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Accès au foncier agricole

La terre n’est pas un bien de consommation comme les autres. Il faut s’imprégner totalement de cette réalité, faute de quoi nous passerons à côté d’une question essentielle pour les décennies à venir. L’on ne peut pas penser la souveraineté alimentaire et la qualité d’une alimentation saine pour tous en laissant la terre faire le beurre d’appétits financiers jamais rassasiés. N’en déplaise à certains, la liberté d’entreprendre dans ce domaine doit avoir des limites.

La France a été l’une des premières nations à innover sur le foncier agricole en créant les SAFER dans les années soixante. Les abus du phénomène sociétaire pour contourner certaines règles rongent notre modèle agricole. Il est donc essentiel de s’attaquer au problème du foncier. Le législateur n’en est pas à son galop d’essai s’agissant des tentatives de régulation de l’accès au foncier agricole. En décembre 2016, mon collègue et ami Dominique Potier avait tenté de limiter le phénomène d’accaparement des terres, mais sa proposition de loi avait été censurée en partie sur le fond par le Conseil constitutionnel, celui-ci invoquant une fois de plus la sacro-sainte liberté d’entreprendre.

Pourtant, il faut agir. Dans nos campagnes, l’accaparement des terres est un problème et un péril. Pire, les choses s’accélèrent depuis une dizaine d’années, avec une pression de plus en plus forte de la part d’investisseurs n’ayant rien à voir avec l’agriculture et parfois étrangers.

Dans l’Allier, nous avons été confrontés à cette situation à la suite d’investissements chinois portant sur le foncier agricole ayant conduit à l’accaparement de terres au travers de structures sociétaires. En 2017, la société en question avait acquis pas moins de 900 hectares de terres agricoles dans l’Allier après avoir déjà racheté, en 2016, 1 700 hectares dans l’Indre.

Le mal est réel et nous ne sommes pas armés pour lutter contre ces acquisitions agressives. Une grande réforme du foncier agricole doit avoir lieu. C’était d’ailleurs une promesse du Président de la République, mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.

Le manque de courage politique, mêlé à une difficulté récurrente de s’éloigner, ne serait-ce que sur ce sujet fondamental, des lignes directrices de votre politique libérale, a tué dans l’œuf les belles intentions que vous affichiez pourtant. Néanmoins, cette proposition de loi arrive, et il vaut mieux une proposition d’urgence que pas de proposition du tout.

Nous pensons cependant que beaucoup d’espoirs fondés dans ce texte seront déçus. Le seuil d’agrandissement excessif ou significatif est-il le bon critère de déclenchement d’un contrôle ? Je n’en suis pas certain. Cela créera une inégalité de procédure pour le contrôle de structures. Certains se serviront certainement de cet outil pour constituer des sociétés destinées à contourner le contrôle des structures. L’article 1er instaure un dispositif d’acceptation tacite de certaines opérations passé un délai fixé par décret : celui-ci pouvant également poser problème, j’ai déposé un amendement visant à en renverser la logique et à faire de l’absence de décision dans un certain délai la marque d’un refus.

Ce texte n’aborde pas non plus le travail délégué : c’est regrettable car cette méthode de contournement du contrôle connaît une forte croissance et devient de plus en plus visible et nuisible. J’ai déposé un amendement visant à lutter contre le travail délégué et à consolider le droit du fermage et l’installation de nouveaux agriculteurs.

Toujours dans le thème de l’installation de jeunes agriculteurs, ce texte n’apporte pas grand-chose pour assurer le renouvellement des agriculteurs qui vont partir à la retraite. D’autres questions restent bien sûr posées. Dans un système bovin allaitant, il faut, chez moi, entre 3 000 et 4 000 euros de capital d’exploitation hors foncier pour s’installer, ce qui exclut beaucoup de jeunes qui ne rêvent pourtant que de cela.

Cette proposition de loi est un premier pied mis dans la porte, mais il doit ouvrir la voie à d’autres textes beaucoup plus ambitieux. Je regrette profondément que notre groupe de travail sur le sujet n’ait pas abouti, mais pour les agriculteurs et contre l’accaparement des terres, chaque pas en avant est important.

Cette proposition de loi constituant une avancée, certes modeste, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.)

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Jean-Paul
Dufrègne

Député de l' Allier (1ère circonscription)

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