fédérations, 180 000 associations sportives, 3,5 millions de bénévoles et 16 millions de licenciés, a fait part de ses préoccupations. De même, la fédération sportive et gymnique du travail, la fédération française des clubs omnisports et de nombreux clubs de base ont vivement dénoncé ces dispositions.
Le sport a été le grand oublié des lois de décentralisation, puisqu’il n’apparaît dans aucune des compétences transférées aux collectivités, la loi se contentant d’encadrer la construction, l’entretien et la mise aux normes des équipements sportifs nécessaires à la pratique de l’éducation physique et sportive. Pour autant, le financement du sport par les collectivités locales est aujourd’hui déterminant, puisque les contributions des régions et des départements à la pratique du sport sont aujourd’hui de l’ordre de 1,3 milliard d’euros. Le Comité national olympique a ainsi rappelé que « les concours des collectivités territoriales dans la fertilisation et le développement des actions locales s’avèrent indispensables pour le devenir de nos activités sportives et des missions qui s’y rattachent, chaque niveau territorial devant être mis en capacité d’intervenir. »
Sur ce point, les précisions que M. Marleix a pu apporter aux membres du CNOSF ne les ont pas totalement rassurés, puisqu’ils persistent à craindre que « sans le concours des collectivités territoriales, d’une part, et sans l’engagement de l’État, d’autre part, la construction associative sportive [ne se désagrège] progressivement. »
Le problème se pose également, bien qu’en des termes différents, pour les milliers d’associations culturelles, les troupes de théâtre amateurs, les artistes, que les collectivités territoriales aident puisque l’État s’en désintéresse. Ils craignent de voir régions et départements perdre leur compétence en matière culturelle, alors que la réforme de la taxe professionnelle met déjà en péril les finances de ces collectivités.
Il faut croire que la mobilisation a porté ses fruits, puisqu’un amendement voté en commission prévoit que « les compétences en matière de patrimoine, de création artistique et de sport sont partagées entre les communes, les départements et les régions ». C’est une bonne nouvelle ; encore faut-il que cet amendement soit maintenu et adopté en séance publique.
Néanmoins, d’autres secteurs vont immanquablement pâtir de la suppression de la clause de compétence générale. Dans mon département des Hauts-de-Seine, volontiers présenté comme un laboratoire du sarkozysme, il y a longtemps que cette politique est appliquée et que la clause de compétence générale est remise en cause. On peut ainsi citer l’exemple des crèches et de la petite enfance, des transports en commun, des bourses pour les lycéens et les étudiants : autant de domaines dont le département le plus riche de France s’est désengagé. Les aides aux associations, sportives, culturelles ou sociales, financées dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale, et la politique du logement ont également fait les frais de cette rigueur départementale.
Dans tous ces domaines, on constate, dans les Hauts-de-Seine, que les premières victimes de ces choix politiques sont les plus modestes, celles et ceux que la crise a déjà considérablement affaiblis. Ce n’est évidemment pas surprenant. Au reste, une récente enquête de l’INSEE montre que les services publics sont devenus le premier facteur de redistribution. En vous attaquant aux services rendus par les collectivités, vous remettez donc en cause l’aide aux plus fragiles, en même temps que vous leur annoncez de nouvelles mesures de restriction.
Dans d’autres départements, d’autres majorités font le choix inverse. Ainsi, sans attendre la réalisation, très hypothétique, de la promesse du candidat Sarkozy de créer un droit opposable à la garde d’enfant, le département du Val-de-Marne, pour ne citer que cet exemple, a choisi de développer des crèches départementales, pour être au plus près des attentes des Val-de-Marnais.
C’est ce libre choix que vous souhaitez empêcher, en corsetant les compétences des départements et des régions, en vous attaquant à la liberté qui est encore la leur de conduire la politique choisie par les électeurs. Au bout du compte, c’est bien à la démocratie locale que ce projet de loi porte atteinte, pour mieux imposer votre politique injuste et dangereuse. Au fond, c’est l’exercice de la démocratie et de l’action publique collective au service de tous qui vous est insupportable. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
 

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Jacqueline
Fraysse

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