Interventions

Discussions générales

CMP - résorption de l’emploi précaire dans la fonction publique

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, le ton patelin que vous affectez à la tribune doit toujours nous inciter à la prudence.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Ça commence bien !
M. Jean-Pierre Brard. Nous connaissons bien François Sauvadet : il vous ferait prendre des vessies pour des lanternes. (Sourires.)
M. François Sauvadet, ministre. Quelle injustice !
M. Jean-Pierre Brard. Pour juger, attendez le réquisitoire, monsieur le ministre.
Le sujet dont nous discutons est d’une importance capitale. Sur les 5,3 millions d’agents qu’emploient l’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux, plus de 890 000 ne sont pas fonctionnaires. Ces non-titulaires représentent environ 20 % des effectifs de la fonction publique territoriale, 15 % de la fonction publique d’État et 16 % de la fonction publique hospitalière. Leur proportion n’a cessé d’augmenter, passant de 14,6 % en 1998 à 16,8 % en 2009. Il faut mettre à part les contrats aidés qui concernent plus de 112 500 salariés précaires sous contrats d’accompagnement dans l’emploi ou sous contrats dits d’avenir, pour lesquels l’obligation de formation n’est toujours pas respectée, en particulier par l’État.
Certes, l’emploi d’agents contractuels n’est pas en soi une anomalie. Cependant, les abus sont légion. Une étude récente de la direction générale de l’administration et de la fonction publique a montré que 45 % des non-titulaires employés dans la fonction publique d’État en 2003 y travaillaient encore en 2007, quatre ans après ; seulement un quart d’entre eux a changé de statut, essentiellement pour devenir titulaire. Une autre enquête a révélé qu’entre 6 % et 8 % des ingénieurs, techniciens, bibliothécaires et administratifs non titulaires ont une ancienneté supérieure à dix ans dans l’emploi précaire, qu’ils soient employés dans le cadre de CDD ou de vacations rémunérées à l’heure, au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche publique.
Le texte est présenté comme consensuel, puisque négocié en amont. Cependant, nous déplorons que le Gouvernement ait profité de ce créneau pour le compléter par des mesures prises au débotté, sans consultation des partenaires sociaux. De sorte que nous votons aujourd’hui sur un texte qui ressemble davantage à une loi fourre-tout, sorte de voiture-balai de fin de mandat, comme le qualifiait La Gazette des communes, une référence s’il en est. Ainsi, au lieu de se concentrer sur la résorption de la précarité parmi les agents contractuels de la fonction publique, le texte contient désormais des dispositions afférentes aux juridictions administratives et financières, à l’encadrement supérieur territorial, aux droits et moyens syndicaux, à l’égalité hommes-femmes.
M. François Sauvadet, ministre. C’est très bien !
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Tout cela est lié : il s’agit d’un véhicule législatif global !
M. Jean-Pierre Brard. Je vois, monsieur le ministre, que vous persévérez dans l’autosatisfaction, vous accordant des félicitations à vous-même à défaut de recevoir les miennes...
Avec toutes ces différentes dispositions, le texte perd ainsi en clarté et en cohérence, tant ces sujets auraient mérité des débats plus approfondis.
Je ne reviens pas sur le détail des dispositions du texte qui permettra à quelques dizaines de milliers de contractuels de se voir titularisés, et à près de 100 000 autres de voir leur CDD transformé en CDI.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Ce n’est pas rien !
M. Jean-Pierre Brard. Je n’ai pas dit que ce n’était rien. Vous fonctionnez selon les principes du Moyen Âge : ou bien, ou bien. Moi, je suis dialecticien :…
M. François Sauvadet, ministre. À nous le Moyen Âge, à vous la préhistoire ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. …je regarde la réalité dans sa globalité. Nous pesons, comme les balances de la justice. Vous n’êtes pas tout noir, monsieur Sauvadet,...
M. François Sauvadet, ministre. Je vous remercie.
M. Jean-Pierre Brard. …mais vous êtes loin d’être tout blanc.
Je me permettrai une remarque sur la possibilité de titularisation portée par ce texte : celle-ci est assortie de conditions si drastiques que ce projet laissera à leur précarité les plus précaires des précaires. En l’état, le dispositif proposé écarte les agents recrutés à titre temporaire et les contractuels à temps incomplet, majoritairement des femmes.
Vous vantiez, monsieur le ministre, les progrès que ce texte représente pour les femmes. Il laisse surtout beaucoup de femmes sur le carreau, premières victimes des procédures de recrutement abusives et de la précarité qui sévit dans la fonction publique.
Votre projet de loi laissera plus des deux tiers des agents précaires sur le bord de la route, sans réponse et sans solution. Et je ne parle même pas des enseignants vacataires, rémunérés à l’heure, souvent avec plusieurs mois de retard, sur la base d’un taux horaire inchangé depuis 1989, comme le rappelait le Médiateur de la République en 2010. Rendez-vous compte, le même taux horaire depuis plus de vingt ans ! On ne peut pas en dire autant des rémunérations de vos amis actionnaires et des grands patrons.
M. Richard Mallié. Il y avait longtemps qu’on avait entendu parler du CAC 40 !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Mallié, dès qu’on dénonce vos amis et vos copains, vous levez les bras au ciel. Heureusement qu’il y a quelqu’un dans cet hémicycle pour dire la vérité, quand bien même elle vous gêne !
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Votre vérité !
M. Jean-Pierre Brard. J’en reviens aux oubliés, comme les auxiliaires de vie scolaire dont les contrats, comme tant d’autres, ne sont pas renouvelés, au mépris de leur expérience et de leur investissement dans leur métier.
En vérité, ce texte porte davantage un plan de reconversion de l’emploi public en emploi contractuel qu’un plan de titularisation de la fonction publique, pour paraphraser le SNESUP. En banalisant le recours aux contrats à durée indéterminée, quand bien même ce projet serait un moindre mal, et même une avancée pour ceux des agents qui pourront prétendre être titularisés ou passer en CDI, c’est le statut…
M. Richard Mallié. Reconnaissez que ce n’est pas une reculade !
M. Jean-Pierre Brard. Tout n’est pas reculade. Vous ne pouvez pas être seulement mauvais, même si c’est la dominante chez vous. C’est, disais-je, le statut de la fonction publique que vous mettez à mal. Il n’y a là rien d’étonnant : ce texte vient compléter l’entreprise de casse de la fonction publique que vous poursuivez depuis près de dix ans.
M. François Sauvadet, ministre. Allez donc voir ce qui se passe en Espagne, en Italie ou en Angleterre ! Vous verrez la différence.
M. Jean-Pierre Brard. Limiter, comme vous l’avez fait, le champ des services publics constitue une véritable négation de la construction historico-sociale de notre pays et démontre le peu de cas que vous faites des demandes croissantes de nos concitoyens, des besoins nouveaux qui se font jour, de l’isolement et du sentiment d’abandon des territoires progressivement privés de leurs services publics.
À l’inverse, les députés du Front de gauche considèrent que les services publics sont aujourd’hui plus que jamais pertinents et utiles. Ils sont un véritable bouclier social.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. C’est très idéologique ! la société a évolué !
M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr que c’est idéologique. Défendre une idéologie prouve au moins une chose : que l’on a des idées,…
M. Richard Mallié. Même si elles ne sont pas bonnes !
M. Jean-Pierre Brard. …ce que tout le monde ne peut pas dire dans cet hémicycle.
Votre majorité n’a eu de cesse de fragiliser ce patrimoine social en organisant méticuleusement le transfert des missions de service public au privé. Cela passe notamment par l’importation dans la fonction publique de la culture d’entreprise et du management, comme vous le dites en français : on voudrait calquer sur le public les standards de performance et de rentabilité qui font prétendument leurs preuves dans le secteur privé. Autrefois, on recrutait des fonctionnaires ou assimilés, car les contractuels ont toujours existé, pour accomplir une mission de service public. Aujourd’hui, on embauche des contractuels précaires dans le simple but de flexibiliser les ressources humaines disponibles au sein des services.
Le résultat est désastreux, notamment dans la fonction publique territoriale, victime d’un double mouvement de décentralisation et de réduction des ressources des collectivités ; mais également dans la fonction publique hospitalière qui subit de plein fouet les effets combinés de la loi sur l’hôpital, de la RGPP,…
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Des 35 heures !
M. Jean-Pierre Brard. …des coups de butoir du secteur hospitalier privé qui tente d’imposer la convergence tarifaire à son avantage, et des dispositions des lois de financement de la sécurité sociale, notamment des ONDAM particulièrement bas, sans parler de la situation catastrophique de l’éducation nationale. En dix ans, c’est cette majorité qui a sciemment organisé le démantèlement des services publics, et, partant, la précarisation d’un nombre croissant d’agents ou de contractuels.
Cette logique malmène dangereusement le principe d’indépendance du fonctionnaire qui vise à protéger l’agent public et le service d’intérêt général de l’arbitraire administratif, et qui est au fondement de la construction du service public en France.
En réalité, ce texte n’a que peu de chances de permettre de résorber l’emploi public précaire. Nous doutons d’ailleurs que ce soit là l’une de vos ambitions puisque pour avoir la moindre chance d’y parvenir, il nous faudrait sortir de la logique de la RGPP, de la volonté de réduction du nombre de fonctionnaires et de l’obsession pathologique...
M. Jean Mallot. Et pathétique !
M. Jean-Pierre Brard. ...du Gouvernement de baisse des dépenses publiques.
M. Richard Mallié. Et vous, vous n’êtes pas obsédé ?
M. Jean-Pierre Brard. Nous, monsieur Mallié, nous sommes obsédés par la défense du service public,…
M. Richard Mallié. Nous, nous préférons le service du public !
M. Jean-Pierre Brard. …par la défense des plus modestes,…
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. C’est votre fonds de commerce politique !
M. Jean-Pierre Brard. …et par l’obligation de rétablir la justice sociale que vous avez tellement violentée.
M. Jean Mallot. Très bien !
M. Jean-Pierre Brard. Cela imposera de passer à l’essoreuse les privilégiés et leurs coffres forts pour remettre dans le budget de l’État les ressources que vous en avez soustrait en faisant des cadeaux de plus en plus importants aux privilégiés dont la tartine est déjà largement beurrée,...
Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. ...mais qui sont toujours insatiables.
M. Jean Mallot. Et en remboursant ces cadeaux avec la TVA sociale !
M. Jean-Pierre Brard. Heureusement, vos électeurs ne vous voient pas ; ou plutôt, vous avez tort de penser qu’ils ne vous voient pas, parce qu’ils se préparent à vous donner un coup de pied aux fesses lors des échéances à venir !

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Jean-Pierre
Brard

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