Après cinquante années de désindustrialisation, qui ont entraîné la destruction de 2,6 millions d’emplois et la liquidation de milliers d’entreprises et d’usines, l’enjeu est d’engager un mouvement de réindustrialisation pour préparer un avenir respectueux de l’environnement. Malheureusement, la politique qui a été menée pendant des décennies a privé l’État de ses savoir-faire en matière de planification et de gestion des filières économiques. Alors qu’il s’interdisait toute intrusion dans les affaires du sacro-saint marché, nous étions bien seuls, nous, communistes, à affirmer il y a déjà une quarantaine d’années qu’une France sans industrie n’était pas viable.
Désormais, la réindustrialisation a le vent en poupe ; nous pourrions nous réjouir de cette évolution, si vous ne vous contentiez pas de la brandir comme un slogan. Car c’est bien à cela que ressemble votre politique industrielle, menée à coups de projet de loi « industrie verte », de sommets Choose France ou autres plans France relance et France 2030. S’il fallait qualifier votre politique industrielle, nous pourrions dire qu’elle consiste simplement à baisser les cotisations et les impôts des entreprises, et à réduire les obligations et les normes auxquelles elles sont soumises.
Dans votre philosophie non interventionniste, la planification est restée lettre morte. L’analyse des politiques publiques sous l’angle des filières est très limitée, et aucune articulation n’est assurée avec les politiques régionales de développement économique. L’essentiel du coût de la politique industrielle de la France ne réside donc pas dans la mission Investir pour la France de 2030, qui compte péniblement 7,7 milliards d’euros de crédits de paiement cette année, mais bien dans les 70 milliards d’euros d’allègements de cotisations et les dizaines de milliards d’euros de suppressions d’impôts.
Quel bilan tirer de cette politique ? Pas grand-chose, sauf pour le contribuable qui aura dû payer 20 000 euros par salarié embauché dans le cadre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), lequel a coûté 20 milliards d’euros et a créé à peine 100 000 emplois.
Une autre stratégie existe. Dans le cadre du rapport pour avis de la commission des affaires étrangères sur la mission Écologie, développement et mobilité durables du PLF, j’ai auditionné plusieurs industriels français du secteur maritime – je me suis en effet concentré sur la décarbonation de la flotte maritime française et mondiale. Ces industriels ont affirmé avoir besoin, bien plus que d’allègements de cotisations ou d’impôts, d’un chef d’orchestre qui participe davantage à la structuration des filières dans toute leur complexité, de l’amont à l’aval. Or nous sommes bien loin d’un État chef d’orchestre : songez que l’institut français Meet 2050, qui œuvre pour la transition écologique et s’efforce de structurer la filière, est dirigé bénévolement par un passionné, alors que dans le même temps, le Danemark investit des milliards d’euros, conjointement avec ses plus grandes entreprises de transport maritime, pour faire avancer le secteur.
Pourtant, il y a urgence absolue. L’État français s’est engagé, avec les 174 autres membres de l’Organisation maritime internationale (OMI), à ce que ce secteur n’émette plus de carbone d’ici à 2050. Nous nous félicitons de cet engagement, mais il implique de mener une politique bien plus volontariste.
Pour assurer la transition écologique de notre économie, l’État doit réaliser des investissements considérables dans des projets pilotes et accompagner les industriels dans des projets risqués. Nous ne pouvons plus attendre des décennies qu’une expérience fonctionne avant de l’industrialiser. Il faut lancer des opérations à tiroir, et tenter tout ce qui est possible pour aider les infrastructures – comme les ports –, pour fonder l’industrie de demain sur de nouveaux carburants, ou encore pour soutenir le développement du transport à voile. Le projet Salamandre, au Havre, est un exemple à reproduire : l’État doit investir en coordination avec les élus locaux et les entreprises locales, pour élaborer de façon concertée les réussites industrielles de demain.
Plus largement, il faudra travailler, à terme, avec les salariés et les syndicats. La stratégie française de décarbonation maritime en a fait l’économie jusqu’à présent : c’est une erreur qu’il faudra réparer. Les ouvriers et les salariés de ce secteur sont la clé de la réussite de la transition écologique ; ils doivent donc être entendus.
Les quelque 7,7 milliards d’euros de crédits de paiement de cette mission étant bien insuffisants pour faire face aux enjeux industriels de demain, les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine ne les voteront pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)