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Collectivités territoriales : le Grand Paris

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à réaffirmer à M. Calméjane qu’il a dit un mensonge. Je lui enverrai les trois comptes rendus du conseil municipal de Saint-Denis, réuni au sujet du Grand Stade, au mois d’août 1993 : il s’apercevra que la décision d’accepter la construction du Stade de France, sous certaines conditions que nous avions négociées avec l’État à l’époque, a été adoptée à l’unanimité moins une voix.
Vous me permettrez, monsieur le secrétaire d’État, de poursuivre le début de mon intervention par une note d’humour. Vous avez pu lire comme moi hier, dans un quotidien gratuit, distribué dans le métro, que certains d’entre nous figurions sur la carte du Grand Paris, affublés d’un pseudonyme.
Comme vous n’en avez pas eu connaissance, je vous indique que vous étiez « Le Missionnaire », M. Huchon « Le Plombier » – alors qu’il a suffisamment de relais ici pour ne pas avoir à poser des écoutes téléphoniques. Quant à moi, j’étais « Le Fayot » (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC), parce que j’ai commencé à travailler avec vous sur un contrat territorial.
Mais j’ai cru comprendre que ce journaliste connaissait bien mes goûts culinaires et qu’il savait que j’appréciais beaucoup les haricots… surtout quand ils étaient blancs ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le secrétaire d’État, je suis désolé, mais « Le Fayot » va sans doute quelque peu vous décevoir sans complètement satisfaire « Le Plombier ».
Nous engageons ce débat sans même savoir si la procédure accélérée sera appliquée sur ce texte. J’espère que nous aurons rapidement la réponse, mais, quelle qu’elle soit, on ne peut que constater qu’une fois de plus, l’exécutif tente de dicter sa loi aux représentants du peuple.
Ainsi, ce texte pourrait ne faire l’objet que d’une seule lecture, alors que nous déplorons déjà le fait qu’il n’ait pas donné lieu à un débat plus large avec les principaux intéressés : les élus et les populations.
Monsieur le secrétaire d’État, nous l’avons néanmoins examiné sérieusement et jaugé à l’aune des territoires dont nous représentons les habitants.
Dans un premier temps, nous avons voulu croire qu’il était incomplet. Il s’annonce comme portant sur le Grand Paris, et ne s’attache qu’à la création d’un réseau de transport. Nous l’avons cru élaboré trop vite, sans consultation en amont des principaux intéressés que sont les élus territoriaux – ce qui expliquait peut-être le peu de place qui leur était accordée en matière de gouvernance du projet.
Nous l’avons examiné de manière constructive. Pour la plupart, nous sommes des élus locaux engagés dans le développement territorial au service des habitants. Nous sommes très attentifs à leurs difficultés aggravées par la crise et à leur volonté de perspectives meilleures. Ils aspirent à une meilleure qualité de vie à court terme, mais aussi à pouvoir se projeter avec confiance dans l’avenir, comme tout être humain.
Nous sommes donc toujours prêts à travailler en coopération avec les pouvoirs publics sur tout projet qui ouvrirait des perspectives, en particulier en termes d’emploi et de cohésion sociale.
Pour notre part, nous avons salué et mis en valeur le travail novateur, riche et ouvert des dix équipes pluridisciplinaires de la consultation internationale. Nous avons donc pensé que ces résultats – au moins leurs principes – inspireraient le projet de loi. La commande portant sur la métropole durable de l’après-Kyoto, il ne paraît pas concevable que le Grand Paris du XXIe siècle s’exonère de répondre à l’exigence écologique.
Or, depuis la première mouture, la copie n’a été revue qu’à la marge. Nous avons pu croire que nous avons été trompés ou soumis à une douche écossaise, ce qui nous amène à porter un regard plus rigoureux sur ce texte.
Si le projet de loi s’intitule « Le Grand Paris », c’est qu’aux yeux de ses rédacteurs, la totalité de ce concept s’y trouverait résumée.
S’il y est principalement question de la création d’un réseau de transport en région capitale, c’est que le projet, sur le fond, y serait totalement contenu.
Que révèle ce « grand huit » en termes de modèle de développement ? Une conception strictement économique, visant à renforcer le pouvoir d’attraction et la compétitivité dans la sphère mondiale du pôle métropolitain que représente la capitale. Des clusters concentrent compétences, innovation, forte valeur ajoutée et entreprises et institutions publiques en pointe dans l’économie de la connaissance.
Une dynamique de croissance est induite de manière quasi automatique, à un taux exceptionnel puisqu’on avance un apport de 800 000 à un million d’emplois, en tablant sur un effet démultiplicateur. Dans une période où la rentabilité économique s’articule sur des destructions d’emplois partout dans le monde, y compris dans les services publics, comprenez que nous soyons sceptiques, surpris. Peut-être ne s’agit-il que d’un système de vases communicants, les richesses nationales étant aspirées vers la centralité francilienne ?
Il n’est proposé aucun changement de logique économique, quels que soient les effets dévastateurs de la crise pour nombre de populations, en particulier dans les quartiers populaires de banlieues. Ne parlons pas de la mise à mal d’une cohésion sociale déjà très fragilisée par les inégalités, particulièrement insupportables à l’échelle locale, et qui constituent un handicap sérieux au rayonnement mondial, même économique, de la métropole capitale.
Ce seul schéma de transport rapide chargé de relier les pôles économiques et les aéroports – c’est-à-dire les zones riches du territoire métropolitain – risque vraiment de contribuer à accentuer les inégalités et les mécanismes d’exclusions territoriales et sociales dans la région la plus riche de France. D’ailleurs, l’un des objectifs avoués – et sans doute le plus assumé – du projet est simplement de créer les conditions de la reprise, au sortir de la crise, en prétendant avoir conforté les résistances aux chocs conjoncturels et structurels.
La « polycentralité » que ce schéma prétend desservir n’est que de façade : les pôles en question sont unidimensionnels et unifonctionnels, et votre maillage fait fi de l’échelle de proximité. Ce n’est pas la conception de la « polycentralité » que nous défendons.
Ce « grand huit » – l’alpha et l’oméga de ce projet de développement économique – n’est pas destiné à être la colonne vertébrale d’un réseau diversifié de transports, capable de servir à la fois les habitants, l’emploi et le développement économique, ce qui aurait pu se travailler avec les collectivités locales à tous les échelons. Votre concept requiert un tel niveau d’engagement financier qu’il aspire toutes les ressources jusqu’en 2025. Ainsi, aucun projet complémentaire ne pourra sans doute être envisagé.
La création de la Société du Grand Paris comme outil global de ce projet amène à aborder la question de la gouvernance, sans le dire, alors que le Président de la République affirmait, à juste titre, la subordonner au projet. Force est d’admettre que ce projet-là est si éloigné dans sa logique et sa cohérence de l’intérêt des territoires, qu’il faut imaginer une gouvernance étatique, mettant en cause les principes de la décentralisation.
Ainsi, l’État prend la main, y compris sur l’usage des retombées territoriales possibles, en recettes comme en en choix des dépenses, au nom de l’efficacité et au détriment des élus locaux et des cohérences travaillées démocratiquement dans les schémas directeurs de tous niveaux.
À vouloir réduire l’engagement des élus locaux à des intérêts de clocher, on en oublie qu’ils sont à l’origine de plus de 70 % des investissements publics, ainsi que de l’élan économique de bien des territoires, et que l’intercommunalité choisie leur permet de concevoir et porter des projets d’échelle métropolitaine.
Seuls les contrats de développement territorial permettront aux collectivités d’entrer en négociation et en partage relatif des responsabilités, sachant qu’ils restent totalement à construire et que, par défaut, l’État pourrait décider. Mais au moins, je le concède, il s’agit d’une ouverture qu’il convient d’utiliser pleinement afin de définir et de mettre en œuvre des principes de co-élaboration, de co-décision et de co-pilotage dans des partenariats fondés sur une véritable égalité.
Pour avoir souvent appelé l’État à jouer son rôle, nous ne pouvons qu’être favorables à son investissement dans le développement de la région capitale. Mais pas de cette manière, pas en imposant un mode de développement contraire à l’intérêt général et à une projection ambitieuse dans l’avenir pour l’ensemble des populations et des acteurs socio-économiques de la région.
Des outils existent, comme le STIF. La loi surimpose les compétences de la Société du Grand Paris par la reprise de la plupart de ses compétences et de celles des communes, les sortant du droit commun. La fonction stratégique de définition d’orientations d’aménagement et de développement territorial serait donc assumée par l’État. Tout ceci est porté à son summum dans l’article sur le pôle de Saclay.
Ce texte, porteur d’un tel projet, n’est donc pas acceptable. Il porte une logique dangereuse pour l’avenir, tant économiquement qu’écologiquement et socialement.
Nous sommes à un moment où la crise indique que nous allons vers des catastrophes à tous les niveaux, tant sur le plan des mutations climatiques que sur celui de l’humain et du social, si l’on continue à offrir l’exclusion et l’inégalité pour tout avenir. Il y a urgence et nécessité à dire stop et à engager un processus partagé vers un changement de logique de développement. Pour cela, il faut changer le regard et les enchaînements de causes, renverser les priorités, imprimer un autre sens à la métropole que nous voulons construire.
Face au projet du Grand Paris tel que défini dans ce texte, c’est un véritable contre projet qu’il faut faire partager. Nous le déclinerons au travers des propositions d’amendements. Nous avons l’ambition de contribuer à construire une métropole nouvelle, sur une logique d’inclusion sociale, ce qui pourrait être une expérience originale à l’échelle mondiale.
Pour ce faire, nous disposons des principes et des analyses issues de la consultation internationale des architectes, mais aussi des expériences de développement solidaire engagées et partagées avec les populations sur des territoires qui sont aussi des centralités en émergence, ainsi que du cadre posé par le SDRIF à l’échelle régionale, même si celui-ci n’est pas parfait ou sacré à nos yeux.
La métropole moderne se doit de répondre à deux défis fondamentaux : l’exigence écologique et l’exigence sociale. Il ne s’agit vraiment pas d’une question technique aux réponses préexistantes. Il s’agit d’un débat sur nos modes de vie, sur notre manière de vivre ensemble, et sur notre capacité à nous projeter collectivement dans l’avenir.
Il faut partir de l’homme, de son habitat, de ses possibilités de travail, de sa condition urbaine, de sa « mal-vie » dans l’inégalité. Les travaux des dix équipes de la consultation internationale font largement écho à une telle démarche. Ils questionnent la réalité complexe de la métropole et la place de l’homme dans ces nouveaux flux et ces réseaux multiples.
Un projet de loi sur le Grand Paris pourrait s’articuler autour d’autres principes, pour développer une logique différente.
Le premier principe rejoint les préoccupations de Nicolas Dupont-Aignan : il faut définir un périmètre pertinent devant comprendre toute l’aire urbaine de l’Île-de-France. C’est nécessaire pour travailler les équilibres et les diversités, une cohérence d’interpénétration de la nature et de la ville, les mobilités comme la diversité de l’habitat.
Deuxième principe : la multipolarité. Il s’agit de permettre à tout citoyen, quels que soient son milieu social, sa condition et son lieu de résidence, d’appartenir à un lieu qui compte et d’avoir accès à l’ensemble des services qu’offre la ville. C’est la condition principale pour éviter la poursuite d’un développement qui repousse sans cesse plus loin les couches populaires et moyennes d’une centralité qui ne cesse de se survaloriser, avec un dedans et un dehors qui évoluent en opposition et qui bientôt ne se parleront plus.
Troisième principe : la définition des pôles comme pôles urbains multifonctionnels, véritables centralités, en réseau, et non simples clusters économiques.
Quatrième principe : un développement métropolitain basé sur l’égalité et la solidarité. Cela permet de définir des dynamiques fondées sur des synergies nouvelles qui mettent en mouvement une autre logique, plutôt qu’en termes de retombées statiques au profit des territoires dits en difficulté. Ceux-ci devraient être considérés du point de vue de leurs atouts qui sont nombreux, et devenir le cœur d’une dynamique nouvelle et d’une multiplicité de pôles.
Le cinquième principe impose de retravailler le schéma de transports à partir des règles suivantes : relier les centralités dans leur diversité ; désenclaver l’ensemble du territoire francilien ; articuler les logiques locales et métropolitaines ; donner accès à l’emploi par un maillage fin hors les murs de Paris ; aborder les différentes échelles de distances et de rapidité ; et surtout fixer des critères d’amélioration de la qualité des transports.
Cette qualité se mesure par la baisse du temps passé dans les transports, la facilitation des trajets, la liberté de se déplacer, une tarification unifiée et incitative. Il y a urgence. Il ne s’agit pas de simples améliorations de confort, mais de réponses à une cause majeure de « mal-vie ».
Un engagement financier exceptionnel doit être envisagé, comme c’est d’ailleurs le cas pour le « grand huit ». L’État doit s’engager fortement. L’enjeu des mobilités est crucial pour le rayonnement de la métropole francilienne. Des partenariats spécifiques avec les entreprises doivent être montés, les impliquant de manière novatrice dans le développement territorial dont elles sont solidairement dépendantes.
Sixième principe : l’économie doit être ancrée sur les territoires. Il s’agit de s’appuyer sur les potentialités et la créativité des territoires, y compris sur l’économie sociale et solidaire, sur la diversification des activités économiques, sur des chartes de développement territoires-entreprises et sur des synergies, en particulier avec les universités, les politiques de formation et d’insertion.
Septième principe : la création d’un outil opérationnel autre que la Société du Grand Paris, dominée par l’État mais au statut d’EPIC, donc transformable en statut privé et munie de la possibilité de sous-traiter à des filiales.
En effet, l’outil pose la question de la gouvernance. Un projet multipolaire et complexe nécessite une gouvernance elle-même complexe, où aucune partie ne peut prendre seule les décisions. Cette gouvernance doit exprimer la diversité des territoires, des échelles et des orientations. Si l’on considère qu’il faut créer un outil, alors il doit au moins reposer sur des principes de gestion égalitaires, sans majorité absolue, avec une place prépondérante accordée aux autorités territoriales.
Une autre option pourrait être de considérer que l’on dispose déjà de tous les outils capables d’associer l’ensemble des parties – dont l’État –, la seule question étant d’organiser les processus de décision. Pourquoi, par exemple, ne pas articuler des conférences de présidents d’intercommunalités avec les conseillers généraux, le conseil régional et le conseil de Paris ?
En vérité, la gouvernance est partie prenante du projet, et sur la base de principes, nous pourrions continuer de l’expérimenter à travers les intercommunalités existantes et du syndicat mixte d’études Paris Métropole, lequel a vocation à travailler sur ce qui « fait métropole » en partant des collectivités territoriales et en mettant en œuvre, pour définir des orientations partagées, des pratiques de débats et d’échanges.
Cela concerne aussi les contrats de développement territorial, où les collectivités locales doivent, en associant les populations, tenir le premier rôle. De nouvelles modalités de partenariat avec l’État doivent impérativement être formalisées, afin d’assurer l’égalité, la co-élaboration et la co-décision, et pas simplement la consultation pour agrément.
La place de la population dans l’élaboration des projets qui feront une métropole humaine ne saurait se limiter à l’article 3 du titre Ier. Le débat public doit se déployer avec les moyens d’une information objective, avec la connaissance des enjeux et l’accès aux analyses et aux propositions diverses. De ce point de vue, alors que nous réclamons un tel débat public depuis longtemps, les pages publiées dans les journaux et les flashes diffusés à la radio aux frais du Gouvernement, à la veille de notre débat, m’apparaissent comme une manipulation. La présentation en est si peu objective que, loin d’assurer la compréhension des enjeux et l’informer des citoyens, elle pourrait inciter l’opinion publique à se retourner contre des élus qui ne soutiennent pas votre projet de loi.
Le présent texte, ainsi que la réforme de la taxe professionnelle et celle des collectivités locales, visent à réduire les possibilités pour ces dernières de développer des services publics répondant aux besoins et aux attentes de l’ensemble des populations. C’est pourquoi, même si les amendements les plus significatifs de notre projet alternatif pour la région capitale ont été rejetés au titre de l’article 40, nous défendrons, tout au long du débat, notre vision d’un territoire francilien synonyme de partage du pouvoir, permettant des co-élaborations et des co-décisions avec les collectivités territoriales, en particulier sur la définition des orientations et des mobilisations territoriales, dans le respect des grands principes de la décentralisation.
Le devenir de la métropole francilienne doit rester un processus coproduit avec les territoires ; c’est par un projet humaniste de métropole solidaire que nous répondrons efficacement aux défis environnementaux et sociaux du XXIe siècle sans tourner le dos aux dynamisme que nous défendons et à la grande ambition, que nous avons aussi, pour Paris Métropole. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 

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Patrick
Braouezec

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