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Collectivités territoriales : contrats de partenariat

Monsieur le Président, Madame la ministre, Chers collègues,
Il y a quelques mois à peine, en octobre dernier, le Président de la République avait appelé de ses voeux la mise en place d’un plan de stimulation de l’investissement privé dans le secteur public.
Le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’a d’autre vocation que de traduire cette volonté, fut-ce par le contournement de la décision du Conseil constitutionnel sur laquelle était venu se briser l’élan de la précédente réforme.
Rappelons que l’ordonnance du 17 juin 2004, qui avait porté les contrats de partenariat sur les fonds baptismaux, avait dû intégrer un certain nombre de réserves, celles énoncées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 juin 2003.
Il a déjà été fait référence aux attendus de cette décision, lors des débats en commission. Il importe cependant d’y revenir. Le conseil constitutionnel, saisi de la loi d’habilitation du 2 juillet 2003 portant simplification du droit, avait certes validé sur le principe les contrats de partenariat, mais refusé la généralisation de cet outil.
Il avait notamment considéré que les contrats de partenariat avaient et devaient garder un caractère dérogatoire, estimant en particulier que « la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l’égalité devant la commande publique, à la protection de la propriété publiques et au bon usage des deniers publics. »
Il ne s’agissait pas, on le voit, de griefs secondaires.
Le Conseil estimait par ailleurs que les contrats de partenariat devaient être réservés « à des situations répondant à des motifs d’intérêt général tels que l’urgence qui s’attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d’un équipement ou d’un service déterminé. »
On voit ici que le juge constitutionnel avait entendu clairement encadrer le recours aux contrats de partenariat, dans le souci du respect de quelques principes fondamentaux, dont la protection de la propriété publique et le bon usage des deniers publics ne sont pas les moindres, particulièrement en une période où l’on proclame à qui veut l’entendre la nécessité de réaliser des économies.
De ce souci d’encadrement et du respect de ces principes, votre gouvernement n’a cure. Votre objectif n’est rien moins en effet que de lever ces réserves d’interprétation et contourner l’obstacle coûte que coûte, sans plus de considération pour les principes de valeur constitutionnelle que nous venons d’évoquer que pour les objections au modèle économique qui vous conduit à privilégier la voie hasardeuse de la banalisation de ce type de contrats.
Vous êtes intimement persuadée, Madame la ministre, que les contrats de partenariat représentent l’avenir de la commande publique et ont vocation à se substituer aux autres outils existants, marchés publics, concessions ou délégations de service public...
Nous ne partageons pas cette appréciation.
Nous comprenons la séduction qu’exerce, en premier lieu, l’idée selon laquelle les partenariats publics privés seraient le moyen pour l’Etat et les collectivités locales de rénover leurs équipements et leurs infrastructure pour un coût en apparence bien plus intéressant, mais n’encoure-t-on pas toutefois le risque que, par delà les avantages budgétaires que présentent la méthode, sur le court terme, le coût des redevances à payer aux opérateurs privés ne viennent sur le long terme sérieusement entamer les marges de manœuvre des acteurs publics, au détriment des contribuables.
La fédération européenne des services publics et, en France, le dernier rapport de la Cour des comptes ont pointé la lourdeur administrative et financière de la mise en œuvre des partenariats publics privés.
La Cour des comptes a même émis de sérieuses réserves sur cette technique contractuelle, sur le fondement de plusieurs exemples où la conclusion des contrats de partenariat s’est révélée plus coûteuse pour la collectivité que ne l’aurait été le recours à des solutions plus classiques, que vous jugez à tort trop rigides.
Deux de ces exemples sont bien connus : celui du centre des archives du ministère des affaires étrangères, et celui du pôle de renseignement du ministère de l’Intérieur.
Concernant le secteur plus spécifique des transports terrestres, il n’est pas non plus inutile de rappeler que le rapport sénatorial de la mission sur les infrastructures de transports estimait de son côté, en février dernier, que « la voie des partenariats publics privés ne saurait en aucun cas constituer une solution miracle au problème de financement des infrastructures de transports. (...) La preuve en est donnée non seulement par les difficultés rencontrées par certains projets français, comme le tramway de Mulhouse, mais aussi par l’exemple du Royaume-Uni où l’utilisation très fréquente de ce type de contrat n’a finalement qu’une part très faible aux infrastructures de transports avec 8% des projets, très loin derrière le secteur de la santé, des prisons et de la défense. »
Tout le monde a en mémoire, je suppose, l’exemple du métro de Londres, qui nous invite à la prudence et nous éclaire sur les conséquences que peuvent avoir le développement de ce type de contrats. Que se passe-t-il en effet quand l’opérateur est défaillant ? Le risque est grand alors de voir la structure privée mise en faillite par ses actionnaires et les contribuables mis à contribution.
Nous ne croyons pas un mot de la fameuse notion libérale de « partage de risques ». Nous savons tous ce qu’elle signifie : la privatisation des profits et la socialisation des pertes !
Vous le voyez bien, le tableau des avantages comparés des contrats de partenariat est loin d’être idyllique.
Nous savons bien que votre texte obéit sans doute moins à des motifs d’opportunité économique que politique.
Nous y reviendrons, mais avant cela, je voudrais brièvement aborder quelques unes des questions soulevées plus spécifiquement par votre texte, en m’arrêtant à l’examen rapide de quelques points.
Pour commencer, vous souhaitez garantir une stricte neutralité fiscale des différentes formes de la commande publique. En fait, il s’agit de doter les contrats de partenariat des mêmes avantages fiscaux que les marchés publics, notamment l’octroi de subventions.
Nous sommes pour notre part plus que réservés sur le parallélisme des formes dont se réclame votre approche. Au demeurant, ce parallélisme n’en est pas un. Une dissymétrie demeure sur la possibilité de recours à une procédure négociée, réclamée depuis longtemps par les collectivités locales pour les marchés publics, mais que vous réservez pourtant aux seuls contrats de partenariats.
Contrairement aux marchés publics, vous dotez également les contrats de partenariats d’une grande souplesse juridique qui se double d’un allègement problématique de la législation pénale, malgré les risques patents de dérives susceptibles de qualification pénale, comme les ententes illicites ou le favoritisme.
Le principal grief que nous pouvons faire à votre texte reste cependant qu’il entend clairement systématiser le recours aux contrats de partenariats comme les contrats de droit commun de la commande publique.
Jusqu’en 2012, plus aucun critère ne sera exigé pour recourir à ce type de contrat dans de très nombreux secteurs clefs, tels que les transports, la défense, les équipements de santé. Dans les autres secteurs, il suffira simplement de démontrer un bilan positif sur les autres formes de la commande publique, ce qui ne sera pas difficile compte tenu du régime fiscal pour le moins avantageux dont vous dotez ce nouveau contrat.
Je pense en particulier aux exonérations fiscales introduites par voie d’amendement, proposés par le sénateur Charles Guéné avec l’avis favorable d’un gouvernement qui prétend se montrer par ailleurs si scrupuleux dans la gestion des deniers publics : si l’exonération de la contribution annuelle sur les revenus locatifs pour les revenus provenant d’immeubles édifiés dans le cadre d’un contrat de partenariat se justifie prétendument de la nécessité de rétablir la neutralité fiscale entre ces contrats et les marchés publics, rien en justifie d’y ajouter une exonération de la taxe de publicité foncière et l’exonération de la redevance d’archéologie préventive...
Cette généralisation soulève donc de nombreuses questions.
D’une part, vous mettez un terme à la reconnaissance de la dualité entre maîtrise d’ouvrage public et construction et par là à la reconnaissance de la spécificité de l’architecture et des enjeux liés à l’urbanisme.
D’autre part, et très concrètement, votre projet va gravement pénaliser les PME plus que jamais vouées à devenir les simples sous-traitantes des groupes monopolistiques privés.
Les contrats de partenariat ont vocation en effet à être des contrats globaux, portant sur l’architecture, tous les corps de métiers, toutes les formes de construction, toutes les entreprises de bâtiments, sur le choix du banquier et du gestionnaire, ainsi que sur l’entreprise qui assurera la maintenance et l’entretien. Comment croire que d’autres acteurs que les géants du BTP pourront répondre à ces appels d’offre ?
Comme le soulignait le groupe communiste, lors du débat sénatorial, nous nous retrouvons finalement dans un schéma où le rapport de force est inversé. C’est l’offre qui fait la demande, comme le reconnait d’ailleurs expressément l’article 10 de l’ordonnance en prévoyant que les cocontractants peuvent eux-mêmes solliciter auprès des collectivités la conclusion de contrats de partenariat clefs en main.
Ils y seront eux-mêmes d’autant plus motivés que vous élargissez le champ de la cession de créance de façon à garantir au titulaire de contrat des conditions de financement sensiblement plus favorables.
L’objectif poursuivi par votre texte est au fond très clair : libéraliser le financement des services publics et des politiques d’aménagement en les soumettant aux seules lois du marché. Vous refusez de façon explicite, une fois encore, d’en reconnaître l’éminente spécificité.
Qu’en sera-t-il par exemple demain des projets d’intérêt général qui n’intéresseront pas les investisseurs privés ? Des infrastructures insuffisamment rentables aux yeux des actionnaires ? je prenais tout à l’heure l’exemple du métro londonien...
Vous ne pouvez nier que l’appel aux capitaux privés aura pour contrepartie la rémunération des fonds investis. Une rémunération qui passe notamment, comme le prévoit votre texte, par l’utilisation du domaine publique à des fins commerciales par la réalisation de baux commerciaux, d’une durée qui pourra atteindre 99 ans et se traduire par des autorisations de construction, sans que nul ne puisse évaluer alors la pertinence de l’occupation du domaine public.
Au bout du compte, et selon la sacro sainte règle de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes, qui vous sert aujourd’hui de principal repère idéologique, les infrastructures les moins rentables seront confiées au secteur public, celles jugées rentables seront réalisées par le secteur privé.
Comme toujours, vous attendez de ce type de réforme une amélioration de la qualité de gestion et du service. C’est une pure fiction. Comme je l’évoquais au début de mon intervention, l’État et les collectivités devront acquitter un loyer pendant vingt, trente ou quarante ans. Des loyers à l’origine d’un surcoût probablement considérable. Vous prétendez le contraire, mais vous ne pouvez administrer la preuve sur le long terme de la plus grande efficience économique des contrats de partenariat par comparaison à la délégation de service public ou à l’appel d’offre classique.
La meilleure productivité du secteur privé est une affirmation sans autre fondement qu’idéologique. Vous êtes du reste trop informée, Madame la ministre, pour ignorer les failles de ce modèle économique. Vos objectifs sont en réalité très politiques.
Et vous savez fort bien que la croissance économique de notre pays s’appuie principalement sur la demande, que la politique de l’offre que vous avez conduite depuis des années, n’a pas tenu ses promesses.
Plutôt que de le reconnaître, vous usez de subterfuges. En l’occurrence, celui-ci consiste à stimuler l’investissement public, notamment dans les grands équipements, mais de telle sorte que l’on respecte tout de même les fameux critères de Maastricht, ce qui ne peut se concevoir sans le recours à l’investissement privé.
De même que vous avez incité les français à puiser dans leur bas de laine pour soutenir la croissance, mais sans toucher aux salaires, vous entendez aujourd’hui stimuler l’investissement public mais sans remettre en cause le processus de désengagement massif de l’Etat de la plupart de ses missions. 
Avec ce texte, vous incitez désormais les collectivités locales à faire face à leurs missions en se tournant vers le secteur privé, tandis que parallèlement l’Etat privatise chaque jour un peu plus les services et équipements publics pour financer le remboursement de sa dette, se privant dans le même temps des ressources utiles au financement des investissements indispensables.
Les opposants à votre texte sont nombreux : les PME, je l’ai dit, mais citons aussi l’ordre des architectes qui réclame que les PPP restent une procédure d’exception et qui dénoncent le fait que les collectivités locales se dessaisiront de leur rôle de maître d’ouvrage.
Vous pouvez déguiser toute cette politique du terme de moderne, nous y voyons pour notre part la spirale d’un déclin, une fuite en avant, car vous qui vous témoignez si souvent de votre souci des générations futures, dès lors qu’ils ’agit de priver nos concitoyens de droits élémentaires, comme le droit à la retraite ou le droit à la santé, vous êtes curieusement muets sur les conséquences économiques et fiscales de textes tels que celui que vous nous proposez aujourd’hui.
Il va de soi, dans ce contexte, que nous le désapprouverons.

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Roland
Muzeau

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