Monsieur le Premier ministre, une majorité de Français ne veulent pas de votre retraite par points, qui organise une baisse généralisée des pensions. (M. Stéphane Peu applaudit. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Vous demandez toujours plus aux mêmes, à la France du travail, à celle qui se lève tôt, et c’est toujours à cette France-là que vous demandez de travailler plus et de faire des efforts !
En proposant de calculer les pensions de tous les Français sur la totalité de leur carrière au lieu des six derniers mois ou des vingt-cinq dernières années, vous demandez tout simplement aux enseignants de financer la retraite des agriculteurs, aux infirmières de financer celle des chauffeurs de poids lourds, aux ouvriers et aux cheminots de financer celle des femmes à temps partiel et bas salaire. Où est la justice ? Ce sont toujours les mêmes qui paient !
Pendant ce temps-là, les retraites chapeaux des grands PDG sont préservées : ceux-ci vont en effet pouvoir toucher 750 000 euros de retraite dorée par an !
Ce n’est pas un régime spécial, ça ? Pendant ce temps, l’évasion fiscale nous coûte toujours un bras, et même la Cour des comptes a pointé du doigt votre gouvernement, qui ne mobilise pas tous les moyens nécessaires pour ce combat pourtant indispensable. Pendant ce temps, les multinationales françaises ont distribué 51 milliards d’euros de dividendes en 2019, sommes bien moins taxées que les salaires !
Oui, de nos jours, la bourse paie plus que le travail ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
C’est pourquoi nous vous demandons d’accroître les salaires et le SMIC de 20 % (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR), soit 240 euros de plus. C’est cela, la justice sociale, et cela représenterait aussi 3 milliards d’euros de cotisations en plus ! Pourquoi refusez-vous une telle augmentation au 1er janvier prochain ? On veut des ronds, pas des points ! (M. Jérôme Lambert applaudit.)
Ouvrez le débat sur toutes ces pistes de financement d’une réforme à laquelle tout le monde serait gagnant, sans travailler plus longtemps ! C’est le sens de la contre-réforme que les communistes vous ont adressée. Ne vous obstinez pas, retirez votre réforme et ouvrez le débat ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur Roussel, nous n’avons pas la même…
M. Jean-Paul Lecoq. Nous n’avons pas les mêmes valeurs !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Si, nous les partageons souvent, vous le savez bien, monsieur Lecoq. Mais nous n’avons pas la même vision de ce que doit être notre économie et peut-être, à certains égards, notre système de retraites, c’est un fait. Vous l’avez suggéré, monsieur Roussel, vous êtes assez nettement anticapitaliste, opposé à l’économie de marché.
M. Fabien Roussel. Assumé !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. À mes yeux, l’économie de marché est probablement la meilleure façon de produire des richesses et, pour peu qu’elle soit tempérée par l’État, la meilleure façon de les redistribuer.
Un certain nombre d’expériences, un peu partout dans le monde et à toutes les époques, montrent en effet que le système que je viens de décrire est, en moyenne et dans la durée, celui qui réussit le mieux. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Ce système, donc, je le défends. (Exclamations sur quelques bancs des groupes FI et GDR.) Je crois aussi à la démocratie, et j’observe comme vous que le Président de la République s’est engagé sur une réforme des retraites en vue de créer un régime universel par répartition et par points. Or, cela ne vous a pas échappé, il a gagné l’élection présidentielle.
L’ensemble des députés de la majorité se sont eux aussi engagés après s’être présentés au suffrage des Français : ils ont été élus, non sur un plateau de télévision, non par un sondage ou à la faveur d’une manifestation, mais par le suffrage des Français. Et cette majorité s’est présentée avec le projet de transformer les quarante-deux systèmes actuels en un système universel par répartition et par points. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Ça n’est pas rien : c’est là un engagement politique, politiquement sanctionné par le suffrage universel. Vous ne pouvez donc pas dire que, dans une démocratie, cet engagement ne vaut rien : il est au contraire essentiel et décisif ! Ce que nous allons faire est conforme aux engagements pris pendant des campagnes électorales, conforme à la légitimité d’un régime démocratique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Ce que je viens de dire, c’est la base, c’est fondamental.
Quant au reste, nous avons préparé, disais-je, une réforme universelle par répartition et par points. Demain midi, au Conseil économique, social et environnemental, devant les organisations syndicales et patronales, devant les associations, je présenterai donc ce projet de loi ; après quoi, vous le savez, comme chacun ici, celui-ci sera transmis au Conseil d’État puis présenté en Conseil des ministres avant d’être discuté dans votre enceinte, comme c’est naturel et indispensable – il y va de la légitimité démocratique.
Ce projet, vous pourrez donc le critiquer, l’amender, peut-être même en approuver certaines dispositions très fortement redistributives ou de nature à corriger des inégalités criantes du système actuel. De tout cela, l’Assemblée nationale débattra en toute légitimité : le temps viendra pour qu’elle le fasse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.)
M. Fabien Roussel. Vous n’entendez donc pas ce qui se passe dans la rue ?