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Collectivités territoriales : réforme des collectivités

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le mardi 20 octobre 2009, jour où le Président de la République exposait à Saint-Dizier son projet de réforme des collectivités territoriales, restera dans notre histoire comme un jour noir pour la démocratie locale.
Depuis de nombreux mois, plane le spectre de changements radicaux, discutables et discutés, dans l’organisation administrative de notre pays.
Sous couvert d’une réduction des dépenses de l’État et d’une simplification du fonctionnement de nos institutions, le Gouvernement veut en réalité bouleverser en profondeur notre République, transformer les services publics locaux en services marchands, après avoir asséché les ressources financières de nos collectivités.
En réduisant de moitié le nombre des élus locaux, en regroupant au forceps nos collectivités territoriales, en supprimant la clause de compétence générale aux régions et aux départements, ce projet bouleverse l’architecture administrative de la France et entame gravement les marges de manœuvre de ses collectivités.
Nos territoires présentent de grandes disparités. Le département dans lequel je vis connaît de grandes difficultés sociales. Jusqu’alors, la clause de compétence générale l’autorisait à agir au-delà du champ de ses compétences obligatoires, et permettait encore d’apporter quelques réponses aux besoins des habitants, singulièrement des plus démunis.
Il permettait notamment de répondre – certes partiellement – à l’urgence sociale qui caractérise les quartiers dits sensibles. Il palliait ainsi pour une part les dramatiques conséquences économiques et sociales des politiques impulsées par l’État durant ces sept dernières années.
À compter de mars 2014, les mêmes élus siégeront à la fois au sein de l’assemblée régionale et de l’assemblée départementale. Cette fusion des fonctions de conseiller régional et de conseiller général anticipe la fusion projetée de ces deux assemblées. Elle entraînera la création d’un nouveau type d’élu : le conseiller territorial. Elle s’apparentera à une véritable institutionnalisation du cumul de mandats.
Quelle méconnaissance du rôle du conseiller général qui est et reste un interlocuteur essentiel des maires, des élus locaux et des populations ! Son nouveau territoire et sa charge de travail considérablement amplifiée l’amèneront peu à peu à abandonner sa proximité avec les habitants et les élus locaux qui les représentent.
Peu vous importe car vous voulez des élus techniciens, des professionnels déconnectés de la réalité sociale locale. Point n’est besoin d’élus pour faire ce travail, d’excellents fonctionnaires suffisent !
La notion et la pratique que nous avons de l’élu local – au conseil général et au conseil régional comme dans nos communes et nos agglomérations – ne sont pas celles d’un élu enfermé dans la seule préoccupation du gestionnaire, mais celles d’un animateur de la démocratie participative, d’un mobilisateur des énergies locales, mais aussi pour nous, élus communistes, d’un soutien irremplaçable à celles et ceux qui luttent et qui vivent, si vous me permettez cette référence à Victor Hugo.
Votre vision de l’élu est totalement régressive. Vous le réduisez volontiers à un distributeur d’enveloppes préremplies et prétimbrées par Bercy. Vous voulez transformer les élus de proximité en petits télégraphistes au service d’une politique que vous aurez déterminée au sommet de l’État, au plus près des milieux financiers, au plus loin des habitants des villes et villages de France.
Ce sera, ni plus ni moins, que le retour aux conseillers généraux du Second Empire ! Belle avancée démocratique !
Quant au mode électoral, tel qu’imaginé dans votre projet initial, il n’avait pour but que d’assécher la démocratie en tuant le pluralisme.
J’ajoute – mais vous le savez – que vous allez, dans le même mouvement, remettre les femmes à la place que vous voulez pour elles, c’est-à-dire hors de l’espace politique. Il est évident pour tous que seule la généralisation du scrutin proportionnel permet la vraie parité. D’ailleurs, c’est dans les assemblées élues avec ce système que les femmes sont désormais les plus présentes.
Vous prévoyez de réduire de moitié le nombre des élus locaux, le faisant passer de 6 000 à 3 000 dans cinq ans. Ce faisant, ce sont 3 000 foyers de démocratie que vous vous apprêtez à éteindre.
Au-delà de la réduction du nombre d’élus jugés trop coûteux, le Gouvernement justifie cette fusion annoncée de la région et du département par la volonté « d’éviter les actions concurrentes ou redondantes sur un même territoire. »
Or les financements croisés entre départements et régions, ici montrés du doigt, ne représentent que 10 % des financements globaux. Cet argument économique ne tient donc pas. Il ne sert qu’à masquer votre désir d’hégémonie politique et ses conséquences en termes d’austérité pour nos concitoyens.
Le nombre de fonctionnaires, jugé trop important par votre Gouvernement, est une excuse supplémentaire pour mieux réduire les moyens des collectivités et imposer l’idée d’une réforme favorisant notamment le recours au privé pour mener à bien les missions de service public.
Pourtant, pour ne prendre qu’un seul exemple, vous savez très bien que l’eau est moins chère là ou sa gestion est assurée par le service public. Cela vous est insupportable.
Plus de 30 000 postes ont été supprimés en 2009 dans la fonction publique d’État, essentiellement par le biais du non-remplacement des agents partant à la retraite. En 2010, environ 34 000 postes supplémentaires disparaîtront.
Seuls les effectifs de la fonction publique territoriale sont en augmentation constante à la suite d’un transfert croissant de compétences de l’État aux collectivités territoriales. En 2007, le nombre de salariés a augmenté de 86 000, en raison du mouvement d’intégration des personnels titulaires de l’État dans la fonction publique territoriale, mais aussi parce que les collectivités ont mené des politiques innovantes au service des populations, en s’appuyant sur de l’emploi public. Cela aussi vous est insupportable.
L’argument du déficit public est globalement irrecevable. Vous savez pertinemment que le budget des collectivités locales ne représente que 10 % du déficit public. Aussi le discours selon lequel, en ces temps où l’État manque de moyens, il faut réduire la dépense des collectivités territoriales est bien peu crédible.
La vérité c’est qu’après avoir grevé le budget de l’État pour répondre aux injonctions des milieux financiers et du MEDEF, vous avez besoin de faire les poches des collectivités locales.
Ces collectivités gèrent pourtant leur budget de façon responsable et rigoureuse pour une raison assez simple : elles sont légalement tenues de voter leur budget en équilibre, contrairement à l’État ou à la Sécurité sociale française.
Si l’on doit chercher des coupables au déficit de la France, la première piste à explorer n’est donc sans doute pas celle des collectivités territoriales, mais celle de vos orientations et décisions politiques.
Vous taisez l’essentiel : en un peu plus d’un quart de siècle, la productivité du travail a augmenté de 70 %, alors que sa rémunération sous formes de salaires ou de services publics a perdu 10 points quand celle du capital en a gagné autant.
Vous le savez mieux que quiconque, le FMI estime que la part des salaires dans le PIB a baissé de 5,8 % dans les pays du G7. Selon la Commission européenne, cette part a chuté de 8,6 % en Europe. En France, vous avez fait mieux puisqu’elle a baissé de 9,3 %. Dans le même temps, la part des dividendes dans la valeur ajoutée a quasiment triplé.
La vérité est dure à entendre ; elle n’en reste pas moins la vérité.
Qui a décidé pour les plus riches des allégements fiscaux invraisemblables en période de crise ? C’est vous !
Qui a décidé de rompre le lien entre l’entreprise et son territoire en attaquant de plein front la taxe professionnelle ? C’est vous !
Qui a décidé qu’il était urgent d’attendre pour réformer un impôt local qui désormais ne pèse quasiment plus que sur les ménages et qui, dans sa structure même, est profondément injuste ? C’est vous !
Qui, une fois de plus, n’a pas jugé important de créer un véritable statut de l’élu ? C’est vous !
Qui aurait pu profiter de cette réforme pour élargir le cercle de ceux qui ont leur mot à dire aux élections locales, en octroyant le droit de vote aux étrangers non communautaires qui payent l’impôt local comme n’importe lequel d’entre nous ?
Avec ses 36 000 communes, ses 26 régions et ses 100 départements, la France fait, dites-vous, figure d’exception en Europe. Tant mieux ! Cette exception est très positive puisqu’elle permet l’exercice d’une véritable démocratie locale et une identification efficace des problématiques et des enjeux locaux. La France doit être fière de son exception démocratique.
Cette particularité française – notamment l’échelon communal – est depuis longtemps critiquée. Dès 1971, la loi Marcellin visait la fusion et le regroupement des communes. Elle fut un échec total. Les Français sont attachés à l’échelon communal.
Si le Gouvernement a décidé d’abroger prochainement la loi Marcellin, c’est pour mieux étouffer la démocratie en projetant de créer des agglomérations considérablement élargies et une « commune nouvelle ».
La création de ces communes nouvelles reste en théorie une option, mais les incitations financières associées seront autant d’attraits puissants. Connaissant les difficultés budgétaires actuelles et à venir de nos collectivités, on comprend, qu’à terme, nombre de communes n’auront d’autres possibilités que d’accepter, contraintes et forcées, ce type de fusion.
Circonstance aggravante : la suppression de la compétence générale pour les départements et les régions aura des conséquences importantes pour les petites communes. En effet, les conseils régionaux et généraux jouent actuellement un rôle essentiel dans le financement de leurs équipements.
Si la réforme territoriale prévoit effectivement que les départements pourront continuer à cofinancer les projets des petites communes, ces dernières seront tout de même sommées d’assurer au moins 50 % de leur financement.
Il y a malheureusement fort à parier que de telles contraintes seront difficilement supportables pour beaucoup de communes. La technique présidentielle est simple : affamer pour mieux réformer.
Certes les communes, telles que nous les connaissons depuis la Révolution française, ne disparaîtront pas sur le papier. Elles deviendront des communes déléguées au sein de cette commune nouvelle. Elles pourraient ne conserver, comme seule attribution, que la tenue des registres de l’état civil. Les pouvoirs du maire délégué et de ses conseillers communaux seront réduits à peau de chagrin. Cette réforme signe donc bel et bien la mort des communes actuelles.
Si, et vous le savez bien ! Mais peut-être préparez-vous votre vote sur le texte…
Pour vous, cette réforme serait un nouveau souffle pour la décentralisation, vingt-cinq ans après sa mise en place ; mais il s’agit d’une conception de la décentralisation dont nous n’avons cessé de dénoncer les effets pervers car, si le noble objectif de ses initiateurs était de rapprocher les citoyens des centres de décisions, vous l’avez transformée en une gigantesque entreprise de désengagement de l’État, sur le dos des collectivités.
La recherche d’économies reste, en fait, l’objectif inavoué d’une réforme que le Gouvernement considère comme historique. Se vantant de sonner le glas de tous les saupoudrages, gaspillages, corporatismes, clientélismes et conservatismes, votre majorité soutient en fait de façon inconditionnelle la baisse des recettes, donc des dépenses sociales des collectivités, des intercommunalités, des départements et des régions. Votre majorité se retrouvera bien seule dans cette entreprise car, n’en doutez pas, au plus profond de notre peuple, on trouve un tout autre écho.
En dépossédant communes, communautés d’agglomération, départements et régions de leurs moyens, de leurs attributions et de leurs pouvoirs, le Gouvernement a pour objectif de recentraliser la décision politique et économique au seul échelon de l’État. Plutôt que de décider directement de la suppression des départements et de la fusion des communes, ce qui aurait pu soulever une véritable fronde, vous avancez masqués en choisissant de vider ces entités de leur contenu pour mieux les faire disparaître à terme.
Vous n’aimez ni la dépense sociale, pourtant si utile, ni la démocratie qui en exprime l’exigence.
Je comprends que vous défendiez ce texte bec et ongles, y compris avec le Nouveau Centre et contre les plus réticents de votre majorité. Mais dans un pays qui a toujours su dire « Non » aux reculs démocratiques, il n’échappera pas à notre peuple que votre réforme ne va pas dans le sens de l’histoire.
Alors que les populations veulent être associées plus et mieux à la décision publique, alors que la proximité devrait rester l’échelon de démocratie à préserver à tout prix, vous n’avez qu’un regard de froids technocrates ; alors que les élus locaux ont tant attendu et se sont tant battus pour acquérir leur autonomie, leur indépendance, vous voulez les cantonner à un rôle de spectateurs, en les privant des moyens de répondre aux besoins des populations qui leur ont leur accordé confiance.
Soyez assurés que nous ne serons pas dans le cortège qui accompagnera l’enterrement de la démocratie locale. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Michel
Vaxès

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