Interventions

Budget de l’État

PLF pour 2022 : Immigration, asile et intégration

L’examen de la mission Immigration, asile et intégration est pour nous l’occasion de donner l’alerte. Tous les signaux sont au rouge : durcissement de la répression policière et judiciaire, libération et légitimation de la parole raciste, augmentation des nationalismes identitaires. Aucun débat de fond ne semble autorisé et les conservateurs de tous bords instrumentalisent les migrants et les migrantes, qui se trouvent déshumanisés, pendant que celles et ceux qui leur viennent en aide sont criminalisés.

Pourtant, l’humanité de demain se construit sur les fondements de l’accueil d’aujourd’hui. Au lieu de mettre en œuvre une politique respectueuse des libertés et des droits fondamentaux, ce budget, s’appuyant sur la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite asile et immigration, concourra par ses effets à céder à la logique de la peur. Alors que le Président de la République a été élu sur la promesse de faire rempart, il n’a cessé depuis de légitimer les thématiques de l’extrême droite. Au Gouvernement et au sein de la majorité, votre part de responsabilité dans le climat actuel n’est plus à démontrer.

En pleine crise afghane, alors que les Français et les Françaises regardaient, à la fois sidérés et émus, les images d’Afghans s’accrochant aux ailes d’avions au décollage et de bébés passés de mains en mains au-dessus des barbelés, le Président Macron, plutôt que de s’appuyer sur cet élan de solidarité qui se faisait entendre, appelait d’un ton rassurant à « anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants ». En bref, il mélangeait tout, pour tout confondre et tout salir.

À Calais, le père Philippe Demeestère, qui s’est mis en grève de la faim avec Anaïs Vogel et Ludovic Holbein après la mort d’un adolescent soudanais, le dit avec ses mots : « La grève de la faim vient redire à toutes les intelligences qui se sont ankylosées, assoupies, ce qui se passe en France. En 2021, dans une démocratie, c’est inacceptable. Il y a quelque chose qui rompt la fraternité humaine. Et en tant que citoyen français, j’ai honte. »

J’ai honte aussi, lorsque j’observe qu’à Calais, plus de 97 % des expulsions de lieux de vie n’ont pas été suivies de mises à l’abri effectives, y compris l’hiver. J’ai honte aussi des dégradations des conditions d’accueil et d’accompagnement, des atteintes aux droits fondamentaux et des traitements dégradants, en particulier à l’égard des mineurs non accompagnés. Associations, Défenseur des droits, Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et organisations internationales nous pointent du doigt pour tous ces manquements. Ce budget n’en a rien à faire et vous n’en avez que faire.

Trop peu de moyens sont accordés aux instances de l’asile. En cette matière, le principal problème est lié non pas tant aux délais d’instruction qu’au délai que connaît chaque demande d’asile avant même d’être enregistrée.

Par ailleurs, près de la moitié des personnes demandeuses d’asile se retrouvent, pour divers motifs, placées en procédure dite accélérée, ce qui a pour principal effet de les priver de l’entièreté des garanties et droits dont ils devraient bénéficier. La réduction du temps d’instruction d’une demande d’asile, qui peut sembler devoir aussi profiter au demandeur, est en réalité susceptible de le léser, parce qu’elle raccourcit le temps dont il dispose pour rassembler des pièces, des témoignages, des articles de presse et de la documentation. Si la réduction des délais de la procédure constitue un objectif partagé par l’ensemble des acteurs de l’asile, encore faut-il que les autorités veillent à ce que l’instruction des dossiers s’inscrive dans une temporalité adaptée.

Le présent budget prévoit ensuite de créer 800 places provisoires d’hébergement : c’est largement insignifiant face à l’ampleur de la demande de logement. J’ai encore en tête cette famille éthiopienne rencontrée dans une tente, porte d’Aubervilliers : elle avait obtenu le droit d’asile mais n’avait d’autre choix que de dormir dehors. Soulignons que les autorités françaises ont le devoir d’offrir un dispositif d’accueil aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, et qu’elles peuvent être tenues responsables de la défaillance du dispositif national d’accueil.

Et que dire des accueils dans les services étrangers des préfectures ? J’en témoigne s’agissant des Hauts-de-Seine, mais je sais que la situation est semblable ailleurs : on y voit des gens perdre leur travail faute de délais d’instruction raisonnables pour le renouvellement de leur titre de séjour. Nous recevons tous les jours des appels en ce sens, notamment celui, il y a peu, d’une femme âgée de 39 ans, réfugiée vietnamienne arrivée depuis cinq ans en France. Elle avait obtenu plusieurs titres de séjour successifs mais les délais d’instruction trop longs l’ont empêchée d’en recevoir un nouveau. Elle travaillait chez Carrefour, où un plan de licenciement a eu lieu : faute de papiers, elle a perdu son emploi.

Je souhaite finir mon intervention en évoquant l’interdiction de l’enfermement des enfants. Récemment, dans son arrêt du 22 juillet 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné à nouveau la France pour non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme, en raison du placement en centre de rétention administrative d’une mère et de son nourrisson, âgé de quatre mois, pendant onze jours, au mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant.

C’est une bataille que nous menons depuis le début du mandat. De nombreuses interventions, aussi larmoyantes les unes que les autres, ont été prononcées dans l’hémicycle, mais aucune mesure courageuse de ce type n’a été adoptée. À chaque enfant enfermé dans un CRA, ce sont nos valeurs que vous enfermez. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera contre ce budget. (M. Pierre Dharréville, M. Ugo Bernalicis et Mme Danièle Obono applaudissent.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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