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Discussions générales

Accompagnement des malades et de la fin de vie

« On me soigne, je vis intensément » : 25 mai 2021, Axel Kahn lutte contre le cancer, contre la souffrance. Il livre au fil des jours la chronique étrangement apaisante de son départ inéluctable, le témoignage d’une fin de vie – témoignage parmi tant d’autres, ayant la même valeur que les autres, dont certains ont alimenté la chronique. Axel Kahn avait pris parti dans le débat qui nous occupe, en s’efforçant de l’éclairer. Il me parlait de soin, d’éthique, d’humain. C’est de cela, au fond, que je dois vous parler. Comment évoquer ces choses-là, qui réveillent l’intime – l’intime est politique –, et se faire comprendre en quelques minutes ? Il faut une vie entière pour en faire le tour.

C’est un homme de gauche qui vous parle, un communiste qui a longuement médité sur la fin de vie. Je suis saisi d’un vertige sans fond devant l’admission de l’assistance au suicide et de l’euthanasie au rang des gestes de la République.

Au commencement, il y a la souffrance, que chacun de nous redoute, qui nous est insupportable, qui nous bouscule. Cette révolte, je veux croire que nous l’avons tous en partage. Puis viennent des outils, le soin, les soins palliatifs, et les lois Kouchner, Léonetti, Claeys-Léonetti, qui construisent un modèle éthique à même de prendre en charge cette souffrance. Puis la colère de devoir répéter la même chose, année après année, face au refus délibéré des moyens nécessaires à l’application de ces lois. La société, qui s’engage à accompagner chacun jusque dans l’ultime épreuve, ne tient sa promesse qu’une fois sur deux. C’est indéfendable.

Désormais, nous franchissons la barrière éthique, nous confondons « soulager les souffrances » et « abréger la vie », nous prenons au pied de la lettre la demande de mort, qui est si souvent un appel à l’aide, à l’humanité. À partir de quand une vie ne vaut-elle plus la peine d’être vécue ? À partir de quand la société peut-elle se permettre d’en prendre acte, voire d’en décider ? Comme si la dignité se faisait la malle parce que l’on est trop malade, handicapé, diminué ! Il faut proclamer l’égale dignité des personnes, quel que soit leur état de santé. Il faut changer de regard. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, RE, RN, LR, Dem, SOC et Écolo-NUPES. – M. Julien Bayou applaudit également.)

Ce projet de loi, paraît-il, n’enlèverait rien à personne ; mais il convoque la société, il me convoque en tant que membre de la société, en tant que sociétaire du genre humain, pour m’associer à un geste qui ne va pas sans préjudice. Au lieu d’apporter un message de sympathie, d’encouragement et de solidarité, il pose à chacun cette question : ne crois-tu pas qu’il est temps de partir ? Je peine à me reconnaître dans cette société-là, cette République-là, cette humanité-là. De toute évidence, permettre de mourir n’est pas un soin.

La mort peut-elle s’inscrire parmi les droits de la personne humaine ? Drôle de fraternité, alors que la loi est censée protéger particulièrement les plus vulnérables ! L’absolue liberté dont on serait soudain saisi au moment le plus délicat est une fiction. Bourdieu disait que l’on est toujours moins libre qu’on ne le croit. L’histoire d’une vie n’en demeure pas moins celle de l’émancipation individuelle, dans le cadre d’une émancipation collective. Nous ne pouvons évacuer la dimension sociale de la question : elle est au cœur de la discussion.

Dans cette société de la performance, cette future loi renvoie chacun à sa solitude. Elle parle d’une liberté qui ne sera pas acquise à tous. J’ai appris avec Marx et Lucien Sève que la personne humaine porte en elle l’ensemble des rapports sociaux : elle est le fruit de ses relations familiales, et soumise au poids des hégémonismes culturels – l’on nous serine par exemple, durant toute notre vie, que nous coûtons trop cher. Nous n’avons pas tous le même entourage, la même trajectoire, les mêmes conditions matérielles d’existence.

Il faut agir pour la République sociale. L’examen de ce texte en pleine crise sociale et sanitaire n’est pas le moindre des problèmes. Demain, combien d’entre nous auront plus vite accès à un produit létal qu’à un centre antidouleur ? Les soins palliatifs et l’assistance au suicide ne sont pas complémentaires, mais contradictoires. En réalité, la première partie du texte risque fort de n’être que l’alibi de la seconde, qui s’avance à pas pressés vers une nouvelle norme sociale aux conditions d’application très élargies.

Les membres du groupe Gauche démocrate et républicaine partagent certaines convictions, notamment touchant la place et les moyens du service public, mais non la même opinion concernant l’aide à mourir. Nous étions plusieurs à penser que ces interrogations un peu vives méritaient d’être exposées à la tribune, avec toute l’humilité à laquelle invitent ce caractère solennel et le sujet lui-même. La décision politique que nous devons prendre emporte une question civilisationnelle, anthropologique. Elle mérite un examen critique, qui dépasse les fausses évidences. Prenons garde : pour vivre intensément, soignons tout humain et tout l’humain.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RN, LFI-NUPES, LR, Dem, HOR, SOC et Écolo-NUPES. – Mme Astrid Panosyan-Bouvet applaudit également.)

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