En portant le budget de la justice à 8,2 milliards d’euros, le Gouvernement respecte les dispositions votées par le Parlement lors de l’examen de la loi de programmation de la justice ce que nous saluons, car cela n’est jamais garanti, comme nous l’avons constaté l’année dernière. Pourtant, chacun ici mesure la place de la justice dans une société sous haute tension. Ce budget est encourageant si nous le comparons au sous-investissement structurel chronique auquel est soumise la justice depuis de nombreuses années. Je le prends comme une toute première étape du rattrapage nécessaire de l’investissement massif dont la justice a besoin.
Les chiffres illustrent cette situation de délitement, qui a des conséquences fortes sur l’exercice de notre justice et sur les conditions de travail des personnels qui la portent au quotidien et que je veux saluer. La France consacre moins de 66 euros par an et par habitant à son système judiciaire, alors que l’Allemagne y consacre 122 euros et l’Autriche 107 euros. Sur les 66 euros consacrés par notre pays à la justice, 48 euros seulement sont dédiés aux tribunaux, et la France compte toujours deux fois moins de juges que la moyenne européenne pour 100 000 habitants.
Ce sous-investissement entraîne des délais de traitement des affaires beaucoup trop longs, de l’incompréhension de la part des justiciables et un mal-être profond des acteurs et actrices de la justice. Le recours de plus en plus important aux comparutions immédiates ne peut être la solution à l’engorgement des tribunaux, car il est susceptible de porter atteinte à la qualité de la justice rendue.
Alors que la France entame sa deuxième période de confinement, il convient de rappeler que le fonctionnement de la justice durant le premier confinement a soulevé à juste titre de nombreuses questions. Si l’essentiel du contentieux civil a été abandonné durant cette période, le contentieux pénal a été maintenu, mais profondément affaibli, et les garanties accordées aux justiciables se sont trouvées dégradées.
Juge unique, audiences en visioconférence, procédures sans audience et jugements en l’absence du prévenu ou du retenu faute d’extraction : le maintien du recours à ces procédures exceptionnelles mises en œuvre par voie d’ordonnance ne saurait se justifier pour des raisons de logique gestionnaire ou la volonté de réduire des stocks. De même, il est inacceptable que les cours criminelles soient largement étendues, là où les cours d’assises sont les plus engorgées. Le respect des garanties de la procédure doit prévaloir dans l’intérêt du justiciable, la vie judiciaire doit se poursuivre durant cette période de crise avec des moyens adaptés et importants, afin d’assurer le fonctionnement d’une justice humaine et protectrice des libertés et des droits.
Monsieur le ministre, contrairement aux années précédentes, l’augmentation budgétaire n’est pas seulement dédiée à l’administration pénitentiaire – qui a cependant besoin d’être renforcée, surtout en moyens humains. L’embauche de 2 450 agents supplémentaires, dont je me félicite, doit également être la première étape d’un renforcement massif des effectifs, notamment en ce qui concerne les magistrats et les greffiers, à l’instar du rattrapage en cours au tribunal de Bobigny, que je vous encourage à poursuivre.
En ce qui concerne la politique carcérale, je veux rappeler que nous avons construit plus de 30 000 places de prison en vingt-cinq ans et que 15 000 sont en projet. Si cela est nécessaire et essentiel, plus nous construisons, plus nous incarcérons, et la surpopulation carcérale reste très élevée. Dans le même temps, le taux de récidive, très important dans notre pays, ne baisse pas, et les conditions de détention restent indignes. De ce fait, nous sommes régulièrement mis en demeure par les instances internationales. Selon un rapport du Conseil de l’Europe, la France est le seul pays européen dont le nombre de détenus augmente. le principe de l’encellulement individuel est inscrit dans le code pénal, mais son application a sans cesse été repoussée, faute pour l’État de se donner les moyens d’atteindre les objectifs fixés par les parlementaires.
Enfin, pour ce qui est de la justice des mineurs, le groupe GDR continue de demander un abandon du code de justice pénale des mineurs et la réouverture d’une concertation et d’un vrai débat parlementaire.
Je veux réaffirmer ici la primauté de l’éducatif sur le répressif : un mineur délinquant est un mineur en danger, et la justice pénale des mineurs doit être considérée comme s’inscrivant dans un continuum avec la protection de l’enfance.
En dépit de ces importantes réserves sur la politique menée, le groupe GDR voit dans ce budget une première avancée, qu’il faudra concrétiser d’année en année pour corriger la situation très difficile où nous nous trouvons. Ce budget devra s’accompagner d’une politique ambitieuse concertée avec les personnels de la justice. Sous toutes ces réserves et exigences, le groupe GDR votera en faveur des crédits de la mission « Justice ».