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Commission d’enquête sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens

L’organisation d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye dont j’avais moi-même revendiqué la mise sur pied dès le 3 août dernier au nom des député-e-s communistes et républicains était indispensable. Car l’irruption de la France dans cette affaire, la médiatisation délibérée de ses démarches, le déplacement en Libye du Président de la République après ceux de son épouse, la signature d’accords, militaires en particulier, avec le régime libyen au lendemain même de cette libération, posaient des questions à nos concitoyens, et avaient choqué nos partenaires au sein des Institutions européennes.
Chacun bien évidemment se réjouit du fond du cœur, qu’il ait été mis fin à la détention arbitraire et aux souffrances intolérables infligées aux cinq infirmières bulgares et au médecin palestinien. Huit ans et sept mois entre la vie et la mort : il était temps que ce supplice prenne fin et qu’il soit fait droit à l’innocence de ces femmes et de cet homme. Innocence toujours pas reconnue par le chef d’Etat libyen, ce qui n’a pas empêché qu’il soit reçu avec tous les honneurs dans notre pays !
Pour autant les conditions de leur libération, le leadership autoproclamé de la France dans cette issue, l’absence de transparence des financements et concours mobilisés, le flou des engagements souscrits, les conséquences susceptibles d’en résulter à moyen terme et à l’avenir... tout cela nécessitait d’être profondément éclairci. L’existence, un temps contesté par la droite, et l’action de la commission parlementaire ont effectivement servi à progresser utilement dans ce sens.
En effet, celle-ci a notamment permis de mettre en lumière la diversité des engagements y compris citoyens, mobilisés pour cette libération, et l’effort de longue haleine des Institutions européennes pour rechercher une issue à ce drame humain, à commencer par l’aide médicale due aux centaines d’enfants contaminés par le virus du sida.
Au-delà du déferlement médiatique orchestré, de l’été 2007, la commission a constaté et rappelé que la France n’avait été ni la première, ni la seule à s’investir dans l’objectif de libération des otages emprisonnés en Libye et trois fois condamnés à mort.
Aussi apparaît-il plus clairement que les conditions dans lesquelles les plus hautes autorités de l’Etat français ont estimé devoir s’emparer de cette affaire, ont pu porter atteinte au crédit de la France au sein de l’Union européenne, et que tout cela a laissé des traces, n’en déplaise au Secrétaire général de la Présidence de la République, Claude Guéant, affirmant devant la commission que "ce n’est pas parce que la France réussit là où d’autres ont échoué que cela doit être suspect."
Le ministre des Affaires étrangères a déclaré devant la commission, que c’était : « le dossier du Président de la République ».
Cette formule lapidaire légitime à elle seule, les interrogations qui ont accompagné dans cette affaire et à son issue, l’action de notre pays. Mais elle témoigne surtout du problème crucial que pose, du point de vue du fonctionnement de nos institutions républicaines et de la démocratie, cette fuite en avant dans la présidentialisation des orientations données à la politique internationale de la France et à ses relations extérieures, quand les problèmes du monde nécessiteraient à l’opposé, information, débat et l’essor d’une diplomatie française ouverte à l’objectif de coopération et de fraternité des peuples.
Sur le fond de cette affaire, des questions restées sans réponse définitive malgré les travaux de la commission, confirment les incertitudes et désaccords partagés par l’opinion.
Faut-il vendre des armes au régime libyen ? Faut-il contribuer à l’affirmation précipitée, d’un nouveau statut de l’Etat libyen au sein des Nations, alors que les infirmières et le médecin venus témoigner devant la commission, ont souligné la persistance des tortures et traitements indignes dont eux-mêmes ont été victimes ? Faut-il croire, dans un tel contexte, à la « contagion de la démocratie » évoquée par le ministre des Affaires étrangères ? Faut-il avaliser les propos du conseiller diplomatique du Président de la République, Jean-David Levitte, décrivant devant la commission, un pays sur le chemin de la "rédemption", et qui : « après avoir tout fait pour se mettre au banc des nations – soutien au terrorisme, violation des droits de l’homme, constitution d’un arsenal d’armes de destruction massive – a ensuite tout fait pour, progressivement, revenir dans le concert des nations (…) » ?
Les aspects financiers de cette affaire, le rôle du Qatar sur ce point, n’ont pas été pleinement élucidés, loin s’en faut.
Enfin comment ne pas évoquer le quitus donné de fait par notre pays au régime libyen et au colonel Kadhafi avec le séjour en France de ce dernier ? Cette visite a fortement choqué la population française et beaucoup de celles et de ceux qui en Europe et dans le monde, sont attachés au respect des Droits de l’Homme.
Loin de conforter l’image presque aseptisée que d’aucuns ont voulu donner de cet Etat avec lequel les grands milieux d’affaires entendent développer des partenariats sources de profits, cette visite dont les prolongements économiques et commerciaux sont très loin d’être confirmés à ce jour, a renforcé les craintes de nos concitoyens et leur résolution à ne pas voir notre pays compromis par ce type de situation.
Il est heureux que les échanges et témoignages suscités par la commission d’enquête parlementaire aient permis d’établir une part de vérité sur ce dossier ; part très insuffisante cependant, ce qui ne peut me conduire qu’à m’abstenir sur le rapport rendant compte de ses travaux.

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Alain
Bocquet

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