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Accord de coopération avec l’Afghanistan

Mes chers collègues, en ce moment, au Havre, des citoyennes et des citoyens sont rassemblés en mémoire de Johanna, assassinée lundi par son ex-compagnon, en pleine rue et sous les yeux de ses enfants. Les Havraises et les Havrais ont choisi de se rassembler aujourd’hui et ils se trouvent en communion, où qu’ils soient, avec les enfants, la famille et les amis de Johanna. J’ai choisi de m’associer à eux, en ce moment, pour faire résonner ici leurs voix et leurs exigences, pour que nous prenions toute la mesure de ce fléau dit « féminicide », afin de répondre à cette urgence à agir autrement que par des mots.

Je reviens au texte qui nous est proposé.

La fin du conflit entre les talibans et l’État afghan est l’un des plus grands défis pour la paix dans le monde. Pourtant, nous avons ici, comme si de rien n’était, un accord de partenariat entre l’Afghanistan et l’Union européenne.

Cet accord n’est pas digne de la gravité de la situation. La raison en est simple et elle tient en deux points.
Tout d’abord, les députés communistes sont, par principe, contre ce type d’accord dont le seul objectif est l’augmentation des exportations européennes. Il cache mal l’ambition maladroite de l’Union européenne de faire du business en se drapant dans la vertu des droits de l’homme.

Il nous semble que, plutôt que de travailler à la résolution durable des conflits, l’Union européenne utilise ces accords fourre-tout pour faire accepter son implantation économique. L’urgence en Afghanistan est non d’importer des biens et de services européens, mais d’éviter une troisième guerre civile. Si les députés communistes étaient cyniques, ils se contenteraient du fait que cet accord est bon pour l’Union européenne et pour la France, sans considérer le sort de l’Afghanistan. Mais nous ne le sommes pas. Nous sommes donc opposés à cet accord, car il est mauvais pour les Afghans et n’apporte aucune solution pour sortir d’une crise majeure.

L’équation qui permettra de sortir ce pays de la crise qu’il traverse est très complexe, mais sa résolution mérite d’être tentée. Voici les inconnues de l’équation à maîtriser en urgence.

Premièrement, l’Afghanistan produit 85 % du stock mondial d’héroïne. De nombreux citoyens afghans en tirent un profit qui leur permet de subsister.

Deuxièmement, ce sont les talibans, organisation terroriste menant une guerre acharnée contre l’État central afghan, qui tirent en grande partie les ficelles de ce commerce très lucratif pour ceux qui l’organisent.

Troisièmement, l’organisation de l’État afghan, imposée par l’Occident, est trop centralisée et ne semble pas correspondre à l’organisation sociale du pays : l’Afghanistan est découpé en tribus et en vallées, traversé par des montagnes souvent infranchissables qui empêchent l’émergence d’un véritable sentiment national. La forme de cet État contribue à entretenir ses problèmes. Comme l’a indiqué la présidente de la commission, l’Afghanistan devrait plutôt, dans l’idéal, prendre la forme d’une confédération unissant plusieurs nations, plusieurs vallées, plusieurs peuples. Au lieu de cela, la présence de l’État central est parfois perçue comme une violence alimentant la résistance des talibans et la faiblesse structurelle de l’appareil étatique afghan.

Ainsi, plutôt que « d’œuvrer à la suppression des obstacles aux échanges, notamment en éliminant en temps voulu les barrières non tarifaires et les restrictions aux échanges […] » comme le prévoit l’article 13 du texte ou encore « d’encourager la mise en place d’un environnement attrayant et stable pour les investissements », comme le préconise l’article 18, il serait préférable de favoriser la régénération de l’économie par l’État, afin que l’agriculture, ou d’autres secteurs, deviennent plus rentables que la culture du pavot.

Cette équation est certes très difficile à résoudre. Mais la lutte contre la production du pavot permettrait certainement de rétablir une activité économique, notamment agricole, utile au pays et à ses habitants, ainsi que de diminuer l’influence des talibans au sein de cet État en diminuant leur emprise sur les cultivateurs de pavot et en réduisant leurs ressources financières. Elle permettrait enfin de réfléchir à l’avenir de cet État, à l’heure où la campagne présidentielle, en vue des élections du 28 septembre prochain, a déjà connu un premier attentat.

Cet accord avec l’Union européenne manque donc totalement sa cible et démontre à quel point la paix ne semble pas constituer un objectif diplomatique européen. Plutôt que d’envoyer des diplomates aux quatre coins du monde pour rédiger des accords commerciaux, maquillés de la sorte, il faudrait, comme je le crois et comme Françoise Hostalier, ancienne ministre et ancienne députée l’a expliqué dans le journal La Croix de lundi dernier, que l’Union européenne et la France soutiennent davantage l’instauration d’un dialogue intra-afghan sous l’égide de l’ONU et non pas uniquement un dialogue bilatéral entre les États-Unis et l’Afghanistan. L’Union européenne s’honorerait à apporter sa pierre à l’édifice de la paix plutôt qu’à celui du commerce. Les communistes voteront donc contre cet accord.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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