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Aidants familiaux

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chères et chers collègues, aider les siens, celles et ceux qu’on aime, c’est ce que l’on fait durant sa vie, à la mesure de ce que l’on est capable de donner. Mais adviennent des moments, des situations dans l’existence, où le besoin d’aide se fait plus pressant, plus fort, plus vif. Dans la vie d’une famille, cela vient souvent bousculer les plans. Nous sommes inégaux devant ces aléas de l’existence, dans nos besoins comme dans nos possibilités. Perte d’autonomie, invalidité, handicap ou enfant malade, ces situations ne sont pas identiques ni tout à fait comparables, mais elles suscitent un besoin d’accompagnement particulier.
La question n’est pas tout à fait nouvelle. Pour autant, le rôle des aidants – des aidantes, le plus souvent – a crû dans notre société depuis plusieurs années, et avec lui la reconnaissance de ce travail. Les personnes, les familles confrontées à ces questions apportent leurs réponses, du mieux qu’elles le peuvent. Cela est remarquable.
Les associations de défense des personnes en situation de handicap ou d’invalidité tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme sur la situation et l’insuffisance des aides apportées. Les parents confrontés à la maladie grave d’un de leurs enfants se trouvent aussi placés dans une situation matérielle qui ajoute à leurs difficultés. Avec l’accélération du vieillissement de la population, la question des aidants est devenue encore plus prégnante. Le vieillissement est un enjeu majeur pour les temps qui viennent. Vieillir dans la dignité, être accompagné : cette aspiration est celle de tout un chacun, de toute une chacune ; cela devrait être un droit. Mais pour établir un droit, il faut s’en donner les moyens. Dans le cas de la perte d’autonomie, il y a quelque chose qui relève du drame de la condition humaine, même si cela peut être sublimé ou vécu dans l’apaisement d’une relation continuée. Il n’est pas si facile de voir s’éloigner quelqu’un. Nous devons garantir le droit pour chacune et chacun de vieillir dignement. Chacune, chacun n’a pas forcément la possibilité ou même – et cela n’est pas à blâmer – l’envie d’aider ou d’être aidé, d’entrer dans cette relation de soin particulière qui peut excéder la relation filiale, fraternelle, parentale ou amicale et qui demande d’ailleurs, au-delà de la disponibilité, certaines dispositions d’esprit et parfois des qualifications.
Face au défi du vieillissement, qui n’est pas seulement une question individuelle, mais vient interroger toute la société dans sa capacité à bien traiter ses anciens, il a fallu inventer des réponses à l’encan, dans un monde où les familles elles-mêmes sont souvent éparpillées. Tout cela représente une somme considérable de travail gratuit. À l’échelle d’une famille, cela peut s’avérer un casse-tête et la réponse au besoin peut parfois se révéler insoutenable. Cette situation vient souvent mettre en lumière l’incapacité du service public à assumer des missions qui devraient lui incomber. Sur tous les bancs de cette assemblée, la conscience de cet enjeu est présente. Notre société est en recherche : après l’allocation personnalisée d’autonomie, APA, une loi a été votée en 2015, établissant une définition légale du proche aidant et portant de nouvelles dispositions comme le droit au répit et le congé de proche aidant. Le rapport de nos collègues Charlotte Lecocq et Agnès Firmin Le Bodo a montré les difficultés de son application, soulevé des questions et proposé des pistes.
Se trouver ici aujourd’hui pour examiner des textes qui sont le fruit d’une initiative parlementaire est appréciable et trop rare pour ne pas être souligné. Cette proposition de loi déposée par M. Paul Christophe au nom du groupe UAI a le mérite de mettre en lumière la situation des aidants.
Est-elle la bonne porte d’entrée ? Selon nous, la réponse apportée n’est pas adaptée aux enjeux et soulève plusieurs objections. Par honnêteté et pour la clarté de nos échanges, je me dois de le dire et de m’en expliquer le plus simplement et humblement possible.
D’abord, elle ne saurait suffire à répondre aux besoins des aidants – mais vous l’avez reconnu. Tout au plus peut-elle jouer un rôle de dépannage, mais nous savons qu’elle n’apportera pas ce qu’il faut en termes de volume, non seulement à la personne en situation d’aidant, qui ne sera pas assurée de disposer de tout le temps nécessaire pour accompagner le proche en perte d’autonomie selon ses nécessités, mais également au sens global, ne pouvant combler qu’une part infime des besoins considérables de ce qui doit être considéré non comme un risque, mais un état.
Ensuite, elle fera supporter aux salariés d’une entreprise la situation de dépendance ou de perte d’autonomie d’un ancien, ce qui est une manière aléatoire et singulière d’organiser ou de ne pas vraiment organiser la solidarité, quels que soient les sentiments généreux auxquels nous ne doutons pas qu’elle souhaite faire appel. Il y a besoin d’une solidarité nationale sur cette question ; la solidarité est ici individuelle et aléatoire, au lieu d’être collective et mutualisée. De plus, cette possibilité pourrait avoir des effets pervers, puisqu’elle risque d’induire un mécanisme de culpabilisation dans les entreprises et d’affecter les relations de travail. Et il faut ajouter à cela l’inégalité qu’elle va induire selon l’entreprise, grande ou petite, dans laquelle on travaille, la branche en question, et la propension de ses collègues à entrer dans ce mécanisme.
Enfin, ce n’est pas le rôle des congés payés ou de la réduction du temps de travail que de financer la perte d’autonomie et de suppléer aux manquements criants de la puissance publique en la matière. Cette proposition de loi vient ainsi introduire le principe selon lequel les congés payés ne seraient pas attachés au salarié mais cessibles. Or le droit au repos est une exigence constitutionnelle que l’on ne devrait pas remettre en cause, si important que soit le sujet qui nous occupe. Ce droit n’est pas facultatif. Il s’agit donc pour nous d’une réponse en trompe-l’œil, d’autant que le congé de proche aidant qui existe actuellement ne donne pas lieu à rémunération de l’employeur et n’est pas associé à un revenu de remplacement, et que le congé de solidarité familiale ouvre droit à une indemnité insuffisante. Il faut également tenir compte de l’allongement de la durée du travail et de l’affaiblissement des droits à la retraite auxquels on assiste ces dernières années.
Comme je l’ai dit en commission, le groupe UAI avait une proposition de loi qui prenait un chemin plus intéressant s’agissant des droits à la retraite pour les aidants, d’autant plus que, selon les études, la débauche d’énergie et de stress que provoque ce travail d’aide affecterait leur espérance de vie. Il y a beaucoup à inventer. La commission des affaires sociales a décidé d’une « mission flash » sur cette question. Conduite dans un esprit grand angle avec la volonté de faire naître des perspectives et des avancées concrètes, cette mission peut nous permettre d’aborder l’enjeu des proches aidants avec un regard plus périphérique.
Ce sont plus ou moins 10 millions de personnes qui sont dans cette situation d’aidants ; certaines l’ont choisi, d’autres non. Nous devons sans doute mieux baliser leur situation et établir un véritable statut avec des droits effectifs. Elles réalisent un travail social et humain précieux à l’échelle de la société. Lorsqu’il s’agit de retraités, ils et elles aident bien souvent à la fois leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs parents. Au passage, cette solidarité n’étant pas que temporelle, on voit bien, en regardant les choses par ce prisme, que l’augmentation de la CSG va d’autant plus injustement accabler nombre d’entre elles et d’entre eux et affaiblir leur capacité à jouer ce rôle pivot qui est le leur. La réalité des aidants, leur propre besoin d’aide incitent également à inventer de nouveaux métiers et à développer des services professionnels qui deviennent indispensables ; il y a là un gisement d’emplois nouveaux. L’aspiration à rester chez soi doit être entendue autant que possible. Lorsque des proches aidants peuvent prolonger ce temps-là, il faut le faciliter, le reconnaître, sans pour autant dédouaner la collectivité de ses propres responsabilités – elle y trouve d’ailleurs son compte.
Bien entendu, ce sujet n’est pas le tout de la vaste question du vieillissement auquel notre société doit apporter les réponses adaptées. Il nous faut une politique nationale offensive et coordonnée de l’autonomie. Le lien de complémentarité entre les différentes formules possibles face à la perte d’autonomie, à l’invalidité ou au handicap devra être développé. Les aidants, s’ils sont isolés dans un désert de services publics médicaux et face à une dégradation de l’outil de soins, seront plongés dans des difficultés accrues. Leurs attaches avec les établissements pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, sont une piste à défricher. Par ailleurs, il faudra bien se poser la question du financement des besoins se rapportant aux vieux jours, dans l’esprit qui a présidé à la mise en place de notre système de protection sociale solidaire. Ce n’est pas à des assurances privées complémentaires – que l’on pourra se payer ou non selon que l’on sera riche ou misérable – que doit incomber la couverture de cet état de perte d’autonomie. Nous devons inventer une réponse sociale à la hauteur de l’enjeu. Notre débat d’aujourd’hui ne clôturera donc pas le sujet. Je veux croire que dans ce champ marqué par de profondes inégalités, il y aura, le plus prochainement possible, des propositions qui pourront nous rassembler pour produire les avancées attendues. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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