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CETA (Niche GDR)

La parole est à M. Marc Dolez, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Marc Dolez, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du développement et de la francophonie, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne porte sur l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, plus connu sous son acronyme anglais, le CETA. Cet accord s’inscrit dans la longue liste de ces traités de libre-échange animés par des dogmes néolibéraux à l’origine d’une « mondialisation malheureuse » pour les peuples. C’est donc la nature et l’objet même du CETA que nous rejetons sur le principe.
Comme l’ensemble de ceux qui l’ont précédé, cet accord de libre-échange vise à supprimer les barrières tarifaires dans les échanges de biens et de services. Il inclut également de nombreuses dispositions relatives à la libéralisation des marchés publics et des investissements, à la protection de la propriété intellectuelle – dont les indications géographiques protégées –, ainsi qu’à l’harmonisation des normes, sans oublier la création d’un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Sa portée est si large qu’il peut être comparé au partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les États-Unis, appelé plus couramment TAFTA.
Très logiquement, cette portée du CETA a suscité de nombreuses inquiétudes et critiques, à la fois dans la société civile et au sein des institutions politiques, tant au niveau national qu’au niveau européen.
La première critique porte sur le caractère antidémocratique du traité. En effet, il a été négocié pendant de longues années dans la plus totale opacité, sans aucune consultation ni information des parlements et de la société civile, sous l’influence évidente des lobbies, ce qui explique son orientation très libérale.
De plus, le Conseil européen a décidé le 28 octobre dernier d’autoriser non seulement sa signature, mais aussi son entrée en vigueur provisoire. Cela signifie que, sous réserve d’une approbation par le Parlement européen, la quasi-totalité des dispositions du traité pourront entrer en vigueur sans que les parlements nationaux aient pu se prononcer. Le CETA étant un accord mixte, c’est-à-dire comportant des dispositions relevant à la fois des compétences exclusives de l’Union européenne et des compétences nationales, il devra certes être ratifié par les parlements nationaux mais probablement pas avant plusieurs années.
Enfin, comme je l’ai indiqué, le CETA comprend un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs, sous la forme d’une cour internationale d’investissement. Certes, il n’est plus question désormais des scandaleux tribunaux d’arbitrage privés qui figuraient dans le projet initial. Cependant, les risques pour le droit des États à réguler sont les mêmes : des investisseurs pourront attaquer des décisions de politique publique, par exemple l’interdiction des OGM, et, s’ils gagnent, contraindre les États à leur verser des millions d’euros à titre de compensation.
La deuxième inquiétude porte sur le coût social du CETA. Une étude indépendante réalisée par l’université américaine Tufts, qui s’appuie sur le modèle des politiques mondiales des Nations unies, a conclu à la disparition, d’ici à 2023, de près de 230 000 emplois cumulés au Canada et dans l’Union européenne, dont un peu plus de 200 000 dans l’Union et près de 45 000 emplois en France. Le secteur agricole français, notamment ses filières d’élevage, dont on connaît la fragilité, serait particulièrement touché par l’augmentation des quotas d’importations à 50 000 tonnes de viande bovine et 75 000 tonnes de viande porcine par an.
Les inquiétudes sont également très vives quant à l’impact du CETA sur les services publics. Pour la première fois dans un accord de libre-échange signé par l’Union européenne figure une liste négative des services exclus de la libéralisation. Bien qu’elle se donne comme protectrice des services publics, cette liste, par son existence même, hypothèque largement l’avenir en interdisant de transformer en service public des activités économiques encore en devenir, voire les services publics déjà libéralisés.
Enfin, comme l’a relevé la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans un avis rendu public le 15 décembre dernier, le CETA est susceptible d’avoir des conséquences qui vont à l’encontre des objectifs du développement durable, en particulier s’agissant des enjeux climatiques et environnementaux. En effet, il promeut l’investissement européen au Canada, y compris dans l’exploitation des sables bitumineux dont on sait l’impact désastreux sur l’environnement. Le mécanisme de règlement des différents permettrait également aux investisseurs d’attaquer des réglementations environnementales adoptées par les États, y compris les dispositions prises en application des accords de Paris. Au reste, le CETA ne comporte aucune référence au principe de précaution, pourtant inscrit en tant que tel dans le droit européen à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Les risques pour l’économie européenne apparaissent suffisamment réels et sérieux pour que la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen recommande, le 8 décembre dernier, de rejeter l’accord. Ce rejet est également exigé par les 3,5 millions de citoyens qui ont signé la pétition contre le CETA et son équivalent états-unien, le TAFTA. Par ailleurs, 2 100 communes européennes se sont déclarées « hors TAFTA et CETA », refusant symboliquement d’être soumises à ces deux accords. Enfin, une plainte à laquelle se sont jointes plus de 100 000 personnes a été déposée contre le CETA devant la Cour constitutionnelle allemande. Les plaignants considèrent que cet accord est de nature à menacer les droits des travailleurs et des consommateurs ainsi que la protection de l’environnement, lesquels sont garantis par la loi fondamentale allemande.
Malgré cette large mobilisation des citoyens, des partenaires sociaux et même d’une commission du Parlement européen, sans oublier la résistance de la Wallonie, qui a réussi à faire reporter quelque temps la signature de l’accord, le CETA a été signé le 30 octobre 2016 et entrera très prochainement en vigueur, sous réserve que le Parlement européen l’approuve lors du vote prévu le 15 février prochain. Par conséquent, cette proposition de résolution n’arrive pas « trop tard », ainsi que j’ai pu l’entendre durant son examen en commission. Bien au contraire, elle est débattue au bon moment, parce que tout est en train de se jouer au Parlement européen et que, d’une manière générale, il n’est jamais trop tard pour débattre, surtout lorsque les enjeux sont aussi considérables. Je rappelle à ce propos que c’est grâce à une autre proposition de résolution européenne déposée par le groupe GDR que notre assemblée a pu débattre, le 22 mai 2014, des négociations du TAFTA.
À vrai dire, la catastrophe économique, sociale et environnementale que nous promet le CETA n’est rendue possible que par le mépris avec lequel les Parlements nationaux et l’opinion publique ont été traités depuis l’ouverture des négociations. Une telle situation exige plus que jamais que les implications de cet accord soient débattues publiquement, de manière transparente et contradictoire.
C’est pourquoi la proposition de résolution invite le Gouvernement à consulter le Parlement avant toute mise en œuvre provisoire même si, évidemment, il eût été préférable de consulter le Parlement avant même d’autoriser la signature du traité.
Comme je l’ai déjà indiqué, le CETA, accord mixte, devra être ratifié par l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Or, compte tenu des enjeux, il ne serait pas acceptable que cette ratification soit expédiée à la va-vite, comme c’est souvent le cas pour les traités internationaux. Il est au contraire indispensable de donner la parole au peuple auxquels il revient de décider de son propre destin.
C’est pourquoi la proposition de résolution invite aussi le Gouvernement à proposer au Président de la République l’organisation d’un référendum, conformément à l’article 11 de la Constitution.
Je précise qu’il n’est pas dans l’esprit de la résolution de demander l’organisation d’un référendum avant les échéances électorales du printemps prochain mais d’en fixer dès maintenant le principe.
Mes chers collègues, cette proposition de résolution a été rejetée, tant par la commission des affaires européennes que par la commission des affaires étrangères, mais vous comprendrez qu’à titre personnel et pour toutes les raisons indiquées, je vous invite à l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Conclusion du rapporteur Marc Dolez :
Je veux tout d’abord remercier la plupart des orateurs, issus de tous les groupes, qui ont souligné l’intérêt de la démarche du groupe GDR auteur de cette proposition de résolution. Celle-ci n’avait pas pour objet d’examiner l’ensemble de la politique commerciale de l’Union européenne, que ce soit avec le Canada ou avec d’autres pays, mais de créer les conditions d’un débat véritablement démocratique sur le CETA. Je sais gré à ces différents orateurs d’avoir reconnu que grâce à nous, grâce au groupe de la Gauche démocrate et républicaine, le débat sur le CETA est entré dans l’hémicycle – quoique l’assistance ne soit peut-être pas aussi importante que nous l’aurions souhaité…
C’est important, car les enjeux sont considérables. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit tout à l’heure que le CETA était un accord bon et équilibré. Ce n’est que la position du Gouvernement ! C’est la position que le Gouvernement a défendue le 28 octobre dernier en autorisant la signature du traité sans avoir consulté le Parlement. Mais cela fait débat. J’ai présenté un certain nombre d’arguments tout à l’heure à la tribune, que je ne reprendrai pas, et d’autres orateurs, de tous les groupes, en ont avancé d’autres.
Je rappelle par exemple que nous ne disposons pas de véritables études d’impact sur les conséquences du traité en matière d’emplois et en matière économique.
La commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen a proposé, en décembre, le rejet du traité.
La CNCDH, elle, a émis un avis très critique sur son volet environnemental et climatique. Elle n’est d’ailleurs pas la seule : beaucoup d’ONG, notamment la Fondation Nicolas Hulot, ont fait de même, considérant que le traité allait à l’encontre de l’accord de Paris.
Sur les questions agricoles, on nous dit que les choses vont dans le bon sens, qu’elles sont équilibrées, que nos éleveurs ne doivent nourrir aucune crainte. Mais ce n’est pas la position du syndicat français de la filière bovine, INTERBEV : selon lui, le contingent canadien, qui contient des morceaux à forte valeur ajoutée, représentera en réalité pas moins de 16,2 % des 400 000 tonnes de viande équivalente produites chaque année en Europe.
On pourrait aussi évoquer les services publics, avec la liste négative.
Et la juridiction multilatérale des investissements, tout en restant bien sûr préférable à l’arbitrage privé, laisse entièrement en suspens la question de l’exclusivité de l’interprétation du droit européen par les juridictions européennes.
Bref, il y a débat dans la société civile, il y a débat dans les associations, il y a – ou il devrait y avoir – débat dans les parlements, il y a débat dans les organisations politiques. Mais vous ne paraissez guère sensible, monsieur le secrétaire d’État, aux acteurs que je convoque à l’appui de ma démonstration…
Peut-être serez-vous davantage intéressé par la position de la délégation des socialistes français au Parlement européen : ils ont réclamé un débat de fond sur le sujet et appelé les membres du groupe des socialistes et démocrates à s’engager sur cette voie, car ils considèrent que les choses ne sont pas aussi évidentes qu’il y paraît et que l’accord n’est pas forcément bon et équilibré d’entrée. Selon cette même délégation, les votes des différentes commissions parlementaires ont révélé que le CETA ne faisait pas l’unanimité au sein du groupe socialiste et démocrate.
Elle estime aussi que trop d’incertitudes planent encore sur l’accord : celui-ci reste trop vague, en particulier, à propos de la coopération réglementaire, ce qui risque de ne pas garantir le droit des États à légiférer.
Cette prise de position mérite assurément d’être connue : elle plaide pour la tenue d’un vrai débat au Parlement sur le sujet. Il eût été préférable, je le répète, d’organiser ce débat avant l’autorisation de signature du 28 octobre, mais il demeure indispensable avant toute application provisoire, je redirai un mot là-dessus.
J’ai bien sûr écouté vos interventions avec beaucoup d’intérêt et toute l’estime qui vous est due, monsieur Caresche, monsieur Loncle. Puis-je néanmoins vous faire observer, en guise de clin d’œil et pour suggérer que le débat n’est pas clos, que le candidat à la présidentielle désigné dimanche dernier s’est prononcé contre le CETA ? (Murmures sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Cela prouve bien, me semble-t-il, que le débat existe et que nous ne sommes pas les seuls à le penser. En tout état de cause, la position que le Gouvernement français a adoptée, sans consulter le Parlement ni se soucier des diverses revendications de la société civile, est très loin d’être partagée.
Le présent texte, vous l’avez compris, comporte deux propositions essentielles.
S’agissant en premier lieu de l’autorisation d’application provisoire du traité, je rejoins M. Lellouche, notamment sur un point : cette autorisation concerne en réalité la quasi-totalité du CETA. Hier, en répondant à une question au Gouvernement, M. le ministre des affaires étrangères n’a pas dit les choses telles qu’elles sont à cet égard, puisqu’il a minimisé, en quelque sorte, cette application provisoire, en prétendant qu’elle ne se ferait qu’à la marge du traité. C’est tout à fait inexact : plus de 90 % des dispositions du texte s’appliqueront dès le 1er mars prochain. Ce serait bien la moindre des choses qu’un parlement démocratique comme celui de la République française soit consulté, ainsi que nous le demandons, avant la mise en œuvre de ces dispositions.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission, je ne nie pas le travail important qui a été effectué, notamment au cours des auditions, celles de Matthias Fekl en particulier, qui a été entendu à plusieurs reprises, tant par la commission des affaires étrangères que par la commission des affaires européennes. Mais l’audition d’un secrétaire d’État en commission ne saurait remplacer un débat démocratique dans l’hémicycle, en présence de représentants de tous les groupes et de toutes les commissions permanentes susceptibles d’être saisies des différents aspects du texte.
La procédure de négociation, confiée à la Commission européenne, a été à l’évidence anti-démocratique, et l’autorisation de signature délivrée par le Gouvernement français n’a fait l’objet d’aucun débat préalable au Parlement ; il faudrait au moins que l’application provisoire fasse l’objet d’une telle consultation.
Peut-être y a-t-il d’ailleurs eu une petite confusion tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, ou alors j’ai mal interprété vos propos – je lirai le compte rendu sur ce point. Matthias Fekl a été très clair, en particulier devant les commissions, sur la mixité de l’accord : certaines de ses dispositions relevant des compétences de l’Union, et certaines autres, des États membres, si l’un de ces derniers ne ratifie pas l’accord, l’ensemble de l’accord tombe, a-t-il expliqué. Tout le problème est là.
C’est en tout cas ce qu’a dit M. Fekl : c’est donc la position du gouvernement français. Cela soulève, je vous l’accorde, une vraie question. Lorsque les procédures de ratification seront engagées, elles pourront prendre plusieurs années, chacun le sait, et l’on viendra nous expliquer, si un ou plusieurs États membres ne ratifient pas l’accord, que l’on ne peut faire autrement que de le mettre en œuvre, dès lors que l’application provisoire porte sur 90 % de son contenu, qui plus est sur des dispositions relevant des compétences de l’Union européenne ; les États nationaux ne pourront donc pas dire grand-chose.
Je termine sur la question du référendum. En commission des affaires étrangères et en commission des affaires européennes, on m’avait expliqué, à ma grande surprise, qu’un sujet de cette importance ne pouvait être soumis à référendum. Je m’étonne que M. Lellouche fasse sienne cette opinion, qui l’empêche de voter notre proposition de résolution : le recours au référendum ne devrait-il pas être naturel pour quelqu’un qui se réclame du gaullisme ?
M. François Loncle. Pas moi !
M. Marc Dolez, rapporteur. En effet, monsieur Loncle, pas vous.
M. François Loncle. Mais le texte du traité fait 2 200 pages.
M. Marc Dolez, rapporteur. Ce texte, dit-on, est compliqué, quasi illisible, volumineux en pages et en annexes ; mais c’était déjà le cas du traité de Maastricht, que François Mitterrand avait pourtant fait approuver par référendum. (« Oui ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) C’était également le cas, en 2005, du projet de Constitution européenne, que Jacques Chirac avait lui aussi soumis à un référendum.
Nous avons donc, sur ce point, un désaccord de fond : sur un sujet aussi important, qui engage l’avenir du pays et de nos concitoyens, le peuple doit pouvoir se prononcer directement et avoir le dernier mot.
J’ajoute un dernier mot, monsieur le président. Le recours au référendum que nous proposons ici fait écho, en quelque sorte, aux remarquables travaux de la commission Bartolone sur l’avenir des institutions, laquelle a associé tous les groupes de notre assemblée plus des personnalités extérieures. Parmi ses conclusions figurait notamment la nécessité d’encourager et de développer le recours au référendum.
Celui-ci est en effet un instrument essentiel pour rétablir la confiance des citoyens dans leurs institutions et leurs élus.
Je vous prie de m’excuser, monsieur le président, d’avoir été long ; mais, comme vous le savez, le rapporteur que je ne suis n’est pas limité dans son temps de parole, et le sujet appelait quelques développements.
M. Jean-Luc Laurent. Il l’exigeait, même !
M. Marc Dolez, rapporteur. Il l’exigeait, en effet.
Pour toutes ces raisons, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de résolution.
Et, si vous me le permettez, monsieur le président, je veux apporter une dernière précision pour éviter toute « embrouille » au moment du vote : vous allez mettre aux voix les conclusions de rejet de la commission ; par conséquent, ceux qui soutiennent cette bonne proposition de résolution doivent rejeter les conclusions de rejet.

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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