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Collectivités territoriales : réforme des collectivités

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je reconnais bien volontiers que le Gouvernement, dans ce débat qu’il conduit depuis plusieurs mois sur la réforme des collectivités territoriales, fait preuve d’une certaine habileté, pour ne pas dire d’une habileté certaine, pour banaliser les enjeux de la réforme et pour en minimiser les conséquences, que je considère comme gravissimes pour l’avenir même de la République. L’habileté consiste à tenter de faire apparaître cette réforme comme une évolution naturelle, sous réserve de simplification et de clarification. Cet exercice, le Gouvernement le mène, il faut bien le dire, au prix d’un flou artistique, d’une confusion d’ambiguïtés délibérément et savamment entretenues, au point de laisser croire à certains que, sur le sujet, sa position n’est pas tout à fait claire et pas encore totalement tranchée, ce que, pour ma part, je ne crois pas.
La logique eût voulu que le débat sur la réforme des collectivités territoriales vienne après un débat sur la répartition des compétences. Ce n’est pas le cas. Je dirais même que le débat que nous avons aujourd’hui aurait dû être, de mon point de vue, précédé d’un bilan précis de près de trente années de décentralisation. Il faut en effet clarifier la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, mais aussi les compétences de l’État : il faut redéfinir ce que doivent être la place et le rôle de l’État, place et rôle qui n’ont cessé de diminuer toutes ces dernières années.
L’objectif de la réforme est clair et sa philosophie se trouvait déjà dans le rapport Balladur : ce rapport concluait au regroupement des communes pour en réduire le nombre, et, sinon à la disparition des départements – comme l’envisageait clairement le rapport Attali –, au moins à leur évaporation, ainsi qu’au regroupement, à la fusion des régions.
Votre réforme ne pouvait pas reprendre directement toutes les préconisations du rapport Balladur, d’abord, parce que, si vous l’aviez fait, vous auriez provoqué, je crois, des réactions très vives, encore plus vives que celles suscitées par votre projet, ensuite parce que vous n’auriez pas pu faire l’économie d’une révision de la Constitution.
Vous avez choisi une voie plus subtile, plus insidieuse aussi : on ne supprime pas formellement de collectivités, on ne crée pas formellement de collectivités, mais c’est bien une nouvelle architecture qui se profile, dans laquelle vont se côtoyer nos collectivités actuelles, appelées, je crois, à disparaître à terme, et de nouvelles institutions, de nouvelles entités, les communes nouvelles, les métropoles, sous couvert d’intercommunalité et d’interterritorialité.
Cette nouvelle architecture entraînera un bouleversement de notre paysage administratif, un bouleversement permis, il faut bien le dire, par la liberté que prend ce texte avec la distinction, classique pourtant, entre une collectivité territoriale et un établissement public de coopération intercommunale : la collectivité locale est normalement caractérisée par la clause de compétence générale, corollaire de la libre administration, alors que l’établissement public est caractérisé par le principe de la spécialité.
Nous en avons d’ailleurs un bel exemple avec la création des métropoles : le rapporteur de la commission des lois écrit dans son rapport que la métropole, qui ressemble à une collectivité territoriale mais qui n’en est pas une, représente un saut qualitatif par rapport à l’établissement public de coopération intercommunale.
Je me contenterai de deux séries de remarques qui touchent véritablement, je crois, au fond de la réforme et aux principes qui sont en cause.
D’abord, j’ai la conviction que ce texte porte atteinte aux principes mêmes de la République. Il porte en effet en lui la suppression, à terme, des communes et des départements, deux créations héritées de la révolution française. Depuis la Révolution française, le lien commune-département est indissociable de la République une et indivisible et cette logique, on la retrouve dans la création des communes nouvelles à l’article 8, une création qui s’inspire de la réduction autoritaire des communes qui est intervenue dans d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Belgique, des communes qui, avec le texte tel qu’il est sorti de la commission des lois, pourront disparaître sans le consentement ni de leur conseil municipal ni de leur population.
Nous avons, là, la remise en cause, comme le montrait parfaitement tout à l’heure Michel Vaxès, de la spécificité française de nos 36 000 communes et du réseau de 500 000 élus locaux qui en découle.
Cela fait maintenant très longtemps, il est vrai, plusieurs décennies, que cette spécificité française est remise en cause. La réponse à l’émiettement communal, c’est une intercommunalité de projet, le nombre de communes dans notre pays restant, je crois, une richesse incomparable pour la démocratie locale.
Et puis la suppression à terme des communes et des départements, c’est aussi la logique qui préside à la création des métropoles, à l’article 5. vous l’avez vous-même rappelé tout à l’heure, monsieur le rapporteur, le statut de métropole va entraîner une extension des compétences et une plus grande intégration financière. Les métropoles, sont à l’évidence, avec la création des conseillers territoriaux, le point nodal de la réforme. Les métropoles vont porter, je pense, un coup sévère aux communes et aux départements.
D’abord, aux communes qui vont perdre leur autonomie fiscale et je reprends volontiers à mon compte l’expression utilisée par l’Association des maires de France qui craint une « vassalisation » des communes.
Ensuite, aux départements, qui, lorsqu’ils compteront une métropole sur leur périmètre, devront se contenter de gérer ce qui ne sera pas géré par la métropole. En clair, ils géreront des territoires pauvres et étendus sans disposer des moyens financiers qui auront été captés par la métropole. On assistera, je le crois, à un renforcement des inégalités, et à l’opposition entre les territoires urbains et les territoires ruraux.
La réforme qui nous est proposée menace aussi, à terme, l’unité de la République et je m’appuie là sur l’article 13 bis du texte qui ouvre la voie à la création de nouvelles collectivités issues d’une fusion entre une région et les départements qui la composent, une collectivité qui, à l’instar de ce qui est déjà possible pour l’outre-mer, pourrait prendre la forme d’une collectivité à statut particulier. Je crois que c’est la voie ouverte à la mise en concurrence des territoires, qui creusera encore un peu plus les inégalités entre eux.
Enfin, je pense qu’on ne peut pas comprendre la signification du texte que vous nous proposez aujourd’hui sans le mettre en parallèle avec la réforme de l’État déjà engagée avec la RGPP. Ces deux réformes que vous nous proposez aujourd’hui, celle de l’État et cette réforme territoriale, portent en germe la remise en cause du principe fondamental d’égalité républicaine, et détruisent à l’arrivée l’égalité des citoyens devant l’impôt et devant les services publics. Le double affaiblissement de l’État déconcentré et des collectivités territoriales aura notamment pour conséquence de réduire les services publics, qu’ils relèvent de l’État ou des collectivités territoriales.
Dans le même temps, ce double affaiblissement ouvrira largement le champ au secteur privé pour occuper les espaces abandonnés par la responsabilité publique, comme mon collègue André Chassaigne l’a parfaitement indiqué cet après-midi. C’est pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que les députés communistes, républicains et du parti de gauche sont résolument opposés à ce texte.
 
 

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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