Interventions

Budget de l’État

PLF pour 2022 - Rapporteur pour avis Santé

Au risque de vous décevoir, la mission Santé ne concerne pas le budget de la santé publique. Il y reste bien quelques crédits essentiels qui se rapportent à celle-ci, mais les transferts du budget des agences vers la sécurité sociale nous privent d’un examen d’ensemble et nous empêchent d’avoir prise sur les choix financiers. La manière même dont nous examinons ces dispositions nous limite : nous sommes tributaires non seulement de la ventilation des dépenses décidée par le Gouvernement, mais aussi de l’insuffisance délibérée des recettes.

L’AME aux personnes démunies en situation irrégulière, qui constitue de loin le poste le plus important de cette mission, fait l’objet d’une lamentable instrumentalisation politique. Dans un monde qui va mal, ce dispositif est un geste d’humanité élémentaire – un geste élémentaire pour l’humanité. Les soignants, d’ailleurs, ne se soucient pas de la situation administrative des patients : ce qui fait leur honneur devrait faire notre fierté. C’est pourquoi je vous appelle à renoncer aux restrictions d’accès décidées en 2020, car la crise pandémique nous aura du moins valu de redécouvrir que la santé constitue une question de solidarité mondiale. Songez que, chaque année, l’AME équivaut à 1,5 % des exonérations de cotisations patronales, à moins de 0,5 % des dépenses d’assurance maladie !

Par ailleurs, le programme 183 de la mission finance le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Monsieur le ministre, vous avez bien voulu nous indiquer que la piste de son intégration à l’ONIAM était abandonnée : c’est là une bonne chose, tant le sujet mérite d’être traité à part. Au-delà du fait que nombre de victimes passent encore sous les radars du FIVA, la révision des barèmes d’indemnisation serait plus que bienvenue. Il reste également deux agences dont le financement continue de transiter par la mission : l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et l’Institut national du cancer (INCA), victimes de plafonds d’emplois qui les empêchent de faire face dans de bonnes conditions à l’accroissement régulier de leurs tâches. En commission, monsieur le ministre, vous m’avez d’ailleurs répondu que les plafonds avaient été relevés en mentionnant à peu près toutes les agences, sauf ces deux-là ! Nous avons pourtant grand besoin de leur permettre de développer leur expertise, tant la demande citoyenne est forte, surtout en cette période de confusion et de défiance à l’égard de la parole publique.

Enfin, ces propositions budgétaires paraissent faméliques en matière de lutte contre les inégalités territoriales dans le domaine de la santé, de promotion de la santé, de prévention ou encore de santé publique, autant de sujets où l’on est pourtant loin du compte.

Mon rapport se penche plus particulièrement sur les effets de la pollution atmosphérique sur la santé pour lesquels, je le rappelle, l’État a été sanctionné par la Cour de justice de l’Union européenne et condamné par le Conseil d’État à verser une amende de 10 millions d’euros – soit un montant plus élevé que ce que nous parviendrons à faire bouger dans ce budget. Ce fléau provoque 40 000 décès prématurés par an, en raison des seules particules fines, et déclenche des maladies cardiovasculaires et respiratoires, mais aussi des diabètes et des cancers.

Face à cette situation, le pilotage en matière de santé, pourtant plus que nécessaire, est insuffisant. Aussi ai-je proposé la création d’un délégué interministériel à la lutte contre la pollution atmosphérique et ses effets sur la santé, ainsi que la création de territoires pilotes permettant d’agréger sur le terrain des moyens d’expertise et d’action afin de mieux faire face à cet enjeu et de mettre la santé au cœur des choix politiques. Nous avons également besoin de recherches et d’études pour mieux documenter les situations de pollution locale et les conditions épidémiologiques, avec des cadastres et une vraie réflexion menée sur les récits de travail et de vie, sur les exposomes, afin de traquer les maladies qui peuvent être éliminées.

À l’heure où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) durcit les seuils de qualité de l’air, un plan ambitieux de réduction des émissions – notamment les plus dangereuses pour la santé –, assorti d’outils publics, est nécessaire. Nous avons besoin de mesures de prévention pour limiter l’exposition des populations, en particulier les plus fragiles.

Il est temps que la lutte contre la pollution de l’air et ses effets sur la santé devienne une cause mieux identifiée et fasse l’objet d’un suivi parce que, pour contredire Michel Jonasz, « l’air que l’on respire » n’est pas exactement « le même pour tous » – même s’il finit par être brassé – et parce que nous voulons « respirer encore », pour reprendre l’expression de Clara Luciani.
Plus généralement, il est temps de se doter des leviers contemporains d’une politique de santé publique ambitieuse. Malheureusement, je ne les vois pas dans ce budget. Si la commission des affaires sociales a adopté les crédits de la mission Santé , je serai pour ma part d’avis de les rejeter. (M. Hubert Wulfranc et Mme Caroline Fiat applaudissent.)

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