Lettre ouverte au Président Richard Ferrand
Monsieur le Président,
Depuis maintenant six semaines notre Assemblée fonctionne dans le cadre du confinement décidé par le Président de la République. Six semaines que notre Assemblée se réunit dans l’hémicycle à effectif très réduit, dans le respect des consignes fixées par l’ARS, pour l’exercice des questions au Gouvernement et pour légiférer. Six semaines que notre chambre travaille avec la visioconférence pour assurer sa mission de contrôle.
Il est temps désormais de dresser un bilan et de poser des jalons pour améliorer l’exercice de notre démocratie, plus que jamais précieuse en ces temps bouleversés. La gravité de la situation n’appelle pas l’effacement des députés, élus pour faire face par tous les temps.
À notre grand désarroi, nous constatons que chaque jour qui passe assigne toujours plus notre Assemblée à un rôle de chambre d’enregistrement. Les mesures de confinement malmènent au quotidien notre démocratie et, notamment, l’exercice du contrôle du Gouvernement qui incombe aux représentants du peuple. J’en veux pour preuves les plus flagrantes les délais non respectés pour rendre public les avis du Conseil scientifique ou la décision de faire débattre le Parlement, en urgence absolue, du plan de déconfinement du Gouvernement sans même lui laisser le temps d’en prendre connaissance. Lenteur insupportable pour informer le Parlement et précipitation coupable pour écarter les représentants du peuple de l’élaboration du plan de déconfinement, pourtant une étape majeure du traitement de la crise. Cautionnerez-vous plus longtemps, M. le Président, cette piètre mise en scène de démocratie ? Notre démocratie ne mérite-t-elle pas de laisser au peuple et à ses représentants le temps de proposer, le temps d’amender ? Nous lui devons au moins cela, à l’heure où il n’en peut plus des injonctions annoncées sans concertation, des injonctions souvent contradictoires le mettant dans l’incapacité de comprendre comment cette crise est gérée depuis des semaines ?
Les députés dans leur ensemble ont accepté toutes les dérogations à notre règlement pour permettre l’application stricte des consignes sanitaires, sans pour autant vous donner un blanc-seing pour réduire à la portion congrue leur pouvoir de contrôle. C’est hélas ce qui est en train de se produire.
Cette mission de contrôle et de proposition est, pourtant, l’un des pouvoirs essentiels du député et elle doit, dans le cadre de l’urgence sanitaire, s’exercer pleinement et ne peut se satisfaire des règles existantes, dont s’accommode la majorité. C’est un fait entendu par tous les amoureux de la démocratie, le contrôle de l’action du Gouvernement prend tout son sens lorsqu’il est exercé sans complaisance et de manière impartiale. Dans le cas contraire, cet exercice n’a plus de raison d’être.
Or, les observateurs de notre vie parlementaire déplorent au quotidien l’humiliation que subit notre démocratie. Ils s’insurgent devant les auditions menées dans un formalisme ronronnant, que ce soit dans le cadre de la mission Covid-19 ou des commissions permanentes, où se succèdent les interventions des membres de la majorité prenant soin de ne pas bousculer le Gouvernement tandis que celles des membres de l’opposition sont, de fait, réduites à une peau de chagrin. Force est de constater que nous n’obtenons pas les réponses essentielles aux questions légitimes que tous nos concitoyens se posent.
Cette évolution n’est malheureusement pas surprenante. La réforme constitutionnelle du Gouvernement, avortée lors de l’affaire Benalla, et votre réforme du règlement avaient pour premier objectif d’étouffer le pouvoir législatif au profit du pouvoir exécutif. Aujourd’hui, votre choix de bouleverser les règles de fonctionnement de notre Assemblée dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire vient servir, que vous le souhaitiez ou non, la même logique.
Les pouvoirs du Parlement sont ainsi gravement affaiblis, rendant illusoire la fonction de contrôle et l’équilibre des pouvoirs entre exécutif et Parlement. Dans ce cadre et dans le contexte exceptionnel que nous vivons, le renforcement des droits accordés à l’opposition est essentielle pour revaloriser le Parlement et ainsi renforcer la démocratie. Il est indispensable à la résolution de la crise sanitaire.
Il est désormais urgent, M. le Président, dans le cadre des restrictions imposées à notre Assemblée, de déconfiner notre démocratie.
Nous mettons pour cela à votre disposition une série de mesures applicables immédiatement et facilement, pour revaloriser le rôle du Parlement et cesser de nourrir la défiance de l’opinion publique à l’égard de notre Assemblée.
Démocratiquement,
Les députés communistes
Mesures d’urgence pour déconfiner la démocratie
* Constitution par l’Assemblée nationale de son propre comité scientifique, afin de gagner en expertise et de renforcer le poids de la chambre basse dans le contrôle de la politique gouvernementale. Chaque Président de groupe pourra y nommer une personnalité, ainsi que chaque président de commission permanente et le Président de l’Assemblée nationale.
* Établir un droit d’interpellation, limité par groupe. Très utilisé sous la IIIe République et plus particulièrement durant la Première Guerre mondiale, le droit d’interpellation permettait à tout parlementaire d’interroger le Gouvernement, en séance, sur la politique mise en œuvre. L’instauration de ce nouveau droit, proposé ici sous une forme différente de celle qui existait durant la IIIe République, nous semble plus consistant et pertinent que les questions orales sans débat. Il renforcerait les capacités de contrôle du Parlement.
* Donner plus de temps de parole à l’opposition dans le cadre de ses missions de contrôle du Parlement (le temps de parole dans les commissions permanentes et dans la mission Covid).
* Réunir à nouveau les commissions permanentes avec la présence physique au minimum des membres des bureaux avec la représentation de chaque groupe. Audition par chaque commission permanente des ministres sur leur action dans le cadre de la gestion de la crise et accorder, de droit, à chaque groupe le choix de deux personnes à auditionner.
* Prévoir l’audition régulière du Défenseur des droits à l’Assemblée nationale et éventuellement d’autres acteurs pertinents (CNDH, Contrôleur général des lieux de liberté) en matière de libertés publiques, afin de s’assurer que du respect des droits fondamentaux durant l’état d’urgence sanitaire.
* Compte tenu de l’importance prise par le conseil scientifique, exiger de la part des membres qui le composent une déclaration d’intérêts et la signature d’une charte de déontologie, afin de se prémunir de tous conflits d’intérêts potentiels.
* Suspendre la limitation du nombre des questions écrites et réduire les délais de réponses pour que les parlementaires soient en mesure de répondre aux nombreuses demandes exprimées par la population. À l’heure actuelle, en ce qui concerne les députés, les réponses des ministres doivent être publiées dans les deux mois suivant la publication des questions. Ce délai de rendu est incompatible avec l’état d’urgence sanitaire et les impératifs de la crise.
* Transformer la commission des affaires européennes en commission permanente, afin de faire un point régulier sur les politiques mises en place - ou non - par l’Union européenne pour lutter contre la propagation du Covid-19. Ce changement de statut aurait le mérite de se justifier dans le temps, avec les batailles économiques et politiques qui ne manqueront pas de survenir après la crise, au niveau européen.