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Agriculture : renforcement durable de la compétitivité

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y a pas de doute, les cosignataires de la proposition de loi sont profondément libéraux. Si bien que le ministre de l’agriculture les a lui-même trouvés plus libéraux que lui, ce qui n’est pas peu dire ! L’examen de cette proposition de loi du Nouveau Centre a d’ailleurs donné lieu en commission des affaires économiques à des échanges surprenants. M. le ministre a ainsi répété aux membres du Nouveau Centre son opposition à leurs mesures synonymes de dumping social, se disant lui-même « favorable à une harmonisation sociale européenne qui doit se faire par le haut » ainsi qu’à « un salaire minimum européen », ajoutant qu’il s’opposerait « à tout alignement vers le bas » et « que ce serait une erreur profonde ». L’espace d’un instant, nous aurions pu penser qu’un membre éminent de l’UMP souhaitait rejoindre les bancs du groupe des députés communistes, républicains et du parti de gauche. Mais la suite de ses propos, en réponse à mon collègue André Chassaigne, a rapidement contredit sa posture de tenant du « progrès social ». Ce texte s’inspire du moins-disant social que la droite entend imposer partout en Europe. Il attribue en effet la baisse de la production française et les difficultés de nos producteurs au seul coût du travail, c’est-à-dire aux cotisations sociales et patronales qui seraient trop élevées par rapport aux autres pays européens, faisant du dumping social une solution pour améliorer la compétitivité de nos produits agricoles. Pour le rapporteur, seules les comparaisons en termes de protection sociale, de cotisations et de coût du travail expliqueraient les difficultés de l’agriculture française. C’est à peine s’il ne se félicite pas des 3,20 euros que gagne un salarié agricole espagnol ou du 1,60 euro que reçoit le salarié polonais ! L’exposé des motifs ne fait d’ailleurs référence qu’aux pays de l’Union européenne, mais, monsieur le rapporteur, vous auriez pu trouver encore moins cher au Maroc, au Kenya ou en Thaïlande. Faites encore un effort dans le cynisme ! En se contentant de mesures d’exonération de cotisations sociales patronales pour tous les salariés du secteur agricole et forestier pour lutter contre les prix trop bas et contrecarrer les diktats des distributeurs industriels, le texte que vous soutenez écarte toutes mesures contraignantes, du type coefficient multiplicateur, qui permettraient de garantir aux producteurs les prix d’achat. Par ailleurs, ce texte cherche à évacuer les causes réelles des difficultés de l’agriculture française, notamment l’augmentation sans précédent des importations de légumes et de fruits en provenance des pays extracommunautaires, les pays de l’Asie du Sud-Est notamment, dans lesquels la protection sociale et les salaires sont encore plus faibles que dans l’Union européenne. Cette proposition de loi, c’est aussi tout bénéfice pour la grande distribution puisqu’elle s’inscrit dans un transfert des cotisations du capital et du travail sur la consommation. L’article 2 prévoit en effet une contribution assise sur la grande et moyenne distribution, qui la répercutera automatiquement à la hausse sur les prix de vente ou à la baisse sur les prix d’achat aux producteurs. Une mini TVA sociale s’imposerait sur les produits de première nécessité, pénalisant les foyers les plus modestes. Ironie du calendrier, aujourd’hui, vous prétendez venir en aide aux agriculteurs en taxant les consommateurs, et hier vous avez décidé de supprimer ou d’alléger l’ISF pour les plus fortunés de nos concitoyens. Décision qui entraînera une perte de recettes pour l’État de 1,7 milliard d’euros. Ainsi, le texte, en n’envisageant aucune contribution sur les résultats des groupes de l’agroalimentaire, exclut, de fait, le capital de la distribution et des industriels ainsi que le secteur bancaire et assuranciel de toute participation au financement de la protection sociale agricole. C’est un nouveau signal adressé aux géants de l’agroalimentaire, visant à valider leur stratégie de dumping social, d’accroissement de marges et de pression à la baisse des prix par l’ajustement des volumes d’importation. Par ailleurs, je le répète, monsieur le ministre, le bilan positif en termes d’emplois des exonérations de cotisations sociales dans tous les secteurs de l’économie est un mythe entretenu par l’économie dominante. Depuis au moins dix ans tous les rapports de la Cour des comptes en témoignent, le bilan est terrible : les exonérations ne sont pas créatrices d’emplois. Ce sont les charges financières qui pèsent sur l’économie, ce sont les intérêts bancaires et les dividendes versés qui assèchent les capacités d’innovation et de développement, pas les cotisations, qui contribuent à la protection sociale et à l’intérêt général ! Il convient donc de rejeter l’ensemble de ce texte d’inspiration libérale, qui ne permet de résoudre ni les problèmes de l’agriculture ni ceux des consommateurs, et qui s’évertue à confondre les causes et les conséquences pour mieux servir le moins-disant social dans le secteur agricole et forestier.

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Roland
Muzeau

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