Interventions

Budget de l’État

Budget : règlement des comptes et rapport de gestion 2009

Charles Amédée de Courson a confessé tout à l’heure qu’il n’était pas objectif quand il m’a répondu.
Vous avez donc eu l’honnêteté discrète de dire que je faisais référence aux salaires, et vous aux revenus, ce qui n’est évidemment pas la même chose, puisque l’on ne met pas les mêmes ingrédients dans ces notions.
Tout à l’heure, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la motion de procédure que j’ai défendue au nom des députés du groupe de la gauche démocrate et républicaine, je vous ai fait la démonstration des origines politiques de la dette colossale, qui atteint près de 1 500 milliards d’euros. Et vous aurez certainement été attentifs à l’analyse de Pierre-Alain Muet lors de son explication de vote, qui est revenu sur le coté délibéré de vos politiques, lesquelles ne doivent rien au hasard.
Un homme politique de la IVe République disait que nous avions la droite la plus bête du monde. Il n’avait pas la vision bien ajustée : nous n’avons pas la droite la plus bête du monde, nous avons une des droites les plus perverses, ce qui n’est pas la même chose.
La droite s’adapte au peuple français. Elle sait ce qu’est le peuple français.
Rappelez-vous : si nous comparons les politiques de Schröder, la loi Hartz IV, et de Raffarin, on peut dire que les mesures de Schröder étaient plus à droite que celles de Raffarin, bien qu’il ait été très à droite. Mais la droite est obligée de tenir compte de l’état et de l’opinion de notre peuple. Et même si vous faites semblant de ne pas entendre, vous ne pouvez ignorer la rumeur qui gronde dans le pays, le sentiment de révolte qui enfle. Si vous l’ignorez, attendez-vous à vous réveiller en sursaut à l’occasion. Vous savez que cela s’est déjà produit.
Je voudrais maintenant parler de la manière dont ce gouvernement cherche à nous vendre sa sortie de crise, puisque vous en avez parlé tout à l’heure, monsieur le ministre. Comme l’a dit Georges Séguy, si vous voyez la sortie du tunnel, c’est que vous marchez à reculons, car hélas, nous n’y sommes pas !
Je ne voudrais pas insister sur la méthode Coué, puisque vous assumez votre héritage troyen, mais ce n’est pas rassurant quant aux chances de guérison, parce que cette thérapie peut certainement marcher pour les maladies psychosomatiques, mais quand la maladie est grave, je pense que l’issue risque d’être fatale.
Certes vous développez des politiques économiques, mais vous avez surtout le souci de la « com’ » Vous multipliez les effets d’annonce, dont vous n’avez pas été avares.
Dès septembre 2008, Mme Lagarde annonçait qu’elle allait plafonner les niches fiscales pour que chaque Français contribue selon ses moyens à la couverture des charges publiques. Je pense qu’elle venait de lire pour la première fois de sa vie l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et cela a dû l’inspirer, elle a été fascinée et convertie sur le moment. Mais, depuis, rien ne s’est produit.
réalité, mes chers collègues, est consignée dans les excellents rapports de la Cour des comptes. Il faut dire que ces rapports étaient excellents avant même que Didier Migaud ne la présidât : du temps de Philippe Séguin. Ainsi, en 2009, les dépenses fiscales ont progressé de 6,2 %, pour s’établir à 69 milliards d’euros. La déclaration de 2008 était donc un simple effet d’annonce, qui ne présage rien de bon en ce qui concerne les annonces faites pour le budget à venir.
Le 20 octobre 2008, Mme Lagarde – dont je regrette vraiment l’absence ce soir – annonçait ici même la signature d’un nouveau Bretton Woods. À l’époque elle disait : « Bretton Woods II, comme on appelle déjà cette refondation, est clairement une initiative du vieux continent. Le leadership européen est devenu, sous la présidence française de l’Union européenne, une réalité : chacun peut s’en réjouir. »
Lorsqu’on relit ces propos aujourd’hui, savez-vous ce qu’ils m’évoquent, en cette période estivale ? Cela me fait penser aux châteaux de sable, après que la vague est passée plusieurs fois dessus : il n’en reste même pas le souvenir. À moins peut-être que Mme Lagarde ait eu à l’époque l’ambition de marcher dans les pas de Franklin Delano Roosevelt, et d’être ainsi la mère de « Bretton Woods II » . Mais il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir, et je pense que « Bretton Woods II » est mort et enterré.
En réalité, les désordres monétaires se sont considérablement aggravés. En octobre 2008, il s’agissait encore d’un effet d’annonce, agrémenté de quelques « cocoricos » destinés à valoriser le Président de la République. Car, quand ce dernier ne parvient pas à jouer ce rôle pour lui-même, il faut bien lui servir de faire-valoir. Nous connaissons de nombreux membres du Gouvernement qui n’entreront sans doute pas dans l’histoire pour ce qu’ils auront accompli, mais plutôt pour leurs flatteries comparables à celles tant répandues à la cour de Versailles sous l’Ancien régime.
Selon la Cour des comptes, le déficit public et la dette ont augmenté dans les mêmes proportions que dans les autres pays européens, alors même que la récession a été moins violente en France que dans le reste de l’Europe,…
La récession a été moindre en France, mais cela a-t-il eu un effet sur le chômage ? Pas du tout.
Le chômage progresse toujours, et votre politique est mauvaise pour les ressources.
Pas du tout ! Vous avez décidément une vision épicière de la politique de l’État. Et, avec vous, nous ne sommes même pas dans une épicerie de luxe comme Fauchon mais dans une épicerie balzacienne : le vendeur a le crayon derrière l’oreille et il mouille son doigt pour tourner les pages de son livre de comptes. Vous menez une politique d’un autre âge. La preuve : elle ne marche pas !
Vous réduisez les recettes pour ensuite justifier la réduction des ressources. C’est une politique en escalier qui a toujours la même finalité : servir les petites affaires des plus riches.
Vous pratiquez depuis de trop nombreuses années la politique de l’effet d’annonce. Que dire de ce que le Président de la République avait appelé la « moralisation du capitalisme » – comme si l’on pouvait moraliser l’immoralisable ? Je rappelle que vous aviez promis d’éradiquer les paradis fiscaux. Finalement, le Kärcher, instrument si cher au Président de la République, a dû servir à nettoyer un des nombreux yachts de luxe battant pavillon des Îles Caïmans ou des Seychelles. L’interdiction de l’accès aux eaux territoriales françaises et de l’Union européenne des navires battant pavillon de complaisance enregistrés dans les paradis fiscaux faisait partie d’une liste de trente propositions visant à lutter efficacement contre les paradis fiscaux, élaborée de façon consensuelle au sein de notre assemblée avec nos collègues sénateurs. Louis Giscard d’Estaing appartenait à ce groupe de vingt-quatre parlementaires : il peut témoigner que nous étions parvenus à un consensus, y compris sur des propositions quasiment bolcheviques présentées par M. Marini ou M. Arthuis.
Le Président de la République nous a reçus, et lorsque nous lui avons demandé ce qu’il ferait de nos propositions, il a répondu : « Elles sont très utiles. » Manifestement, elles sont surtout très utiles à sa réflexion car, à ce jour, il n’en a rien fait. Tout cela a sans doute été rangé sur les étagères de son magasin de farces et attrapes.
Une autre de vos esbroufes concerne vos prévisions de croissance, systématiquement surévaluées. Vous tablez ainsi sur un taux de croissance de 2,5 % entre 2011 et 2013. À ce propos, je me permets de vous citer de nouveau un passage du tout récent rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques. Selon la Cour, « si l’on retient une évolution légèrement moins soutenue de la croissance, de l’ordre de 2,25 %, soit le scénario bas du Gouvernement, qui est déjà très favorable compte tenu d’une croissance potentielle qui est plutôt de 1,8 % ; et si l’on prolonge l’évolution tendancielle des dépenses constatées ces dernières années, le déficit public dépasserait en 2013 les 6 % du PIB et la dette atteindrait 93 % de la richesse nationale, soit plus de 2000 milliards d’euros ».
Mes chers collègues, il faut prendre aujourd’hui des mesures fortes pour redresser la barre des finances publiques et pour répondre aux inquiétudes de nos concitoyens ; il faut aujourd’hui des mesures fortes pour plus de justice sociale.
Dans l’immédiat, cela passe par le rétablissement d’une réelle progressivité de l’impôt sur le revenu et sur les bénéfices des entreprises. Il faut abroger le bouclier fiscal et s’attaquer réellement aux niches fiscales. Parmi les députés de la majorité, certains en conviennent, mais c’est comme en amour, il y en a toujours qui en restent aux fantasmes, ils ont du mal à passer à l’acte…
 

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Jean-Pierre
Brard

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