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Budget de l’État

Budget : loi de finances rectificative 2009 (3)

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, comme le souligne avec à propos Gilles Carrez dans l’introduction de son rapport, « l’économie française est sortie de la récession mais elle est toujours en crise ».
Le Gouvernement a beau se féliciter de la timide reprise de la croissance, qui a atteint 0,3 % aux deuxième et troisième trimestres 2009, et d’une tendance au redémarrage de l’économie, le fait est que le PIB de notre pays a accusé un recul sans précédent depuis l’après-guerre et que le chômage poursuit sa hausse, au point qu’il pourrait atteindre, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, 9,5 % de la population active à la fin 2009 et 10,6 % fin 2010.
Certes, Gouvernement et majorité ne cessent de nous le rappeler : nos voisins européens, que l’on montrait en exemple il n’y a encore pas si longtemps, sont encore plus mal lotis et le recul du PIB y est encore plus net qu’en France.
Mais pourquoi pavoiser alors que le taux de chômage en France est très supérieur à celui observé en Allemagne, où il s’établit à 8,1 %, et alors que nous sommes le cinquième État le plus endetté de l’Union européenne ?
La raison pour laquelle notre PIB a moins reculé qu’ailleurs n’est d’ailleurs pas essentiellement à chercher dans la politique conduite par votre gouvernement, d’autant que l’investissement public a baissé. D’autres mesures ont eu des effets néfastes, notamment le bouclier fiscal et le maintien de niches qui bénéficient aux ménages les plus aisés, à l’heure où l’on proclame que les caisses sont vides. De surcroît, le plan de sauvetage des banques n’a été assorti d’aucune mesure contraignante visant à les responsabiliser.
Ce ne sont donc pas vos choix politiques qui expliquent les moins mauvais résultats relatifs de la France mais ce que le Gouvernement a lui-même appelé « l’amortisseur social », à savoir ce qui subsiste dans notre pays de protection sociale, de protection des salariés et de services publics. Bref, tout ce à quoi vous vous attaquez aujourd’hui.
Votre politique a consisté à mettre l’économie sous perfusion mais jamais vous ne vous êtes attaqués aux causes profondes de la crise. Vous vous êtes refusés à toute remise en cause des règles du système, permettant aux banquiers de reprendre leurs mauvaises habitudes en matière de spéculation et de préparer la bulle financière qui éclatera demain.
Que restera-t-il de votre politique quand vos plans de relance conjoncturels cesseront à court terme de produire leurs effets ? Nous nous retrouverons face à des déficits publics abyssaux, des marges de manœuvre réduites à la portion congrue pour l’État comme pour les collectivités locales.
La dégradation du marché du travail risque d’étouffer la timide reprise actuelle. Elle accroît le nombre de ceux qui ne peuvent consommer faute de revenus : 4 millions de chômeurs sur 33 millions de personnes âgées de 20 à 60 ans, soit près d’un adulte sur huit. Alors que notre économie est pour une large part soutenue par la consommation des ménages, la montée du chômage va plomber un peu plus l’évolution des salaires, fragiliser les salariés qui conservent leur emploi, en les poussant à épargner, quand ils le peuvent, plutôt qu’à consommer et à investir.
Avec des déficits publics qui devraient représenter l’équivalent de 8,2 % du PIB en 2009 ; une dette publique qui a dépassé 1 400 milliards d’euros et atteindra 77 % du PIB à la fin de l’année, la question se pose de l’efficacité des orientations retenues. Nous demeurons dubitatifs aujourd’hui sur l’effet de levier attendu des choix du Gouvernement.
Je souhaite m’attarder à présent sur les deux mesures emblématiques de l’actuel projet de loi de finances rectificative : le traitement fiscal des activités illicites et les mesures visant les paradis fiscaux.
Sur le premier point, nous pouvons a priori être d’accord. Le nouveau dispositif, qui permet l’imposition des contribuables se livrant à un trafic illicite de biens liés à certains crimes et délits limitativement énumérés, nous paraît de bon sens. Cependant, monsieur le ministre, votre propos sur la question est pour le moins ambigu. En effet, vous dites qu’« on ne peut plus accepter que des délinquants qui vivent de la drogue, de la contrefaçon, du trafic d’armes ou de faux billets ou de la contrebande de tabac ou d’alcool ne soient jamais taxés. »
Cette phrase demande à être explicitée : il ne faudrait pas laisser entendre que l’État pourrait se trouver en position de receleur de biens mal acquis ou d’argent recueilli de manière illicite. Il convient donc d’expliquer que la taxation des biens issus de trafics illicites ne saurait avoir vocation à se substituer aux poursuites pénales.
Je vous ai bien écouté, monsieur le ministre, et il n’y a pas que dans les quartiers, comme vous dites, que l’on trouve des délinquants, à moins que vous ne pensiez aux beaux quartiers, ce qui ne serait du reste pas plus juste.
Outre cette maladresse, nous regrettons de manière plus fondamentale que le Gouvernement n’ait pas songé à étendre le champ de ces contrôles et sanctions aux produits d’activités délictuelles ou criminelles placés à l’étranger à des fins personnelles, par exemple par les dirigeants de régimes dictatoriaux dans les pays en développement.
Rappelons en effet que les détournements de fonds et les transferts illicites d’argent public, y compris l’aide publique au développement, entre des comptes nationaux et des comptes personnels, sont considérés, depuis 1991, comme une violation des droits de l’homme par le Conseil économique et social des Nations unies.
Dans le même ordre d’idée, nous ne pouvons que regretter que l’article concerné ne vise pas les délits de corruption et de trafic d’influence par le biais desquels certains gouvernants du Sud ont pu s’enrichir personnellement en touchant des rétro-commissions de sociétés étrangères ou de l’argent provenant du budget de l’État en octroyant des marchés publics ou en cédant des entreprises publiques à leurs proches ou à des compagnies étrangères. En d’autres termes, où en sommes-nous aujourd’hui, en France, des fonds africains d’origine illicite ? Il nous semble que nous ne pouvons prétendre nous attaquer efficacement au traitement fiscal des activités illicites sans nous pencher également sur ces questions.
En ce qui concerne les paradis fiscaux, source d’instabilité financière, cause de pertes énormes en termes de recettes fiscales, estimées à 2,5 % voire 3 % du PIB, et, plus encore, lieux de détournement d’argent de la sphère économique et sociale, il convient de répéter qu’ils sont non seulement immoraux mais représentent une gangrène pour l’économie nationale et mondiale.
Contrairement à certaines annonces, les paradis fiscaux n’ont pas disparu comme par enchantement au lendemain du G 20. La liste grise établie par l’OCDE depuis avril 2009 est en effet tout sauf fiable.
Rappelons que le nouveau classement des « juridictions à secrets » établi par le réseau Tax justice network montre notamment que, parmi les dix premiers paradis fiscaux, seul Singapour figure encore dans la liste de l’OCDE. Ni l’État du Delaware aux États-Unis, ni le Luxembourg, la Suisse, Malte, les Îles Caïman, la City de Londres, l’Irlande, les Bermudes, la Belgique, Hong Kong n’y figurent alors que ces juridictions sont de vrais paradis fiscaux et épinglées comme tels par le TJN, grâce à un indice qui prend notamment en compte la mise en place ou non, dans les pays considérés, de lois antiblanchiment et l’effort pour développer une vraie coopération fiscale multilatérale.
Sur ce point, il faut bien admettre que les exigences de l’OCDE sont très insuffisantes puisqu’il suffit de signer douze conventions d’échange de renseignements fiscaux pour être retiré de la liste grise. Monaco s’est ainsi contenté de signer douze conventions avec d’autres paradis fiscaux ! Cela s’appelle un tour de passe-passe. Derrière l’image que tentent de donner le Président de la République et le Gouvernement de s’attaquer aux paradis fiscaux, car nos concitoyens acceptent de moins en moins ces tricheries et privilèges des riches, il y a beaucoup de faux-semblants.
L’échange d’informations devrait être complet, sans exclusive, automatique. Or il est ici simplement proposé de répondre à une demande si celle-ci est jugée « pertinente ». Mais qui décide de la pertinence de la demande ? La mise en œuvre d’un plan de lutte contre les paradis fiscaux nécessite évidemment le renforcement des moyens des administrations fiscales. Or, là aussi, nous sommes dans le faux-semblant. Alors que le président Obama, aux États-Unis, a recruté 800 agents supplémentaires, le nombre de contrôleurs du fisc en France a diminué de 12 % entre 2002 et 2008 et il en aura perdu 15 % en 2011. Nous avons donc un sérieux problème de cohérence entre les objectifs affichés et les moyens qui y sont consacrés.
Supprimer les paradis fiscaux serait la seule mesure de justice et d’efficacité, une mesure de salubrité publique et d’efficacité économique. D’ailleurs, c’est simple : vouloir « contrôler » les paradis fiscaux est la confirmation qu’ils subsistent.
La nécessité est aujourd’hui de s’assurer d’une meilleure répartition des richesses, d’une meilleure allocation des ressources, d’orienter l’argent non pas vers la spéculation et les placements financiers, dont 80 % ne se réinvestissent pas dans la production, mais vers l’emploi, la formation, la recherche et l’investissement productif.
C’est le sens de la proposition que nous vous avons faite de créer d’un pôle financier public constitué autour de la Caisse des dépôts, la Caisse nationale de prévoyance, la Banque postale, la Banque de France, Oseo. Ce pôle pourrait être complété par une coopération renouvelée avec le réseau des banques mutualistes.
Réorienter la politique du crédit en faveur de la satisfaction des besoins, dans l’intérêt général et non pour la satisfaction des intérêts privés, est le meilleur des remparts contre la crise.
Dans ces circonstances, nous voterons contre le présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 

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Jean-Claude
Sandrier

Député de Cher (2ème circonscription)
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