Propositions

Propositions de résolution

Prostitution des mineurs - 496

Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête portant sur la prostitution des mineurs

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Soumya BOUROUAHA, Moetai BROTHERSON, Jean‑Victor CASTOR, Steve CHAILLOUX, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Emeline K/BIDI, Karine LEBON, Jean‑Paul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Frédéric MAILLOT, Yannick MONNET, Marcellin NADEAU, Davy RIMANE, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, Jean‑Marc TELLIER, Hubert WULFRANC.

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’avenir de notre pays repose sur notre jeunesse. Il est du rôle du législateur de veiller à ce que tous les outils soient mis en œuvre pour protéger chaque enfant, et si nécessaire, d’en créer de nouveaux afin d’assurer ce devoir primordial. Notre tâche est de permettre à chaque enfant de s’accomplir pleinement pour qu’il trouve sa place dans la société.

L’enfance et l’adolescence sont des temps de construction, de développement et d’apprentissage en termes de connaissances mais aussi d’autonomie vers l’âge adulte. Cette période se caractérise aussi par une plus grande vulnérabilité et la découverte de ses propres limites.

Malheureusement, il arrive que des enfants et des adolescents soient victimes de violences psychologiques, physiques et/ou sexuelles sans que cela ne soit détecté par la famille, ni les institutions. L’absence de prise en charge de ces traumatismes antérieurs engendrent des fragilités et amènent certains enfants à se mettre en danger en adoptant des comportements destructeurs envers eux‑mêmes ou envers les autres. Cette instabilité en fait des cibles privilégiées pour quiconque voudrait exploiter ces souffrances, notamment les proxénètes.

La violence est inhérente au système prostitutionnel, que les victimes soient adultes ou enfants. Les pratiques sexuelles imposées par les clients, la violence des proxénètes qui exploitent les mineurs et tirent profits des passes, la violence de la contrainte à vendre son corps, ces faits sont immanents à ce système avilissant de l’être humain.

La prostitution des mineurs est un phénomène qui semble prendre de plus en plus d’ampleur à travers des situations diverses. Cette hausse des cas questionne notre capacité, ou plutôt notre incapacité, à protéger les enfants et adolescents qui en sont victimes.

Aussi, il est important pour le législateur de dresser un bilan le plus complet possible sur la prostitution des mineurs et les dysfonctionnements des pouvoirs publics à déceler ces situations et à protéger les victimes. L’accès à internet et la prostitution en ligne est également un phénomène à analyser pour comprendre si cela a un impact spécifique sur la prostitution des mineurs. Il s’agit de répondre à ces situations dramatiques pour les victimes et leur famille. Tel est l’objet de cette commission d’enquête.

Un phénomène en hausse

Chaque année, entre 7 000 et 10 000 enfants seraient victimes de prostitution ([1]). De nombreux acteurs estiment que ces chiffres seraient en réalité sous‑évalués. Car, si plusieurs études ont essayé de quantifier l’ampleur exacte de cette situation dramatique, les données restent imprécises et mettent en lumière la difficulté de déceler précisément le nombre de mineurs qui ont recours à la prostitution, qu’elle soit occasionnelle ou régulière.

Pourtant, les acteurs institutionnels et associatifs alertent sur ce phénomène qui, selon eux, ne faiblit pas et qui aurait même tendance à augmenter. Selon un rapport publié en juin 2021, le phénomène prostitutionnel des mineurs s’est intensifié en France depuis 2015 et s’est développé dans toutes les grandes agglomérations du territoire. La crise sanitaire de la Covid‑19 en 2020 l’aurait encore aggravé ([2]).

Le profil des victimes et des proxénètes est au cœur de plusieurs enquêtes. Aussi, selon une étude réalisée par l’association du Centre de victimologie des mineurs en début d’année 2022, la majorité des victimes seraient des jeunes filles âgées entre 14 ans et 17 ans, de nationalité française. Toujours selon cette association, ce phénomène toucherait « tous les milieux sociaux, toutes les origines, toutes les zones géographiques, environnement rural et environnement urbain ([3]). » D’après le Mouvement du Nid, 25 % des prostituées ont vécu leurs premières passes pendant leur minorité à un âge moyen de 14 ans ([4]).

Toutefois, les mineurs non accompagnés de nationalité étrangère représentent une part non négligeable des victimes. La vulnérabilité de ces mineurs après un voyage difficile souvent marqué par la violence, le manque de protection accordée par l’État français à leur arrivée et le manque de moyens pour survivre sont autant de causes à cela.

Par ailleurs, une victime sur neuf serait un jeune garçon.

Enfin, le profil des auteurs de proxénétisme sur mineurs, ou qui y auraient recours, seraient majoritairement des hommes âgés entre 18 et 24 ans. Plus souvent il s’agirait de jeunes délinquants qui aurait quitté le trafic de stupéfiants pour le proxénétisme jugé plus lucratif et moins risqué en terme de répression ([5]).

Des conséquences sur la santé physique, sexuelle et mentale des victimes

Selon le rapport réalisé par Catherine Champrenault, Procureure générale près de la cour d’appel de Paris, « 80 % des mineurs prostituées ont subi des violences physiques ou sexuelles, directement ou indirectement au sein de leur famille ou dans leur entourage scolaire ou autre. ([6]) » Ces mineurs déjà très fragiles sont perçus comme des cibles facilement manipulables et très vulnérables par les proxénètes.

La prostitution ne fait souvent qu’aggraver les troubles déjà présents et en engendrent de nouveaux. Les risques de développer des maladies sexuellement transmissibles et des infections sexuelles sont bien plus importants, tout comme les risques de grossesses non désirées et une détresse psychologique accrue. Pour supporter les passes et les différentes violences subies, certains trouvent refuge dans la drogue et/ou dans une consommation excessive d’alcool. Les addictions représentent alors un nouvel engrenage dont il est difficile de sortir seul et posent de nombreux problèmes de santé.

Les familles sont des victimes collatérales qui ont aussi besoin d’être accompagnées pour surmonter cette épreuve douloureuse.

Une réponse des pouvoirs publics à renforcer

La loi du 4 mars 2002 a instauré la prohibition de la prostitution des mineurs et les reconnait comme des victimes. Malgré la sévérité des peines encourues et la reconnaissance du statut de victimes pour les mineurs, des failles demeurent et l’arsenal législatif semble insuffisant à répondre à ce phénomène.

Pour autant, les pouvoirs publics s’emparent de cette question. Ainsi, une campagne de sensibilisation a été lancée en mars 2022 par l’ancien Secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des familles, Adrien Taquet. Celle‑ci a pour principal objet d’informer les professionnels et les parents sur certains comportements qui peuvent les alerter.

Elle s’est appuyée sur le travail de l’association du Centre de victimologie pour les mineurs qui a mené une recherche‑action et mis à disposition sur son site internet des vidéos de sensibilisation et d’appui pour les professionnels et les parents qui suspectent un cas de prostitution des mineurs.

Pour autant le suivi judiciaire des affaires rapportées aux autorités apparait peu efficace. En effet, la moitié des affaires transmises aux autorités judiciaires sont classées sans suite[7]. Pour les victimes et leur famille, la reconstruction ne peut se faire sans la justice. Pour cela, il faut qu’elle puisse rendre une décision qui reconnait la culpabilité des proxénètes et le mineur comme victime. Les moyens octroyés à la justice doivent être questionnés au regard des besoins indispensables pour faire aboutir les procédures.

Face à des enfants et des familles démunis, les pouvoirs publics tentent d’apporter des solutions. Ainsi, en novembre 2021, un premier plan national de lutte contre la prostitution des mineurs a été activé pour un engagement de 14 millions d’euros.

Il y a une véritable nécessité d’affiner les connaissances de nos institutions sur ce sujet afin de bénéficier d’une analyse fine de la situation et d’y apporter des solutions adaptées.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres portant sur le phénomène de prostitution des mineurs en France, ses causes, sa détection et les réponses à apporter pour protéger les enfants en danger.

([1]) Campagne de sensibilisation et de lutte contre la prostitution des mineurs, Dossier de presse, Mars 2022

([2]) Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs, présidé par Madame Catherine CHAMPRENAULT, 28 juin 2021, p.5

([3]) Campagne de sensibilisation et de lutte contre la prostitution des mineurs, Dossier de presse, Mars 2022

([4]) Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs, présidé par Madame Catherine CHAMPRENAULT, 28 juin 2021, p.6

([5]) Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs, présidé par Madame Catherine CHAMPRENAULT, 28 juin 2021, p. 6

([6])à Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs, présidé par Madame Catherine CHAMPRENAULT, 28 juin 2021, p. 4

([7]) Rapport du Centre de victimisation des mineurs, janvier 2022

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Soumya
Bourouaha

Députée de Seine-Saint-Denis (4e circonscription)
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