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Budget de l’État

Budget : loi de finances rectificative 2010

Bien que les deux ministres en charge des finances publiques soient au Sénat et non à l’Assemblée, je ne conclurai pas que l’essentiel se discute désormais hors de notre enceinte ; vous me permettrez néanmoins, monsieur le ministre, de m’interroger sur ces absences. L’un des deux ministres, au moins, aurait pu être présent sur nos bancs.
Nous arrivons au terme de l’examen de ce premier projet de loi de finances rectificative pour 2010 avec le sentiment de nous trouver face à un gouvernement qui multiplie les effets d’annonce mais se refuse obstinément à remettre en question les fondamentaux de sa politique économique, en dépit des critiques qui lui sont adressées tant dans les rangs de l’opposition que sur certains bancs de la majorité.
Le Gouvernement est à ce point enfermé dans une logique dogmatique qu’il pousse l’aveuglement jusqu’à ignorer délibérément les critiques et les avertissements que lui adresse la Cour des comptes. Vous continuez dans la voie que vous vous êtes tracée, quitte à jouer avec les chiffres, à maquiller la réalité et à broder sur les perspectives de croissance.
Vous avez ainsi et notamment affirmé que l’aggravation du déficit budgétaire de notre pays en 2009 était exclusivement due à la crise. C’est une contrevérité. Au demeurant, même si c’était vrai, vous ne seriez pas quitte pour autant, car vous êtes, avec l’ensemble du monde financier, largement co-responsable de la crise. S’il est vrai que celle-ci a provoqué une chute de plus de 20 % de recettes fiscales au titre de l’impôt sur les sociétés, de 30 milliards pour la TVA et l’impôt sur le revenu, la Cour des comptes a apporté la démonstration que le déficit résultait également, pour une part non négligeable, des politiques publiques que vous avez conduites avant la crise, de l’insuffisante maîtrise de la dépense fiscale – avec les « cadeaux fiscaux » – et de votre acharnement à assécher les comptes publics et sociaux. Vous refusez de dresser le bilan de votre politique économique et de tirer les leçons de la crise car votre feuille de route, pour ne pas dire votre ordre de mission, consiste à continuer comme si de rien n’était.
Les deux mesures phares de ce projet de loi de finances rectificative en portent témoignage. Celui-ci instaure en premier lieu une taxe purement symbolique sur les bonus perçus en 2009 par les traders. Cette mesure d’affichage, qui ne s’appliquera d’ailleurs qu’une fois, ne vise qu’à faire diversion et à détourner l’attention des enjeux fondamentaux que représentent la réforme du système bancaire et la régulation des flux financiers.
Vous n’avez cessé, depuis le début de la crise, de clamer que rien ne serait plus comme avant et qu’il convenait de moraliser le capitalisme. Il s’agissait surtout de faire passer la pilule des milliards d’euros utilisés pour le sauvetage des banques, et ce sans aucune contrepartie. Les banques vous remercient ; et qu’importe si nos PME souffrent pour accéder au crédit ; qu’importe si des centaines de milliers de nos concitoyens ont perdu et continuent de perdre leur emploi. Vous avez sauvé le système bancaire, c’est-à-dire – comme vous l’avez vous-même expliqué, monsieur le ministre – permis de retrouver le chemin de la spéculation à outrance et des rémunérations somptuaires pour les responsables mêmes de la crise.
Certains, y compris à droite de cet hémicycle, s’interrogent. Quand donc allez vous prendre à bras le corps la question de la responsabilisation des banques et des moyens alternatifs de financement de notre économie ? Le Président des États-Unis, Barack Obama, s’est récemment interrogé sur l’opportunité de séparer les activités de dépôt des activités d’affaires des banques. Où en sommes-nous de cette réflexion en France ?
Nous proposons depuis des années la création d’un pôle financier public afin d’engager une nouvelle politique du crédit, en marge du système concurrentiel. Ce pôle aurait pour mission l’allocation sélective de crédits à taux bonifiés aux entreprises qui investissent dans la formation et la recherche, créent des emplois qualifiés et correctement rémunérés, ou à celles qui s’engagent dans l’adaptation de leur outil de production aux contraintes environnementales.
L’idée fait aujourd’hui son chemin. Elle est partagée par certains élus se réclamant du gaullisme, tel Nicolas Dupont-Aignan, ou par certains économistes, tel Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie à l’École des Mines, qui, s’exprimant récemment dans les colonnes d’Alternatives économiques, jugeait lui aussi possible « d’envisager un service public du crédit qui permettrait d’éviter que la monnaie et l’économie ne soient ravagées par la conjoncture d’une finance de marché intrinsèquement instable ».
Jusqu’alors, vous n’avez jamais accepté d’envisager avec sérieux cette proposition. Votre unique préoccupation n’a pas été de réformer le capitalisme, mais d’en restaurer le fonctionnement, de sorte que, en réalité, vous contribuez activement à préparer la prochaine crise financière.
Les dégâts que la finance de marché a causés à la monnaie et au crédit – et par conséquent à toute l’économie – imposent que soient prises des mesures fortes, allant bien au-delà de la légitime dénonciation des revenus excessifs perçus par les traders. Il y va de l’avenir de notre économie, de notre modèle social et des finalités de la politique économique. Or un constat s’impose : rien n’a été tenté pour réorienter la politique économique et relever les nouveaux défis : retour d’une croissance saine, résorption du chômage, réduction des inégalités sociales et territoriales.
Il est pourtant d’une urgence primordiale de sortir notre pays de la désastreuse spirale inégalitaire dans laquelle il continue de s’enfoncer et que votre politique économique et sociale n’a cessé de renforcer à coup d’exonérations de cotisations sociales, de cadeaux fiscaux qui n’avantagent que les seuls détenteurs de patrimoine, de dispositifs visant à déréguler le marché du travail et à précariser l’emploi.
Le fait est que, bien que les chiffres du chômage soient déjà désastreux – rappelons que 866 000 personnes ont perdu leur emploi depuis décembre 2007 et que ce chiffre continue d’augmenter, comme en témoignent les annonces incessantes de nouveaux plans sociaux et de fermetures de sites –, ils risquent de s’aggraver encore, avec la possible destruction de 580 000 emplois cette année. Dans ces circonstances, l’urgence est évidemment d’adopter des mesures très volontaristes.
Vous annoncez que la crise est derrière nous et que la reprise sera au rendez-vous dans les prochains mois. Mais vous ne semblez pas envisager le cas d’une reprise sans emploi, d’une reprise excessivement fragile.
Nous craignons pour notre part que tel soit bien l’effet du grand emprunt de 35 milliards d’euros voulu par le Président Nicolas Sarkozy et dont on nous demande d’approuver les modalités en votant le présent projet de loi de finances rectificative. Aussi, nous nous associons à la sage proposition du rapporteur général, qui préconise d’en mettre une partie en réserve – je tenais à le dire, bien que M. Carrez ait quitté l’hémicycle.
Nous sommes en effet sceptiques quant à l’efficacité de ce programme d’investissement. Nous partageons les doutes exprimés par M. Philippe Marini, rapporteur du texte au Sénat – décidément, la lumière nous vient du Sénat –, qui, il y a deux semaines, déclarait que « l’affirmation selon laquelle l’emprunt national augmenterait la croissance de 0,3 point par an pendant dix ans n’est pas crédible » et soulignait que « son impact sur la croissance potentielle sera peu significatif ». Nous en sommes également convaincus.
Les priorités du plan d’investissement sont loin d’être aussi prometteuses que vous tentez de nous le faire croire. Elles sont même loin d’être aussi novatrices que vous le prétendez. Des expériences de création de nouvelles activités ont été menées par le passé, dans les secteurs que l’on qualifiait déjà « d’avenir ». Elles ont conduit à des impasses et, surtout, n’ont pas permis d’enrayer les importantes pertes d’emplois industriels : moins 27 % depuis 1990. Leur seul effet a été de provoquer un transfert de la population active vers des emplois de moins en moins qualifiés et moins bien rémunérés.
Une fois de plus, votre stratégie d’investissement va conduire à privilégier les grands groupes au détriment des PME, qui sont la principale faiblesse, mais aussi le principal atout, de notre tissu industriel. De même, rien n’a été prévu en faveur du rail, qui représente pourtant un enjeu considérable, pour la réalisation d’infrastructures de transports nouvelles, le développement du fret et du transport multimodal, pas plus que sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Là aussi, je m’associe totalement aux propos du rapporteur général, qui déplore l’absence, dans ce projet de loi, des infrastructures ferroviaires.
Les orientations du grand emprunt ne tiennent aucun compte des principaux atouts de notre pays : son modèle social, la qualité de ses services publics, la qualité de ses infrastructures, son tissu de PME, le niveau de qualification de ses salariés, la qualité et l’indépendance de la recherche publique. Votre politique économique et budgétaire n’a eu et n’a encore qu’un seul leitmotiv : tenter de gagner la confiance des marchés et donc offrir notre pays en pâture aux grossiers appétits des rentiers. Nos concitoyens en paient aujourd’hui les lourdes conséquences. Sans doute les banques vous remercient-elles, mais pas les chômeurs en fin de droit, pas les travailleurs précaires, toujours plus nombreux, pas ceux de nos concitoyens qui voient se profiler le plan d’austérité qui les frappera durement et qui savent, comme nous, que seuls les plus nantis continueront de bénéficier de vos largesses. Dans ces circonstances, nous voterons bien évidemment contre votre projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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