Hier s’est ouverte la conférence sociale sur les salaires. Vous avez affirmé à cette occasion, monsieur le ministre délégué, que vous étiez contre l’indexation des salaires sur l’inflation, contre la hausse généralisée des salaires et opposé à un coup de pouce au Smic. Cette conférence sur les bas salaires vise donc non à les augmenter, mais à les maintenir bas. Êtes-vous à ce point déconnecté de la réalité des Français et de leur portefeuille ? Tout porte à le croire à la lecture de ce projet de loi de finances – qui ne contient rien, ou si peu, pour renforcer le pouvoir de vivre des Français, rien sur le prix des denrées alimentaires, rien sur le prix de l’essence, rien sur le prix de l’énergie !
Depuis 2017, le Gouvernement est sourd à la situation sociale du pays. Votre seule boussole est la politique de l’offre, soutenue par la théorie du ruissellement des revenus des plus riches vers les couches moyenne et modeste, traduction de l’adage « Quand les gros maigrissent, les maigres meurent ». Cette théorie est une hérésie : toutes les études montrent que l’accroissement du patrimoine des ultrariches – celui des 500 plus grosses fortunes a atteint 1 170 milliards en 2022 – s’accompagne d’une progression du taux de pauvreté.
Face à ce constat inéluctable, les libéraux ressortent le sempiternel argument du record d’Europe du taux de prélèvements obligatoires détenu par la France. Ils oublient toutefois de dire que si ce taux est si élevé, c’est parce que la France a fait le choix des services collectifs – création et extension de la sécurité sociale, maîtrise des grands services publics, développement de collectivités territoriales porteuses de services de proximité.
Notre pays a décidé de mettre du commun là où d’autres choisissaient de privilégier des réponses individuelles aux défis en matière de santé, d’éducation, de sécurité ou de transports.
Ce modèle est au cœur de la confrontation engagée depuis plusieurs décennies, qui s’aiguise dans l’examen de ce projet de loi de finances pour 2024 en prenant la forme de plusieurs questions. Comment répondre à la nécessaire augmentation des salaires, des pensions et des allocations ? Comment affronter l’intensification de la crise du logement ? Comment réussir la transition écologique et répondre à l’urgence climatique ? Comment permettre aux collectivités locales d’assurer leur rôle de premier maillon de la République ? Si le taux des prélèvements obligatoires est si élevé, c’est aussi en raison de la multiplication des cadeaux fiscaux, qui représentent plus de 175 milliards alors qu’ils ne profitent qu’à une minorité.
Si l’on regarde la forme des prélèvements obligatoires, plus que leur taux, force est de constater qu’ils sont de plus en plus régressifs. C’est un vrai drame !
Vous avez fait de la TVA le principal impôt ; vous avez supprimé l’imposition sur les patrimoines les plus importants ; vous avez multiplié les exonérations et allègements au profit d’un petit nombre de ménages et d’entreprises, si bien que les prélèvements obligatoires de notre pays sont devenus régressifs, en contradiction avec l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel « une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
L’impôt sur le revenu, le seul impôt qui reste progressif, ne représente plus que 20 % des recettes fiscales, soit 54 % de moins que la TVA et 30 % de moins que la CSG. C’est bien trop peu. Nos concitoyens ne sont pas des clients ; ils n’ont pas à « en avoir pour [leurs] impôts », contrairement à ce que déclare M. Gabriel Attal.
Non, l’impôt doit redevenir un outil au service de la réduction des inégalités ainsi que du financement de nos services publics et de notre modèle social ; la contribution fiscale de chacun doit être proportionnelle à ses moyens.
Les défis sont immenses et nous devons nous donner collectivement les moyens de les relever. Il faut supprimer une part des dépenses fiscales ou des allègements sociaux, afin de créer un véritable plan d’urgence pour l’hôpital. Les patrimoines les plus importants devraient contribuer davantage, grâce à la création d’un ISF rénové, qui viserait tant les biens mobiliers que les biens professionnels et les biens immobiliers, afin de disposer des ressources nécessaires à la transition écologique.
Il faudrait en outre mobiliser l’épargne populaire dans des projets d’avenir tels que la mise en œuvre de l’indépendance énergétique, la création d’infrastructures ferroviaires pour le fret et les voyageurs, ou encore un pôle public du médicament.
L’attribution des aides aux entreprises devrait en outre plus que jamais être soumise à des conditions strictement définies. Ces aides représentent près d’un tiers du budget de l’État, soit 200 milliards d’euros. Leur attribution devrait être guidée par les quatre questions posées par l’Institut de recherches économiques et sociales dans une étude récente. Combien sont-elles ? Pourquoi ont-elles été instaurées ? Quel est leur effet ? À quelles conditions leur octroi doit-il être soumis ?
Les 22 milliards de dépenses annuelles liées au CICE ont-ils permis de créer des emplois ? Non. Ils ont surtout accru les marges des entreprises. Depuis sa création, le CIR, qui coûte chaque année 7 milliards d’euros, a-t-il contribué de manière significative à la hausse des dépenses de recherche et de développement ? Non, toujours non. Tout cela doit changer.
Enfin, la paupérisation de la population n’est pas sans lien avec la dégradation des services publics – notamment de l’hôpital et de l’école, à en croire nos concitoyens.
La situation de l’hôpital public s’aggrave année après année : fermeture de lits, épuisement généralisé des soignants, impossibilité d’accès aux soins, dégradation de la santé de la population. Malgré cela, vous fixez le taux d’augmentation de l’Ondam à 3,2 % pour 2024, soit un taux inférieur à celui de l’inflation et à celui de la dynamique naturelle d’augmentation des besoins, qui est de 4,6 %.
Enfin, l’école reste elle aussi malade. Il manque au moins un enseignant dans 48 % des collèges et lycées de France ; le salaire des enseignants a chuté depuis les années 1980 ; l’origine sociale des élèves pèse toujours énormément sur leurs résultats ; enfin, les compétences des parents et les conditions de logement influent sur la réussite des enfants. C’est à ces problèmes qu’il faut consacrer des moyens humains et financiers.
Ces quelques exemples suffisent à rappeler que le projet de budget pour 2024 témoigne de choix plutôt qu’il ne satisfait les besoins de nos concitoyens et répond aux enjeux. Force est de constater qu’aucune majorité ne soutient le présent texte. La discussion en commission, ainsi que le vote sanction par lequel elle s’est terminée, l’ont démontré.
Nous connaissons donc l’issue de cette discussion : un 49.3 empêchera une nouvelle fois notre assemblée d’amender le présent texte et de se prononcer sur celui-ci en séance publique. Une fois encore, le Parlement sera muselé et la blessure démocratique béante. Vous aggraverez le problème si vous choisissez, cette année encore, de vous asseoir purement et simplement sur les débats en commission en n’intégrant pas à la version finale du texte les amendements adoptés par la commission – dont certains avaient été déposés par vos alliés.
L’instauration d’une taxe sur les superdividendes, d’un barème de l’impôt sur le revenu plus juste, ou encore la hausse du taux de la TTF (taxe sur les transactions financières) sont autant de mesures de justice fiscale qui trouvent un écho important dans notre pays ; il faut entendre cette demande.
Si vous nous empêchez de voter ce projet de budget ou si vous effacez les évolutions votées en commission, vous empêchez de formuler d’autres choix pour la vie des Français. Les députés du groupe GDR se battront pied à pied pour que les enjeux humains, collectifs et de solidarité prévalent. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)