Annoncés pour le mois de juin, les états généraux de la justice ont finalement été ouverts lundi dernier 18 octobre. Ils prétendent remettre à plat le fonctionnement de la justice et restaurer la confiance entre l’institution judiciaire et les Français. Est-il possible qu’un tel chantier, lancé à la toute fin du mandat du Président de la République, relève ces défis en quatre mois seulement, dans un contexte de campagne électorale ? Nous ne le pensons pas, pas plus que les professionnels qui sont d’autant plus sceptiques que, cette fois encore, ils n’ont été ni associés, ni informés de l’organisation et des thèmes retenus pour ces états généraux.
Le Syndicat de la magistrature considère qu’il s’agit d’un « pur affichage » tandis que l’Union syndicale des magistrats estime que cette consultation arrive trop en fin de quinquennat pour être prise au sérieux ; le Syndicat des avocats de France qualifie pour sa part ces états généraux d’« exercice de communication au service de l’exécutif ».
Reconnaissons qu’ils ont été échaudés par la réforme de la justice pénale des mineurs. Dans un communiqué du 30 septembre, le collectif national « Justice des enfants », qui réunit l’essentiel des professionnels concernés, déplore « une justice obéissant à des logiques gestionnaires et comptables soumise aux injonctions du temps politique et non du temps judiciaire et éducatif nécessaire à un accompagnement efficace de l’enfant ». Échaudés, ils l’ont été aussi par la mise en œuvre de la réforme de l’organisation judiciaire, qui a abouti à un bouleversement complet de la carte judiciaire et des principes qui la gouvernait. Échaudés, enfin, ils l’ont été également par le nombre des années passées à subir l’austérité budgétaire que ce budget 2022 de la justice ne parvient pas à effacer.
Certes, doté de 8,9 milliards d’euros, il connaît une nouvelle augmentation de 8 % en 2022, mais celle-ci s’inscrit en réalité dans le cadre de la loi de programmation de votre prédécesseure, Mme Belloubet, ce qui ne vous autorise pas à clamer victoire tant le retard à combler est grand.
Nous savons tous que cette augmentation va profiter principalement au budget de l’administration pénitentiaire et à l’accélération du programme de construction de 15 000 places de prison, projet discutable quand on sait que l’augmentation du parc n’a jamais permis de répondre à la surpopulation carcérale. Ces vingt-cinq dernières années, 30 000 places de prison ont été créées sans que cela ait d’effet.
Malgré cette augmentation, le budget de la justice est très en deçà des besoins et reste bien en dessous de la plupart des pays européens. Le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, publié l’an dernier, a confirmé ce retard pris par notre système judiciaire. Ainsi, la France compte moitié moins de juges que la moyenne européenne et quatre fois moins de procureurs. Elle consacre 69 euros par an et par habitant à la justice contre 84 euros en moyenne chez nos voisins.
Comment la justice pourrait remplir convenablement ses missions, alors que partout manquent les magistrats, les greffiers et les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l’administration pénitentiaire ? Comment croire que votre réponse consistant à recruter des contractuels non formés, mal rémunérés et au statut précaire soit efficace et durable ? Comment expliquer, sinon par votre soumission à une logique comptable, que vous refusiez de recruter et de former des magistrats et des greffiers, alors même que la vacance structurelle des postes est de 7 % au niveau national et qu’aucun contractuel n’est en mesure de les remplacer dans leur travail ?
Faute de moyens sonnants et trébuchants, vous avez depuis quatre ans, pour donner le change, accumulé les textes législatifs, toujours dans l’urgence, toujours sans concertation, sans vision globale, complexifiant ainsi inutilement le système judiciaire et alourdissant la tâche des professionnels au détriment du justiciable. Le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, souligne lui-même qu’« aucun autre corps n’a fait face à autant de réformes depuis vingt ans, ni assimilé une telle inflation des normes ».
Le temps passe et la justice demeure, dit-on ; certes, le temps passe, mais cette année encore, pour que la justice demeure, c’est moins sur votre budget qu’il faudra compter que sur l’infinie patience et l’esprit de responsabilité des hommes et des femmes qui font vivre le service public de la justice. Nous leur disons notre gratitude et, par respect à leur égard, en toute cohérence, nous voterons contre ce budget, contre votre absence d’ambition.