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Agriculture : droit au revenu des agriculteurs

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre débat s’inscrit dans un contexte dramatique pour l’ensemble des agriculteurs français et européens. Le revenu agricole net a connu une chute vertigineuse de 20,3 % en 2008. Et encore n’est-ce qu’une moyenne, qui cache des situations individuelles dramatiques. Toutes les filières sont sinistrées. Comme l’a dit notre rapporteur, cette crise sans précédent n’est pas simplement conjoncturelle. Elle est aussi et surtout la traduction de la libéralisation forcenée des échanges agricoles, de l’affaiblissement des politiques agricoles publiques et des outils de gestion des marchés.
C’est ainsi que la crise laitière résulte fondamentalement du démantèlement organisé des quotas laitiers et des mécanismes de protection du marché agricole européen, démantèlement qui s’inscrit dans la politique de libéralisation de l’agriculture, d’ailleurs conforme à l’idéologie de l’actuelle construction européenne, reprise dans le traité de Lisbonne.
L’ensemble des productions agricoles continuent de subir des baisses de prix considérables, consécutives tant à la suppression des actes de régulation européens et nationaux qu’à la liberté accordée, dans la fixation des prix d’achat, à une poignée de centrales d’achat et d’enseignes de la grande distribution. S’il se poursuit, ce démantèlement se traduira par une la saignée aggravée de la population paysanne et par la concentration toujours plus importante de la production au sein de grosses exploitations situées dans les régions les plus compétitives.
Dans ce contexte de crise économique majeure, la proposition de loi visant à instaurer un droit au revenu des agriculteurs, présentée par notre collègue André Chassaigne avec la conviction que nous lui connaissons, a d’abord le grand mérite d’aller à l’essentiel en centrant le débat sur la question des prix d’achat aux producteurs, de la juste rémunération du travail agricole et de la promotion d’une politique européenne régulatrice.
La dégringolade des revenus appelle, en effet, une politique volontariste et responsable.
À crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles certainement ! Mais au-delà des mesures d’urgence indispensables, le monde agricole a aussi et surtout besoin de vraies mesures structurelles.
Cette proposition de loi répond à la fois à l’urgence de la situation et aux attentes de la profession, en apportant des solutions pour garantir des prix à la production rémunérateurs et stables par la mise en œuvre d’outils de régulation simples et efficaces, d’ailleurs approuvés par l’ensemble des organisations syndicales.
Si, pour vivre de leur métier, les producteurs de toutes les filières ont besoin de prix rémunérateurs, ils ont aussi besoin – et c’est particulièrement vrai pour les jeunes qui s’installent – d’une visibilité en matière de prix et d’une réelle stabilité.
La maîtrise de l’offre, la garantie des prix, la pérennité des outils de transformation sont aujourd’hui fragilisées, alors que le lien entre production et consommation a besoin d’être renforcé. C’est pourquoi je souhaite insister particulièrement sur la pertinence et le caractère opérationnel du dispositif proposé.
L’observatoire des prix et des marges, qui est aujourd’hui un simple outil statistique, participerait à la transparence des marchés en suivant l’évolution des prix et des marges pratiqués par type de produits au sein des filières agricoles et agro-alimentaires, et deviendrait en outre une vraie force de proposition et d’impulsion des politiques publiques en cas de crise.
La possibilité de proposer l’instauration d’un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente, étendu à l’ensemble des produits agricoles et alimentaires périssables, constituerait un outil très efficace pour éviter les situations dans lesquelles les producteurs sont obligés de travailler à perte.
La définition de prix minima indicatifs par les interprofessions serait un véritable levier pour organiser les relations commerciales au sein de chaque filière. L’interprofession est en effet le lieu où les acteurs des filières peuvent partager les moyens d’observation de la production et des marchés dont ils disposent.
Cette forme de régulation interne aux interprofessions permettrait d’éviter, ou du moins d’amortir, les excès auxquels les fluctuations de prix sur les marchés mondiaux ont pu donner lieu entre 2007 et 2009.
La création d’un prix plancher d’achat aux producteurs complète le dispositif, puisqu’il désigne la limite en deçà de laquelle les acteurs de la filière s’accorderaient à dire que les producteurs ne gagnent plus leur vie.
Le double mécanisme ainsi mis en place permettrait d’agir directement, tant sur les prix, avec le déclenchement du coefficient multiplicateur, que sur les revenus, avec les aides d’urgence débloquées suite à un avis d’alerte économique et sociale en cas de dépassement des prix plancher.
Mais si la juste rémunération du travail agricole nécessite la mise en place de mécanismes de gestion des productions agricoles et d’organisation des marchés, elle implique aussi une harmonisation sociale progressive, par le haut, au sein de l’Union européenne.
Cela suppose donc de rompre avec la logique libérale de dérégulation des marchés et de dumping social au seul bénéfice de la rémunération des capitaux investis dans les filières agro-alimentaires, et notamment des groupes de la grande distribution.
Le second intérêt de la proposition de loi est aussi, par conséquent, de tracer les grandes orientations de ce que devrait être la politique de la France en Europe.
Dans la perspective de la PAC d’après 2013, notre pays doit clairement et concrètement affirmer sa volonté d’une politique agricole commune rénovée en profondeur, efficace, juste, équitable, et obtenir pour cela des mécanismes de régulation des marchés au niveau communautaire.
La mise en place d’un prix minimum indicatif européen permettrait, par exemple, de réduire les cas de distorsion de concurrence qui se multiplient sur le marché intracommunautaire, sachant que ce prix minimum devrait être modulé en fonction des conditions de production.
L’Europe doit se recentrer sur son marché intérieur en le protégeant chaque fois que nécessaire, faire respecter le principe de souveraineté alimentaire, stopper la concentration de la production et la diminution des emplois agricoles, engager, notamment pour répondre à l’urgence écologique, une révolution des modes de production, une relocalisation des productions, et mettre fin au dumping de l’Europe sur les marchés des pays du Sud.
II ne s’agit évidemment pas d’un repli égoïste, mais au contraire de permettre aux autres pays d’exercer leur droit de souveraineté alimentaire et de développer partout, au Nord comme au Sud, une agriculture paysanne et durable.
Pour assurer la sécurité alimentaire, pour préserver la planète, pour dynamiser le monde rural, l’objectif doit être le maintien de tous les paysans dans toutes les régions d’Europe. Il faut produire au plus près des consommateurs afin de réduire les transports et d’améliorer la qualité des produits.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons de fond pour lesquelles les députés communistes, républicains et du parti de gauche vous invitent à voter cette proposition de loi, qui vise à exprimer en France comme en Europe une véritable ambition agricole et alimentaire, en rupture avec la logique libérale. Je veux insister plus particulièrement sur ce point à la fin de mon propos. Nous avons, en effet, la conviction qu’il ne peut pas y avoir de régulation – tout le monde en parle et vous aussi, monsieur le ministre, en avez brillamment parlé – sans rupture avec cette logique libérale que nous dénonçons.
Au-delà du constat partagé sur l’ampleur de la crise et des grands discours sur le sujet, avouez que l’adoption de ce texte par notre assemblée serait, aujourd’hui, un signal fort, concret et encourageant pour toute une profession, si indispensable au pays, mais qui a plus que jamais peur du lendemain.
 

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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