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Propositions de résolution

Lutter contre la banalisation des discours de haine dans le débat public - 4660

Proposition de résolution visant à lutter contre la banalisation des discours de haine dans le débat public.

présentée par Mesdames et Messieurs

Fabien ROUSSEL, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Karine LEBON, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Hubert WULFRANC.

député‑e‑s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Préambule de la Convention de 1965 des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale souligne avec force : « Toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races est scientifiquement fausse, moralement condamnable et socialement injuste et dangereuse… la discrimination entre les êtres humains pour des motifs fondés sur la race, la couleur ou l’origine ethnique est un obstacle aux relations amicales et pacifiques entre les nations et est susceptible de troubler la paix et la sécurité entre les peuples ainsi que la coexistence harmonieuse des personnes au sein d’un même État ».

Depuis quelques années, nous voyons pourtant se développer en France, sur les réseaux sociaux, dans les médias et les prises de paroles publiques des discours discriminatoires et racistes d’une rare violence.

Dès 2015, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU s’inquiétait la banalisation du discours haineux en France à l’égard des minorités, notamment des Roms. L’année suivante, le Conseil de l’Europe pointait du doigt la « banalisation » des discours racistes en France, notamment ceux émanant des responsables politiques.

En 2017, dans les premières semaines du quinquennat, le Parlement décidait de réagir en adoptant un amendement dans le projet de loi pour la confiance de la vie politique visant à étendre l’obligation pour les juridictions répressives de prononcer, sauf décision spécialement motivée, une peine complémentaire d’inéligibilité pour les délits d’injures ou de violences à caractère raciste, antisémite ou homophobe, d’apologie du terrorisme, de négationnisme ou de participation à des associations dissoutes.

S’agissant de peines automatiques, le Conseil constitutionnel avait jugé que cette disposition portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et l’avait donc déclarée inconstitutionnelle.

Tout en prenant acte de cette décision, les auteurs de cette proposition de résolution constatent cependant que, depuis 2017, la situation s’est encore dégradée. La banalisation du discours raciste prospère, notamment chez les responsables publics et politiques.

En juin 2019, le Comité directeur pour les droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a lui‑même fait le constat d’une progression du discours raciste en politique. Dans un nombre croissant de pays européens, les partis nationalistes et xénophobes exploitent les craintes des citoyens vis‑à‑vis de la question migratoire et contribuent de la sorte à nourrir l’intolérance et à dégrader les relations entre les membres de leurs communautés nationales, au risque d’affaiblir les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité

Au début de l’année 2020, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance tirait la sonnette d’alarme face à l’ultranationalisme, l’antisémitisme et la haine envers les musulmans en Europe.

Dans la lutte contre ces fléaux, les élus et responsables politiques ont une responsabilité particulière. Ils doivent faire preuve de fermeté et sanctionner la parole raciste quand elle émane de leurs rangs.

Trop nombreux sont ceux qui sont ou ont été condamnés par la justice et peuvent toutefois sans honte et sans entrave prétendre à un mandat électif. Peuvent‑ils valablement prétendre représenter le peuple français alors qu’ils ont été reconnus coupables de délits qui portent atteinte à l’unité de la Nation, qui menacent l’ordre public et les droits et libertés d’autrui ?

En héritiers du pas accompli dans le combat contre le racisme avec la loi « Gayssot », les auteurs de la présente proposition de résolution jugent inacceptable cet état de fait.

Si la liberté d’expression est l’une des libertés les plus précieuses en démocratie, elle ne saurait servir de paravent aux discours de haine, au risque de saper le pacte républicain au motif de la défendre.

C’est ce qu’en substance rappelle aussi l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : « Les États membres devraient faire preuve de plus de rigueur dans leur recours au système de justice pénale pour punir et dissuader les auteurs d’infractions racistes commises dans le cadre de la vie politique. Plutôt que d’étendre la liberté d’action des hommes et des femmes politiques et des partis, leur image publique, leur possibilité d’accéder aux médias et leur rôle de leader d’opinion devraient au contraire inciter les États membres à les soumettre à un contrôle plus minutieux que les autres individus ou groupes ».

Notre législation pénale nous empêche‑t‑elle de faire preuve de cette rigueur à l’encontre des personnages publics ou politiques ? Nous contraint‑elle à les laisser se présenter devant les électeurs ? Notre législation nous laisse‑t‑elle démunis face à ces délinquants souvent récidivistes ? Devons‑nous légiférer en prenant le risque d’une inconstitutionnalité pour non‑respect du principe de la proportionnalité des peines ?

Non ! Notre législation dispose de l’éventail approprié d’infractions et sanctions pleinement applicables.

L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit, en effet, dans son avant‑dernier alinéa une peine complémentaire d’inéligibilité pour les auteurs d’infractions racistes ou discriminantes. Sont visées les condamnations pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non‑appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Sont également visées les condamnations pour provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap ou auront provoqué, à l’égard des mêmes personnes, à des discriminations.

Pourquoi cette peine complémentaire est‑elle si peu appliquée ? Si nous ne sommes pas en mesure de connaître avec précision, le nombre de fois où cette peine complémentaire a été prononcée, force est de constater que les élus condamnés sur le fondement de l’article 24 ne sont que très rarement condamnés à une peine complémentaire d’inéligibilité.

Sans retirer au juge son pouvoir d’appréciation et son contrôle de la proportionnalité des peines, il est regrettable que notre politique pénale n’incite pas nos juridictions à faire preuve de la sévérité nécessaire à l’encontre des hommes et femmes politiques ou de celles et ceux qui sont parties prenantes du débat politique. Cette sévérité s’impose pourtant, dans la mesure où leur image publique, leur influence et leur statut leur imposent de faire preuve de responsabilité.

Les auteurs de cette proposition de résolution le regrettent d’autant plus s’agissant de personnes qui se présentent au suffrage des électeurs en s’affranchissant des valeurs républicaines.

C’est pourquoi les auteurs proposent à notre Assemblée d’adopter la présente proposition de résolution. Elle invite le Gouvernement, dans le cadre de sa responsabilité de conduite de la politique pénale, à préciser aux juridictions compétentes les conditions d’application de la loi à l’encontre de tout responsable politique ou de toute personne partie prenante du débat politique qui se rendrait coupable des délits visés à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, et d’examiner la possibilité de retenir la peine complémentaire d’inéligibilité prévue par ce même article si le délit s’avérait particulièrement odieux ou répété.

Dès l’adoption de cette proposition de résolution, il reviendra au garde des Sceaux, fort du soutien des représentants du peuple, de saisir les juridictions judiciaires pour faire connaître la détermination et la volonté politique du Gouvernement et de l’Assemblée nationale de combattre toutes déclarations politiques incitant à la violence ou la haine, en violation des lois de la République et des droits de l’homme universellement reconnus.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 1er de la Constitution,

Vu le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,

Vu les articles IV et X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,

Vu les articles 1 et 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme,

Vu la Charte des Nations unies,

Vu les articles 19 et 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Vu l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits l’homme et des libertés fondamentales,

Vu les articles 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Vu l’Observation générale n° 10 sur la liberté d’expression, actualisée par l’Observation générale n° 34452 et l’Observation générale n° 11 sur l’interdiction de la propagande en faveur de la guerre et des appels à la haine nationale, raciale ou religieuse élaborées par l’Organisation des Nations unies,

Vu les recommandations de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance,

Vu la recommandation n° R (97) 20 du Comité des ministres aux états membres sur le « discours de haine » du Conseil de l’Europe,

Vu le Guide des bonnes et prometteuses pratiques sur la manière de concilier la liberté d’expression avec d’autres droits et libertés, notamment dans les sociétés culturellement diverses, adopté par le Comité directeur pour les droits de l’homme lors de sa 91e réunion (18–21 juin 2019),

Vu l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881,

Vu la charte des droits et devoirs des citoyens français,

Considérant que la liberté d’expression revêt une importance cruciale pour le débat politique dans une société démocratique et pluraliste, et que l’Assemblée nationale défend la protection pleine et entière de cette liberté, tout comme celle de la liberté d’association et de réunion ;

Considérant que la démocratie est incomplète et la primauté du droit ineffective si les droits de l’Homme ne sont pas protégés également et universellement pour tous ;

Considérant que la prévention du racisme, de la xénophobie et de l’intolérance est un facteur d’intérêt public que les libertés d’expression et d’association ne peuvent compromettre à l’excès ;

Considérant également que ces droits et libertés peuvent être soumis à des limitations lorsqu’ils sont exercés de façon à causer, inciter, promouvoir, préconiser, encourager ou justifier le racisme, la xénophobie ou l’intolérance ;

Considérant que les article 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits l’homme et des libertés fondamentales imposent aux États de mettre en place des dispositions efficaces de lutte contre les violations des droits et libertés et de garantir la jouissance sans discrimination des droits et libertés protégés ;

Considérant le rôle clé que Gouvernement et l’Assemblée nationale doivent jouer pour combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et toutes les formes de discriminations ;

Considérant que les représentants politiques et les participants au débat public ont des responsabilités particulières inhérentes à la liberté d’expression ;

Considérant, comme la Cour européenne des droits de l’homme, qu’une condamnation ne porte pas atteinte au droit de la liberté d’expression si celle‑ci a été considérée comme nécessaire dans une société démocratique pour protéger la réputation et les droits des tiers ;

Considérant que les électeurs ont le droit de choisir leurs représentants, et que ce principe, ni isolé ni absolu, implique le respect de la primauté du droit et de la protection des droits l’homme et des libertés fondamentales contre toute forme de discrimination ;

Considérant que notre législation dispose de l’éventail approprié d’infractions et sanctions pleinement applicables pour empêcher une personne condamnée pour des propos incitant à la haine raciale ou à toute forme de discrimination de se présenter devant les électeurs ;

Considérant que toute peine prononcée par un juge se doit d’être équivalente à la gravité de l’infraction ;

Considérant que la peine complémentaire d’inéligibilité prévue par l’alinéa 11 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 n’est pas une peine automatique ;

Considérant que le garde des Sceaux est responsable de la conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement et qu’il lui appartient d’en préciser, par instructions générales, les grandes orientations pour assurer sa cohérence et son efficacité sur l’ensemble du territoire ;

Considérant le respect que l’Assemblée nationale porte au peuple français et de l’impérieuse nécessité de lui garantir un débat public digne et respectueux des lois de la République et des droits universellement reconnus ;

Invite le garde des Sceaux, dans le cadre de sa responsabilité de conduite de la politique pénale, à préciser aux juridictions compétentes les conditions d’application de la loi à l’encontre de tout responsable politique ou de toute personne partie prenante du débat politique qui se rendrait coupable des délits visés à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, et d’examiner la possibilité de retenir la peine complémentaire d’inéligibilité prévue par ce même article si le délit s’avérait particulièrement odieux ou répété.

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