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Collectivités territoriales : le Grand Paris

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plus de trente ans, en Île-de-France, les ségrégations territoriales se sont renforcées, les inégalités sociales, économiques, culturelles ont explosé sous le coup d’un modèle de développement libéral.
La disparition de centaines de milliers d’emplois, conséquence de la désindustrialisation, a laissé de profondes cicatrices sociales et esthétiques dans nos banlieues franciliennes. Des années de combats menés par les élus locaux ne sont pas parvenues à gommer les fractures territoriales et les nuisances rejetées par la capitale dans sa périphérie. Nous avons assisté à la hausse du foncier, à une politique d’étalement urbain anarchique, à la constitution de véritables ghettos, à la rupture de l’égalité des chances, fondement de l’égalité républicaine.
Voilà la situation de la région Île-de-France aujourd’hui à laquelle un projet de loi ambitieux pour le Paris du XXIe siècle devrait s’attaquer, afin de rétablir la cohésion sociale, la participation démocratique des citoyens et l’égalité entre les territoires et, notamment, l’égalité fiscale.
Dans un monde marqué par la crise financière, l’urgence climatique et la nécessité d’autres modes de production et de consommation, le présent projet de loi apparaît, en effet, en complet décalage.
Au sein d’une des agglomérations les plus riches de la planète, les poches de grande misère économique, sociale et culturelle côtoient des pôles d’extrême richesse. Les revenus moyens des habitants de certaines villes, comme Clichy-sous-Bois, sont en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 6 000 euros, alors qu’à l’ouest de l’agglomération, les Neuilléens perçoivent des revenus moyens quatre fois supérieurs. Je ne peux me résigner à ce que subsistent des injustices aussi criantes qui touchent tous les aspects de la vie sociale, économique et culturelle. Peut-on se résoudre à ce qu’il y ait trois fois moins de salles de cinéma en Seine-Saint-Denis qu’à Paris ? Peut-on se résoudre à ce qu’il y ait quatre fois moins de médecins par habitant en Seine-Saint-Denis qu’à Paris ? Peut-on se résoudre à ce qu’il y ait dix fois moins de librairies par habitant en Seine-Saint-Denis qu’à Paris ? Peut-on se résoudre à ce qu’il y ait trente fois moins d’avocats par habitant en Seine-Saint-Denis qu’à Paris ? Peut-on, enfin, se résoudre à ce que la moitié des moins de dix-huit ans de Seine-Saint-Denis vivent sous le seuil de pauvreté, contre 8 % dans les Yvelines ?
La même inégalité prévaut dans le domaine des transports. Les habitants de banlieue parisienne ont accès à un réseau de gares dix fois moins développé que le cœur d’agglomération, mais s’acquittent d’un abonnement qui atteint parfois 123 euros mensuels, près du triple de ce que paient les parisiens. La tarification unique accessible à tous est une nécessité absolue. Ce serait une mesure de justice pour des foyers franciliens poussés en marge de la capitale par la hausse des loyers et du foncier et un modèle de développement concentrique. Je regrette que l’amendement que nous avions déposé en ce sens ait été jugé irrecevable du fait de son coût, pourtant modique.
Je crains que votre projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, ne vienne pas à bout des pannes, retards, saturation et autres dysfonctionnements des transports franciliens, qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. Les 25 % de RER en retard sur la ligne B perdureront tant que l’État ne respectera pas ses engagements sur le financement de la modernisation du réseau existant par la région Île-de-France.
Devant ce constat, le statu quo n’est naturellement pas acceptable. Tous les Franciliens doivent pouvoir bénéficier d’une Île-de-France de première classe. C’est pourquoi je suis favorable à l’intervention de l’État en Île-de-France, car il doit être le garant de la cohérence du territoire et de l’égalité des chances où que l’on habite. Pour autant, cette intervention ne peut revenir sur le mouvement démocratique de décentralisation qui a rapproché les décisions des citoyens. Elle doit se faire en synergie avec les collectivités – la région, les départements et les communes – et le Grand Paris ne doit pas être imposé aux collectivités territoriales en accaparant leur foncier et en s’appropriant les plus values. Ce serait un Monopoly foncier à l’échelle de la région.
Si le but du projet de Grand Paris est de constituer une place financière attirant les capitaux spéculatifs étrangers sur la base du développement d’une poignée de territoires spécialisés et reliés entre eux – les clusters –, le texte que vous nous présentez est à n’en pas douter un bon projet. Le Président de la République ne jure que par la « concurrence des territoires » – ce sont les mots du MEDEF – et la nécessité que Paris participe à la compétition des « villes-mondes ». Mais jusqu’où nous mènera cette folle concurrence entre les territoires et entre les citoyens promue par le libéralisme mondialisé ?
Notre modèle n’est pas le paradis fiscal de la City de Londres où se blanchit l’argent sale des trafics, des guerres, de la fraude fiscale. La réalité, c’est que les habitants d’Île-de-France se moquent d’entrer dans le hit-parade des « villes-mondes » attirant les capitaux à coups d’exonérations fiscales et de délitement des institutions.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit dans le quotidien Le Monde que la France devait gagner un championnat du monde. Cette métaphore footballistique n’est sans doute pas fortuite, car vous comptez, vous aussi, sur la main invisible du marché. Mais la main bien visible des financiers nous a menés à la crise systémique du capitalisme que nous connaissons aujourd’hui.
Dans tous les domaines, une même logique est à l’œuvre : favoriser les avantages d’un petit nombre en promettant que les autres bénéficieront de retombées positives. Or cette logique a structuré l’Île-de-France en pôles de grande richesse juxtaposés à des territoires de grande pauvreté.
La Seine-Saint-Denis accueille, entre autres, le premier aéroport européen et ses 100 000 emplois. Vous connaissez l’importance que j’attache au développement de la plate-forme aéroportuaire de Roissy. Mais les retombées, en termes d’emplois pour la population, sont insuffisantes pour différentes raisons. Cela est dû, notamment, à une desserte en transport déficiente et à l’impéritie des pouvoirs publics qui n’ont pas investi dans les infrastructures pour assurer le transport des salariés vers Roissy. Actuellement, 90 % des travailleurs de la plate-forme se déplacent en voiture, ce qui est une aberration, alors qu’ils pourraient emprunter les transports en commun ! Sans doute est-ce dû à l’absence de vision des dirigeants de l’époque.
La région capitale a, bien sûr, besoin de développement. Elle doit être à la pointe dans le domaine technologique et scientifique, rayonner par sa culture et ses arts, œuvrer à l’émancipation des citoyens. Elle a également besoin de créer des richesses, mais dans le partage équitable des fruits de la croissance. En effet, ce que veulent avant tout les habitants d’Île-de-France, c’est, je le pense, un travail et une amélioration de leur vie quotidienne grâce à l’amélioration des transports de banlieue à banlieue, au rapprochement entre le domicile et le lieu de travail, à la construction de logements, qui est la grande absente de ce projet, et, enfin, grâce à l’amélioration de l’environnement et à la limitation des nuisances.
Vous évoquez une « ville-monde » post-Kyoto, mais le Grand Paris dessine une agglomération du bétonnage où les richesses naturelles de la région seront absorbées par l’étalement urbain. Vous évoquez une grande métropole cohérente, mais elle ne pourra pas être créée sans une réforme globale de la fiscalité locale permettant une véritable justice fiscale. Comment accepter qu’un couple d’ouvriers d’Aubervilliers soit plus imposé pour un appartement de type « F3 » qu’un cadre supérieur qui habite dans le 7e arrondissement de Paris ? De la même façon, il est inadmissible que la ville de Sevran, abritant des populations modestes, soit contrainte d’imposer 22 % de taxe d’habitation, quand des villes favorisées de l’ouest parisien telles que Puteaux ou Courbevoie peuvent imposer simplement à 5 % ? C’est un cercle vicieux de dumping fiscal régional qu’il nous faut briser. En effet, les populations défavorisées ne peuvent continuer à contribuer plus fortement à l’effort public que les classes aisées.
En conclusion, le texte qui nous est présenté se réduit, hélas, à un réseau de transport, sans doute utile s’il se met au service des Franciliens, mais qui se borne à créer autour de chaque gare de métro de nouvelles « La Défense », lesquelles seront sans doute très riches, mais accentueront les fractures territoriales. Qu’en sera-t-il alors de la cohésion sociale, qui est au cœur des enjeux de la région capitale ? Quelle sera la place de l’égalité et de l’émancipation des citoyens, véritable ADN de notre République ?
Monsieur le secrétaire d’État, votre ambition, comme celle du Président de la République, ne répond pas à ces questions ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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François
Asensi

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