Interventions

Budget de l’État

Débat sur la dette

Ce débat a un mérite, celui de ne pas laisser aux seuls libéraux le soin d’expliciter la réalité de la dette par un prisme que nous contestons. Oui, monsieur le ministre délégué, nous nous inscrivons en faux contre l’affirmation que la dette exorbitante serait le fruit d’un État trop dépensier. Une simple petite lecture historique suffit à le démentir. Pour commencer, le niveau actuel de la dette publique est la conséquence du haut niveau des taux d’intérêt durant les années 1980 et 1990, largement supérieur au taux de croissance. Ce surcroît explique à lui seul une part non négligeable de l’expansion de la dette – 13 points de PIB selon un rapport parlementaire de 2015. Bien sûr, cela n’a pas été perdu pour tout le monde : les détenteurs de la dette ont dû bien se régaler ! Cette question risque de se poser à nouveau avec la hausse des taux d’intérêt.

L’autre explication vient de la multiplication des dépenses fiscales et des baisses d’impôts des plus aisés : 130 milliards d’euros de baisses d’impôts et de cotisations entre 2000 et 2012, auxquels il faut ajouter 40 milliards d’euros d’exonérations de cotisations votées entre 2012 et 2017 et 55 milliards d’euros de baisses d’impôts depuis 2017.

Il est essentiel de mesurer l’ampleur de ces chiffres, d’autant que le déficit public est particulièrement haut cette année – il s’établira à 158 milliards d’euros – et que la charge fiscale continuera de basculer des entreprises vers les ménages et des plus riches vers les couches moyennes ou modestes, comme en attestent la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et le refus de taxer les superprofits.

Dans ces conditions, force est de constater que la dette joue avant tout un rôle politique et qu’elle participe à imposer des choix libéraux partout en Europe. Cette méthode s’appelle la sidération de la dette : elle conduit à tétaniser les peuples et à justifier les contre-réformes les plus libérales. Elle s’est exercée en Grèce et en Italie ; elle est toujours à l’œuvre chez nous avec les réformes iniques des retraites – l’âge de départ sera peut-être reculé jusqu’à 67 ans – et de l’assurance chômage.

À grands coups de communication, on nous rebat les oreilles avec le sempiternel poncif de la dette à 110 % ou à 112 % du PIB. Atteignant bientôt 3 000 milliards d’euros, la dette deviendra insoutenable, nous dit-on, sans manquer de faire la comparaison avec la situation d’un ménage. Mais l’État n’est pas un ménage ! S’il y a 3 000 milliards de dette, il y a également de 15 000 à 16 000 milliards d’actifs en comptant tout. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES.) Ces comparaisons n’ont aucun sens et il faut exclure de la bonne analyse la valeur absolue de la dette, pour lui préférer la question de la soutenabilité. À ce titre, le rapport du Gouvernement offre bon nombre d’enseignements. Il montre que la dette est détenue à 49 % par des non-résidents. Il met aussi en évidence une hausse à venir des taux d’intérêt – 2,5 % aujourd’hui, 3 % d’ici à 2027 –, ce qui réduit le déficit stabilisant et renchérit la charge d’intérêts.

Quelle conclusion tirer de ces constats ? Faut-il s’en tenir à la conclusion du Gouvernement, de la Cour des comptes et de toutes les commissions ad hoc qui se sont succédé, à savoir réduire davantage le déficit en réduisant les dépenses, afin de rassurer les marchés financiers et les agences notation qui déterminent nos taux d’emprunt ? En somme, jouer le jeu dans le cadre fixé qui, depuis trente ans, a vu la s’accroître en même temps que les inégalités de richesse et de patrimoine ?

Nous, les députés communistes et ultramarins qui composent le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, demandons de modifier le cadre fixé, de sortir de la mainmise des marchés, de contrôler les détenteurs de la dette publique et de ne plus laisser les marchés dicter les taux auxquels nous empruntons. Les chantiers sont nombreux. D’abord, il convient de réhabiliter un système de réserves obligatoires semblable au circuit du Trésor qui fut en vigueur par le passé. Il permettrait de mobiliser l’épargne nationale pour financer le déficit de l’État et nous défaire, autant que possible, du carcan des marchés financiers. Les Français détiennent 6 000 milliards d’euros d’épargne financière : mobilisons-la ! Un tel système pourrait voir le jour à l’échelon européen, raison pour laquelle il semble plus que nécessaire d’entreprendre des démarches dès maintenant.

Ensuite, nous devons reprendre le contrôle sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Alors que cette dernière a largement agi, depuis 2014, sur les marchés financiers, elle l’a fait en dehors de tout mandat politique. La politique monétaire fait partie intégrante de la politique économique d’un pays ou d’un espace économique – nous l’avons vu avec la dette covid. La sacrifier sur l’autel de la théorie fumeuse de l’indépendance de la BCE a été une erreur, comme l’a montré la crise de 2008.

Alors même que la guerre est aux portes de l’Europe, que notre pays a brûlé tout l’été et que nous ne pouvons savoir si nous aurons assez d’électricité pour passer l’hiver, la problématique de la dette financière ne peut se concevoir sans intégrer les enjeux majeurs de dette écologique et de besoins sociaux et humains, soit, tout simplement, ce qui doit faire sens dans une société qui assure la cohésion. Ce n’est pas le chemin que le Gouvernement emprunte : vous utilisez la dette publique pour justifier vos contre-réformes qui mettent à mal les fondements de notre République, alors que les investissements d’avenir – ceux de la transition écologique – devraient s’affranchir du calcul de la dette maastrichtienne. Là est l’urgence ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)
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