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Collectivités territoriales : le Grand Paris

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat n’en est pas un, c’est une litanie d’interventions s’enchaînant les unes aux autres.
C’est que je n’ai pas terminé mon raisonnement ! J’allais en effet ajouter qu’il y a néanmoins des exceptions, à gauche, bien sûr, et même à droite. Certes, quelques collègues de droite font profession d’être laudateurs. En écoutant Mme de Panafieu, dont les formules relèvent de l’admiration aveugle pour le Président de la République et pour ce projet de loi, je pensais à une formule de Mme de Staël, sur laquelle je suis tombé par hasard dans un livre intitulé Une histoire de la langue de bois – domaine dans lequel le Gouvernement est expert. Mme de Staël parlait d’une « kyrielle de phrases usées » et « des idées fausses revêtues d’images exagérées ». La formule est plaisante, n’est-ce pas, madame de Panafieu ?
Parmi les exceptions que j’évoquais, il y a Gilles Carrez, qui, avec quelques-uns de ses collègues, réforme les textes gouvernementaux : on l’a vu à propos de la taxe professionnelle, on l’a vu avec son rapport sur les transports en Île-de-France, particulièrement critique pour qui sait le lire en appréciant le poids des mots. Gilles Carrez est un homme responsable, courtois, bien élevé. Il n’utilise donc pas les mêmes mots que nous : ce n’est pas que nous ne soyons pas courtois et bien élevés, mais nous ne siégeons pas sur les mêmes bancs. Il est tout de même extraordinaire que, sous l’avalanche de textes que le Gouvernement impose aux assemblées, il se trouve des personnalités de la majorité qui, comme Gilles Carrez, ont le courage de dire que cela ne va pas, et qui font des contre-propositions. Hélas, vous avez un problème : vous n’êtes pas appareillés, vous ne branchez jamais le Sonotone. Il est vrai que c’est mal remboursé par la sécurité sociale, et de moins en moins bien, même, grâce à Mme Bachelot : de ce point de vue aussi, vous vous montrez solidaires.
À l’occasion de cette discussion sur le projet de loi relatif au Grand Paris, je ne peux que déplorer la vraie cohérence affichée par le Gouvernement dans son entreprise de recentralisation et dont la réforme de la taxe professionnelle fut le prélude.
À n’en point douter, ce sera un parfait terrain d’expérimentation pour tester votre modèle de développement territorial. Ce développement, vous nous dites, monsieur le secrétaire d’État, qu’il doit reposer sur la mise en réseau des pôles d’excellence situés en Île-de-France, afin de rester en bonne place dans la compétition internationale. En dépit de ce que pourraient penser les partisans de ce projet, il s’agit là d’une vision terriblement étroite du futur de la région.
Si la recherche de la rentabilité du capital irrigue abondamment ce projet, il est particulièrement aride en ce qui concerne les défis quotidiens qui sont posés à nos concitoyens : vingt-neuf articles et pas une seule phrase sur les conditions de vie des Franciliens. Pourtant, ce dont les Franciliens ont besoin en priorité, c’est une politique qui réponde aux défis posés par la pénurie de logements, l’éloignement toujours plus grand entre domicile et lieu de travail ou encore les difficultés éprouvées par nos concitoyens dans les déplacements de banlieue à banlieue. Ironie suprême, ces demandes sont d’ailleurs relayées par le MEDEF Île-de-France, qui, dans un communiqué du 19 novembre dernier, rappelle que « plusieurs urgences doivent être traitées », comme la modernisation du RER, le prolongement d’Eole – RER E – jusqu’à La Défense, le prolongement de la ligne 14 pour alléger la 13, le prolongement ou la création de sept lignes de tramway.
Hier, certains de nos collègues se sont gaussés en voyant que le MEDEF s’exprime comme le font certains d’entre nous. Mais c’est que les patrons – notamment les petits patrons – savent que, pour que leurs entreprises fonctionnent bien, il faut qu’elles aient des salariés bien formés, qui puissent accéder à leurs logements et à leurs lieux de travail dans les meilleures conditions, qui puissent se reposer, renouveler leur force de travail, comme aurait dit notre grand ancêtre – qui, je crois, n’est pas le vôtre, monsieur le secrétaire d’État.
Ce projet procède d’un aménagement extrêmement sélectif et ignore nombre de territoires dont les projets resteront en souffrance si la loi est adoptée. Je suis par exemple effrayé par le délaissement de l’Est parisien. Alors que le projet de rocade ferroviaire Arc Express semble sérieusement compromis, le métro automatique de la Société du Grand Paris évitera complètement des communes comme Montreuil, Fontenay, Saint-Mandé, Vincennes, Rosny, Champigny, Noisy-le-Sec, Le Perreux, Romainville, Bondy et Bry-sur-Marne. N’est-ce pas là une belle intercommunalité, monsieur Beaudouin ? Il en est ainsi, monsieur Blanc. Ce que je dis n’est-il pas vrai ?
À cette énumération, on peut encore ajouter Saint-Maurice ou Charenton-le-Pont. Vous êtes en train de réinventer ce ventre mou que nous avions commencé à surmonter grâce à la pugnacité des élus, à leur imagination, à leur écoute des besoins des habitants et à leur vision de l’avenir de leurs concitoyens et de la région capitale.
Ce projet concerne la métropole parisienne, mais il néglige bien des villes proches de Paris. Qu’adviendra-t-il des pôles tertiaires de Montreuil-Bagnolet et de Montreuil-Fontenay, qui ne sont pas du tout évoqués dans vos travaux ? Il est pourtant beaucoup plus difficile de développer des activités dans cette partie de l’Île-de-France qu’à La Défense, où, pour continuer d’assouvir vos fantasmes, vous êtes obligés d’avoir recours au knout contre la ville de Nanterre, tandis que nous, dans l’Est parisien, nous avons été capables de nous entendre pour porter des projets communs, au-delà des clivages politiques. Vous devriez en prendre de la graine et écouter les vôtres, ceux de votre majorité – je ne parle pas des courtisans, mais de ceux qui ont des idées et qui ont le courage de les formuler.
À ce déni des réalités économiques et sociales s’ajoute un véritable déni de démocratie. Ce texte est un catalogue de mesures technocratiques convergeant vers le même but : contourner les collectivités territoriales et reprendre la main sur l’aménagement. Ainsi, ce projet du Grand Paris est traversé par un extraordinaire paradoxe : une vision qui se veut d’avenir, fondée sur un urbanisme du passé, car l’État renoue ici avec la politique d’aménagement autoritaire des années soixante.
La Société du Grand Paris, instituée par ce texte afin d’assurer la maîtrise d’ouvrage du métro automatique, pilotera seule ce projet jusqu’à réception des travaux, la propriété étant ensuite restituée au STIF et l’exploitation revenant à la RATP. Mais de qui se moque-t-on ? Le STIF, qui possède non seulement la légitimité démocratique, mais aussi l’expérience pratique, est réduit au rôle d’exécutant.
Comme si la dépossession du STIF ne suffisait pas en matière de mépris pour la démocratie locale, c’est toute l’architecture de l’aménagement régional qui est contournée. Le SDRIF, qui devrait constituer le cadre intellectuel et légal, est ici traité comme une variable d’ajustement. Ainsi, les contrats de développement territorial – article 18 de votre projet de loi – s’imposeront tous au SDRIF, comme ils s’imposeront aux plans locaux d’urbanisme. Que dire de la création de zones d’aménagement différé dans lesquelles les communes n’auront plus qu’un droit de préemption subsidiaire ? Est-ce que ces communes devront renoncer à construire des écoles parce que la Société du Grand Paris préfère jouer sur la spéculation foncière ?
Et que dire, monsieur le secrétaire d’État, de votre projet concernant Saclay ? Certes, vous avez prévu des méthodes expéditives pour arriver à vos fins, mais, si vous consentiez à discuter avec les habitants de cette partie de l’Île-de-France, avec les chercheurs et les savants qui y travaillent, il n’est pas douteux que nous progresserions.
Vous avez donc beaucoup de monde à écouter : les gens dont je viens de parler, et les membres de votre majorité qui ont formulé des propositions. Écoutez-les et ainsi, en renonçant à la procédure d’urgence, nous aurons un débat d’une plus grande qualité, de nature à ouvrir de nouvelles perspectives à l’Île-de-France, qui ne soient pas politiciennes et uniquement dictées par la perspective des régionales – ceci pour évoquer la rapidité de cet examen accéléré – et sans aucun rapport avec les conditions de vie de nos concitoyens – ceci pour parler du contenu de votre projet, qui annexe de nouveaux territoires et va en désertifier d’autres, futurs ghettos, comme si les politiques menées depuis trente ans n’en avaient pas déjà créé suffisamment ! Il est vrai que cela permet ensuite au Président de la République d’aller bomber le torse, comme il l’a fait hier en Seine-Saint-Denis… Car les problèmes auxquels notre société est aujourd’hui confrontée, y compris du point de vue de la sécurité, sont effectivement le résultat de toutes ces politiques passées, que votre projet aggravera encore. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 

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Jean-Pierre
Brard

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