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Reconnaissance d’une « exception énergétique » au sein de l’Union européenne - 4107

Proposition de résolution européenne relative à la reconnaissance d’une « exception énergétique » au sein de l’Union européenne

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sébastien JUMEL, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Elsa FAUCILLON, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Karine LEBON, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.

Député.e.s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France s’est attachée dans la seconde moitié du XXe siècle, dans le prolongement des ambitions du Conseil national de la Résistance, à bâtir un grand secteur public de l’énergie. Or, depuis plus de vingt ans, la libéralisation du marché de l’énergie en Europe a profondément transformé ce cadre. Les opérateurs historiques dans chacun des pays de l’Union ont été progressivement démantelés et filialisés. En France, « EDF » et « GDF », ont ainsi subi de profondes transformations.

Les différents « paquets énergie » adoptés par l’Union européenne sont venus préciser depuis 1996 le « statut » européen de l’énergie, à l’échelle de la production, du transport comme de la commercialisation.

Dans ce cadre, la France a notamment adopté en 2010 la loi NOME de « nouvelle organisation des marchés de l’électricité ». Celle‑ci a en particulier instauré l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) qui fait obligation à l’opérateur historique, EDF de céder une partie de sa production à ses concurrents afin de ne pas jouir d’une « position dominante » sur le marché. L’entreprise EDF s’est vue contrainte de faire bénéficier à ses concurrents, sans qu’ils en supportent les coûts, un prix « garanti » pour une quantité d’énergie donnée – prix qui n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’une réévaluation depuis le 1er janvier 2012.

Compte tenu de l’ampleur du changement climatique, de la raréfaction de certaines ressources fossiles, des questionnements liés à la gestion des déchets nucléaires, ou encore de la capacité à piloter le réseau en continu avec les énergies intermittentes, l’organisation économique et sociale du secteur de l’énergie en Europe n’est à l’évidence plus adaptée et doit être réformée.

Depuis deux ans, la Commission européenne et la France négocient donc un nouveau cadre de régulation pour l’opérateur historique, « EDF », dans l’objectif affiché de régler les multiples contentieux en contrepartie de la mise en œuvre d’un nouveau modèle économique.

Ce nouveau modèle veut approfondir la filialisation de l’opérateur historique et affaiblir ses moyens de production. Pour ses promoteurs, l’enjeu est de s’assurer de la pleine effectivité du principe de « concurrence libre et non‑faussée ». L’avenir d’EDF n’est jamais envisagé à l’aune d’autres critères, comme la souveraineté et l’indépendance énergétique, le changement climatique, l’aménagement du territoire ou l’emploi

Ce nouveau modèle de régulation proposerait en outre d’ouvrir à des capitaux privés une partie des missions de l’opérateur historique, alors que rien dans le droit européen n’oblige aujourd’hui à modifier les statuts de l’opérateur historique ni à ouvrir le capital des sociétés de réseaux ou de productions d’énergies renouvelables.

Face à la nécessité de redonner à la France et à l’Europe une maîtrise de son avenir énergétique, l’urgence est au contraire, selon nous, d’engager un débat de fond sur le statut de l’énergie. Les réseaux électriques et la production électrique possèdent en effet l’ensemble des caractéristiques « d’un monopole de fait », avec des rendements d’échelles croissants et des externalités dont les coûts ne peuvent être assumés que par la puissance publique.

Il est nécessaire ensuite de préserver l’indépendance énergétique de notre pays, la sécurité des approvisionnements, la qualité et la continuité de service. L’énergie fait enfin partie des services essentiels, principe reconnu par les institutions européennes le 17 novembre 2017 dans le Socle européen des droits sociaux. Conduire une stratégie cohérente de lutte contre la précarité énergétique et le réchauffement climatique en France comme en Europe impose une maîtrise nationale et publique de nos réseaux et de nos productions énergétiques.

La France doit donc engager le plus rapidement possible, notamment à l’occasion de la future présidence française de l’Union européenne, un débat sur le statut de l’énergie en Europe et sur la reconnaissance d’une « exception énergétique européenne », sur le modèle de « l’exception culturelle ». La France et l’Europe doivent tirer le bilan des politiques énergétiques conduites sur le continent depuis plus de vingt ans et définir les voies et moyens d’une protection efficace des opérateurs nationaux, dans l’intérêt des peuples et de la planète.

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution ;

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale ;

Vu l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux compétences de l’Union Européenne en matière d’énergie ;

Vu l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif aux services économiques d’intérêts généraux ;

Vu l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif aux aides accordés par les États ;

Vu la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ;

Vu la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ;

Vu le règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité ;

Vu le règlement (UE) 2018/1999 du parlement européen et du conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat ;

Vu le Protocole n° 26, attaché au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif aux services d’intérêt général ;

Vu le code l’énergie et en particulier les articles du titre Ier dudit code ;

Vu la loi n° 2004‑803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières ;

Vu la loi n° 2010‑1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME)

Vu les articles R. 336‑1 et suivants du code de l’énergie portant sur le fonctionnement de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique ;

Considérant que la création du marché de l’électricité en Europe et en France n’a pas permis l’émergence de productions énergétiques alternatives compétitives – hors subventionnements publics – aux énergies fossiles, hydrauliques et nucléaires ;

Considérant que la production d’énergie nécessite des investissements importants et la garantie de la puissance publique ;

Considérant les conséquences économiques de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie en matière de coûts pour le consommateur, dans la mesure où le prix à la consommation de l’électricité a connu une hausse de 60,36 % en France sur la période courant de 2007 à 2020 ;

Considérant les conséquences sociales de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, qui par l’augmentation continue des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) a participé à renforcer la précarité énergétique touchant maintenant plus de 5 millions de foyers français ([1]) ;

Considérant que les tarifs réglementés de vente de l’électricité, avec l’inclusion de composantes « marché » de plus en plus importantes, présentent un caractère anormalement inflationniste ;

Considérant que l’accès à l’énergie a été reconnu comme un service essentiel intégré à la proclamation interinstitutionnelle sur le socle européen des droits sociaux du 13 décembre 2017 ;

Considérant le risque d’atteinte à la souveraineté énergétique de la France et à son indépendance d’approvisionnement que fait courir le projet de réforme de l’opérateur historique ;

Considérant que l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) a largement défavorisé l’opérateur historique français sans démontrer sa capacité à faire émerger un véritable gain économique et social pour le consommateur ;

Considérant que le mécanisme de l’ARENH est un mécanisme asymétrique défavorable à l’opérateur historique dans la mesure où il ne bénéficie d’aucune compensation lorsque le prix de marché est inférieur au prix régulé de l’ARENH, alors pourtant que le dit opérateur doit répondre simultanément à des obligations de service public ;

Considérant la nécessité d’organiser un nouveau plan stratégique de développement de notre secteur énergétique eu égard à la dette de l’opérateur historique national, estimée à 42 milliards d’euros en 2020, et des besoins de financements en matière de rénovation et de maintenance des infrastructures productives existantes ;

Considérant les conséquences potentielles d’une restructuration de l’opérateur historique sur les collectivités locales notamment face au risque d’augmentation des tarifs d’utilisation des réseaux (TURPE) ;

Considérant les carences de l’évaluation des politiques publiques nationales et européennes en matière d’énergie et de mise en concurrence des entreprises de fournitures d’électricité en particulier sur les emplois délocalisés hors d’Europe et les conséquences sur les industries du secteur, affaiblies par un manque de planification ;

Considérant que le projet de réforme de l’opérateur historique ne répond en rien aux problématiques structurelles engendrées par la marchandisation de l’énergie ;

Considérant les engagements pris par la France et l’Europe en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) afin de favoriser les transferts d’usages vers une électricité bas carbone attractive par sa qualité, sa continuité de service et son coût, en particulier pour les secteurs industriels ;

Considérant le retard pris dans les politiques d’efficacité et de performances énergétiques ;

Considérant les risques que ferait peser l’ouverture à la concurrence en termes de souveraineté énergétique, de désorganisation du système hydroélectrique, de préservation de l’emploi et des atouts du système électrique français, y compris tarifaires ;

Considérant que les procédures de mise en demeure engagées par la Commission européenne sur les législations en matière d’énergie hydroélectrique intéressent sept autres États membres, parmi lesquels l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Pologne, le Portugal et la Suède, démontrant ainsi que tous ces États membres ont pris des mesures protectrices quant à l’exploitation de leur ressource hydroélectrique ;

Invite le Gouvernement à demander à la Commission européenne la réalisation d’un rapport sur l’évaluation de la dérégulation du secteur de l’énergie en Europe ;

Invite le Gouvernement à se rapprocher de ses partenaires européens afin d’exclure explicitement le secteur de l’énergie du champ de l’article 107 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, du champ de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur et de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)
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