Interventions

Budget de la Sécurité sociale

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023

Aujourd’hui, c’est le jour de la marmotte… ou peut-être demain. Vous aurez l’impression d’avoir déjà vécu cette scène. Comme hier, la Première ministre entrera par cette porte. La séance reprendra. Elle annoncera que notre discussion est terminée. Nos objections, nos propositions et même nos approbations seront balayées comme des feuilles mortes – « tu vois, je n’ai pas oublié ». (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

La démocratie sera de nouveau foulée aux pieds et, avec elle, la santé et la sécurité sociale. Si tel était le cas, nous franchirions un nouveau palier dans l’étatisation de la sécurité sociale.

Mais il existe une autre voie pour le Gouvernement : il pourrait admettre qu’il n’a pas la légitimité de décider seul, entendre les positions divergentes et les propositions que nous formulons, accepter de tempérer ses ardeurs et avoir le courage de la confrontation démocratique. Nous y sommes prêts ; c’est pour cela que nous sommes là ! La démocratie et la politique en sortiraient grandies. Souffrez qu’on vous conteste, qu’on vous résiste et qu’on vous oblige, à défaut de toujours vous convaincre.

Vous nous présentez, comme d’habitude, « le meilleur budget de tous les temps », de toute l’Europe, de tout l’univers – c’était aussi le cas l’année dernière, mais les records sont faits pour être battus ! (Sourires.) Quand vous vous regardez, vous avez envie de vous chanter des louanges. Je suis bien placé pour vous dire que même les super-héros ont parfois des problèmes de vue ! (Rires sur les bancs des groupes GDR-NUPES et ÉCOLO-NUPES.)

Vous êtes vous-mêmes abusés par le trompe-l’œil que vous avez créé. C’est beau, un trompe-l’œil, quoique pas toujours, mais c’est conçu pour faire illusion… Car ça va mal, mesdames et messieurs les ministres ! Les records aujourd’hui battus sont ceux des inégalités sociales et territoriales en matière de santé. Vous n’avez toujours pas pris la mesure de la crise profonde qui frappe notre pays et qui touche le point névralgique de l’hôpital alors que s’étendent les déserts médicaux. Vous continuez d’assécher les finances de la sécurité sociale en poursuivant la baisse de son financement par les cotisations sociales, passé de 90 % à 38 % en quarante ans. Chaque année, c’est la foire aux exonérations. Et vous refusez bien sûr de toucher aux exonérations acquises – vous nous l’avez assez répété, en écho à la ritournelle libérale de l’Union européenne.

Ce budget continue donc de creuser dans la même veine : oui, à creuser, car vous nous racontez des sornettes ! Par rapport à 2022, l’Ondam, ce fameux couvercle sur la cocotte, est en baisse de 0,8 %. Parmi les sous-objectifs de l’Ondam, celui du secteur médico-social est particulièrement faible, alors que 70 % des dépenses du secteur sont les salaires.

L’Ondam lui-même est en baisse cette année, je l’ai dit – comme s’il avait été trop élevé l’an dernier… Un tel choix est tout à fait inédit et constitue une décision grave et irresponsable. L’Ondam de ce PLFSS est scandaleux et je ne vois pas comment il pourra tenir.

Vous justifiez cette baisse par le fait que le budget de la sécurité sociale pour 2022 tenait compte de la crise sanitaire. Par le pouvoir du crâne ancestral, vous avec donc décidé de faire disparaître le covid-19 !

Chapeau ! Pourquoi ne pas y avoir pensé avant ? Vous nous bercez d’illusions et vous vous arrangez avec le réel ! Dans une opération arithmétique trompeuse, vous divisez les dépenses liées à l’épidémie de covid-19 par onze : belle ambition pour la lutte contre ce fléau !

Mais vous oubliez les besoins liés aux soins différés. Le covid a interrompu de nombreux parcours de soins : un million d’interventions chirurgicales ont été déprogrammées et leur rattrapage est toujours en cours. Alors que la crise a fragilisé notre système de santé, vous imaginez que les besoins de santé vont diminuer.

Premier arrangement avec le réel, il y a deux crises pour un seul budget, et non l’inverse. D’une part, la crise liée au covid-19, qui se poursuivra plus longtemps que vous le dites. D’autre part, la crise de tout le reste, qui va continuer à prendre de l’ampleur.

Le deuxième arrangement avec le réel concerne les prévisions du Gouvernement. Le PLFSS pour 2023 surestime la croissance en se fondant sur un taux de 1 % alors que le Haut Conseil des finances publiques évoque un taux maximum de 0,6 %. À l’inverse, le Gouvernement sous-estime l’inflation en l’évaluant à 4,3 % tandis que les prix augmentent de 6 % à 7 % et que les tarifs de l’énergie flambent. Les dépenses de santé affichaient déjà une augmentation tendancielle de 4,5 % avant 2019. Rappelons, par ailleurs, que le plafonnement de l’Ondam à 2,5 % pendant dix ans a précipité la fermeture de lits et de services dans les hôpitaux publics, conduit à augmenter la cadence de travail des soignants jusqu’à l’insupportable et nourri la désertification médicale, projetant notre système de santé dans des affres qui exigent aujourd’hui un grand plan de rattrapage.

Troisième arrangement avec le réel : vos comparaisons sont hors de propos. En 2019, l’Ondam augmentait de 2,5 %, c’est-à-dire 2 % de moins que ce qu’il aurait fallu pour maintenir le système, tandis que l’inflation était de 0,9 %. (M. Boris Vallaud applaudit.) Aujourd’hui, l’Ondam baisse de 0,8 %. Même avec une hausse de l’Ondam de 3,7 % – votre chiffre joker et traficoté –, l’inflation est si élevée qu’elle portera l’augmentation tendancielle des dépenses de santé bien au-delà de 4,5 %. Franchement, on est très loin du compte ! « Le réel, c’est quand on se cogne », disait en effet, Lacan. Pour nous, comme le dit la chanson, « Y’a pas d’arrangement ! »

Ce ne sont pourtant pas les sources de financement qui manquent. Près de 18 milliards d’euros ont déjà été immobilisés par la Cades pour rembourser une partie de la dette liée à l’épidémie de covid-19 et pourraient être réaffectés. Je pense aussi aux 75 milliards d’exonérations de cotisations sociales, qui affaiblissent notre modèle social. Mais, comme à l’accoutumée, le PLFSS que vous nous soumettez fait le choix de la réduction des dépenses publiques et sociales au détriment des besoins sociaux et de santé de la population.

Certes, dans la rubrique « Dans ce budget, il y a… » figurent quelques bonnes idées, que vous avez placées en tête de gondole. Je les salue bien volontiers pour vous convaincre de la sincérité de mes critiques. Je me félicite tout particulièrement de l’extension du complément de libre choix du mode de garde, de l’élargissement du dépistage sans ordonnance des infections sexuellement transmissibles et de la gratuité de la contraception d’urgence pour les femmes. J’y ajoute, par bonté d’âme, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires au 1er juillet 2022, bien qu’elle soit « tarpin rétrécie », comme on dit à Marseille ! Elle intervient, en outre, après le rattrapage insuffisant, lacunaire et injuste décidé lors du Ségur de la santé. Il y a quelques jours, j’ai reçu les auxiliaires de puériculture et les infirmières puéricultrices du service de pédiatrie de l’hôpital de Martigues, qui m’ont alerté sur leur situation. Il faudra bien, tôt ou tard, remettre tout ça à plat, et vers le haut !

Dans le budget de la sécurité sociale pour 2023, il y a aussi des demi-mesures, des mesures mal gaulées, ces mauvaises réponses à de bonnes questions. Je pense notamment à la volonté du Gouvernement d’affaiblir le régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco en le privant de sa fonction de recouvrement. Je pense à l’ajout d’une année de stage pour les étudiants en médecine générale afin de disposer d’une main-d’œuvre captive et bon marché. Je pense aussi au transfert du congé maternité à la branche famille, ce qui change son sens, et à la compensation des exonérations de cotisations sociales, dont nous ne sommes pas certains qu’elle soit intégrale. Je pense encore à ces Ondam des trois prochaines années rivés à une progression de 2,6 % ou 2,7 %, à ces rendez-vous de prévention tombés du ciel, dont les mutuelles sont écartées et qui ignorent le suivi du médecin traitant et les consultations de prévention déjà programmés. Je pense encore au dénuement des services de santé scolaire, de santé au travail, de protection maternelle infantile (PMI) et de santé mentale. Je pense, enfin, à ces deux heures supplémentaires consacrées au lien social sans les crédits de formation correspondants, et sans desserrer l’étau pour le reste.

Dans ce budget pour 2023, il y a surtout tout ce qui fait défaut : un pôle public du médicament, une sécurité sociale prenant en charge les frais de santé à 100 %, un véritable droit à l’autonomie, un grand plan de formation et d’embauche pour l’hôpital, le choix du conventionnement sélectif, la reconstruction de la permanence des soins, une ambition réelle pour la psychiatrie, un véritable encadrement de la téléconsultation et du recours aux cabines, une remise en cause de la taxe sur les cotisations des adhérents des mutuelles qui pèse lourd sur les jeunes et les retraités, un bilan du reste à charge zéro (RAC 0), une grande conférence des métiers pour décider de leur évolution, un plan soutenu en faveur des centres de santé à but non lucratif, la nationalisation de Doctolib, le soutien à l’Établissement français du sang et au principe du don, un cadastre des maladies professionnelles pour lutter contre les maladies dites éliminables. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Dans ce budget pour 2023, enfin, il y a tout ce qui continue et dont on ne parle pas : ces fermetures de lits et de services dans les hôpitaux, la tarification à l’acte, le tiers payant toujours généralisable et jamais généralisé, ces autorisations d’équipement au bénéfice du secteur privé plutôt que du secteur public, ces consultations en psychologie qui abîment le métier et ne répondent pas aux enjeux, ce manque de places dans les universités pour les études de médecine, ce tarif plancher de 22 euros pour les heures d’aide à domicile, ce taux d’encadrement de 0,6 au lieu de 1 dans les Ehpad, ces soignants qui ne sont toujours pas réintégrés, cette persistance de la marchandisation et de la financiarisation de l’accompagnement et du soin.

Ce n’est sans doute pas cette fois que nous en parlerons, puisqu’aujourd’hui, c’est le jour de la marmotte – ou peut-être demain. La réalité que masque le geste politique annoncé, c’est que ce budget de la sécurité sociale ne passe pas. J’ai en tête les multiples noms et visages de celles et ceux qui soignent et se soignent, qui accompagnent et qui sont accompagnés, qui vivent et qui espèrent. Nous sommes ici pour changer ce budget ! « Tu vois, je n’ai pas oublié. » (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)
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