Proposition de résolution visant à donner les moyens à l’institution scolaire de faire face à la crise sanitaire
présentée par Mesdames et Messieurs
André CHASSAIGNE, Elsa FAUCILLON, Moetai BROTHERSON, Alain BRUNEEL, Marie‑George BUFFET, Pierre DHARRÉVILLE, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Sébastien JUMEL, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Karine LEBON, Jean‑Paul LECOQ, Jean‑Philippe NILOR, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Gabriel SERVILLE, Hubert WULFRANC.
député.e.s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’heure est grave pour l’École de la République et pour celles et ceux qui la font vivre. Nous savons désormais de manière certaine que le confinement du printemps a produit des effets délétères sur le niveau d’apprentissage de nos enfants et qu’il a accentué, dans des proportions inquiétantes, les inégalités entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et ceux qui ne le sont pas. C’est ce qui ressort de l’évaluation conduite par le ministère de l’éducation nationale ([1]), publiée le lundi 9 novembre 2020, et des auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête, impulsée par le groupe GDR, pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid‑19 sur les enfants et la jeunesse.
Ce constat est également celui du corps enseignant et de l’ensemble de la communauté éducative, qui ne cessent, depuis des mois, de signaler et de déplorer les ravages provoqués par la crise sanitaire.
C’est pourquoi, conscients de la gravité de la situation, nos professeurs se battent depuis le 11 mai dernier, afin que nos écoles, nos collèges et nos lycées restent ouverts avec les moyens nécessaires au respect du protocole sanitaire. C’est pourquoi ils demandent instamment à ce que nos enfants et nos établissements soient protégés et soutenus pour faire face à la propagation du covid‑19. C’est pourquoi ils réclament de la part des pouvoirs publics une plus grande considération de la difficulté de leur métier, dans un moment où le terrible attentat commis au collège du Bois d’Aulne à Conflans‑Sainte‑Honorine est venu rappeler à chacune et à chacun que le temps est loin désormais où le métier de professeur pouvait être considéré comme le plus beau du monde.
Dans ce contexte dramatique, auquel s’est ajouté l’annonce d’un nouveau confinement dans lequel cette fois‑ci, il a été décidé que les établissements scolaires resteraient ouverts, la rentrée du 2 novembre était particulièrement attendue par les professeurs de notre pays. Elle devait être l’occasion pour eux de saluer dignement la mémoire de leur collègue disparu, Samuel Paty, tombé sous les coups de la barbarie. Elle devait être un moment de concorde nationale où chacun prenait conscience que l’École et nos enfants constituent le bien le plus précieux de notre République.
Mais elle ne l’a pas été.
La faute en revient principalement à un gouvernement et à un ministre, qui, une fois de plus, n’ont pas su trouver les mots et la méthode pour renouer le lien avec une communauté éducative à bout de souffle, se contentant, dans un premier temps, de rabougrir l’hommage prévu à Samuel Paty et d’égrainer un protocole sanitaire inopérant, car sans moyens, complètement en deçà des réalités du terrain. Il aura fallu toute la pugnacité et l’ingéniosité des élèves et des personnels pour que le ministre de l’éducation nationale entérine, contraint et forcé, le fonctionnement alterné dans les lycées.
Las de se battre contre une gestion ministérielle erratique et par tous les efforts consentis durant le premier confinement, au cours duquel ils ont fait preuve d’un professionnalisme et d’une créativité sans pareille pour maintenir leurs élèves dans le giron du savoir et de la connaissance, nos enseignants, mais aussi nos conseillers principaux d’éducation, nos assistants d’éducation, nos infirmières, les directeurs d’écoles, l’ensemble du personnel œuvrant dans nos établissements, les parents d’élèves et tous les élus locaux mobilisés, sont aujourd’hui de nouveau laissés seuls pour faire face à cette seconde vague du covid‑19 annoncée plus meurtrière que la première. L’urgence est réelle, car en dépit des atermoiements ministériels sur le sujet, nous savons désormais que nos établissements scolaires sont des lieux où le virus circule ([2]). Malgré cela, il serait inconcevable de fermer les portes de nos écoles, compte tenu des terribles inégalités engendrées lors du premier confinement, des conséquences psychologiques que le confinement provoque chez nos enfants et de l’importance que nous accordons à l’École dans la République.
C’est tout l’objet de cette proposition de résolution, qui se veut complémentaire du mouvement de grève amorcé le 10 novembre dernier par les syndicats de l’éducation. Pour que nos écoles, nos collèges et nos lycées gardent leurs portes ouvertes, des efforts sans précédent doivent être consentis pour gérer et combattre des impératifs et des inégalités provoqués par une crise sanitaire dont nous savons aujourd’hui qu’elle constituera notre quotidien pour de longs mois encore.
Des mesures immédiates sont à mettre en place pour garantir la sécurité sanitaire dans nos établissements
Pour garantir la sécurité sanitaire des élèves et du personnel éducatif, il est impératif de généraliser, lorsque cela est nécessaire, le fonctionnement en demi‑groupe dans les lycées et les collèges, afin de limiter le nombre d’élèves en classe et le brassage dans les établissements et à la cantine. Il faut pour cela constituer des emplois du temps adaptés, permettant aux élèves de se rendre en classe soit le matin ou l’après‑midi, ou un jour sur deux, comme cela est en train de se faire localement dans certains lycées et tel que cela avait été imaginé par le ministère de l’éducation nationale au mois de juillet dernier.
Pour que nos écoles soient elles aussi protégées, nous demandons à l’État et à plus forte raison aux collectivités locales de mettre à disposition des locaux, des salles ou autres gymnases, afin de permettre de baisser les effectifs dans les établissements et de limiter les brassages dans les cantines.
Parallèlement à cette réorganisation, les auteurs de cette proposition de résolution demandent le déploiement massif de purificateurs d’air dans nos établissements. Ces purificateurs d’air font actuellement preuve de leur efficacité en Allemagne, où les autorités publiques ont décidé de faire de la ventilation l’une des armes principales contre la propagation du virus. Cette question est aujourd’hui centrale, singulièrement en France, où nombre de professeurs déplorent quotidiennement l’impossibilité d’ouvrir les fenêtres de leur salle de classe.
Des moyens sans précédent doivent être consentis pour faire face à la crise
S’il est aisé de proclamer, à raison, que l’École constitue le bien le plus précieux de notre République, encore faut‑il joindre les actes à la parole. La question des moyens accordés à l’institution scolaire est en cela absolument déterminante et décisive pour faire face à la crise sanitaire.
Dès lors, il convient, en urgence, de recruter des enseignants pour s’assurer du respect du protocole sanitaire, pour permettre le remplacement de tous les professeurs absents, pour améliorer l’apprentissage et le suivi des élèves, qu’ils soient en salle ou à domicile, mais aussi et surtout, pour donner de la consistance au plan de continuité pédagogique, réactivé dans le cadre du fonctionnement alterné. C’est sur ce point que notre attention doit être portée, puisque, selon le ministère de l’éducation nationale, entre 5 et 8 % des élèves auraient rompu tout lien avec l’école durant le premier confinement, ce qui est absolument dramatique.
Non seulement souhaitable, ce recrutement est possible, en procédant dès à présent à la titularisation de tous les inscrits sur listes supplémentaires, en rappelant les professeurs contractuels ayant exercé lors des années précédentes et en mobilisant toutes les bonnes volontés. Ce recrutement a vocation à se justifier dans le temps : d’abord pour pallier les suppressions de postes passés ; ensuite pour venir épauler tous les enseignants aujourd’hui mobilisés pour faire vivre l’institution scolaire dans le contexte de la crise sanitaire ; demain, enfin, pour pérenniser le fonctionnement en demi‑groupe, seul à même de favoriser un apprentissage de qualité.
Cette proposition de recrutement est également de mise pour les assistants d’éducation et les agents territoriaux, indispensables au respect et à la mise en œuvre du nettoyage préconisé dans le cadre du nouveau protocole sanitaire. Or nous savons aujourd’hui que leur nombre est insuffisant et qu’il diminue de jour en jour, la faute à une exposition trop directe au virus et à l’insuffisance de l’équipement mis à leur disposition.
Enfin, des moyens supplémentaires doivent être consentis pour combattre la fracture numérique, qui se manifeste tant au niveau territorial (15 % des Français n’ont pas accès à Internet) que par l’insuffisance des équipements informatiques à disposition des élèves et des enseignants. Ces derniers ont parfois dû utiliser leurs ordinateurs personnels tandis que des fratries se partageaient la même tablette. Il faut donc, à tout le moins, garantir l’accès à internet et à un ordinateur à chaque écolier, collégien et lycéen de notre pays qui s’en trouvent démunis. Quant aux professeurs, la prime annuelle de 150 euros (soit 12,50 euros nets par mois) qui s’apprête à être délivrée par le ministère de l’éducation nationale nous apparaît bien insuffisante au regard des prix du matériel informatique nécessaire à l’exercice de leur métier.
Ce plan n’a rien d’utopique. Il est finançable, à condition toutefois que la puissance publique considère que le sort de nos enfants constitue une priorité. C’est ce qui s’est passé en Italie, où tout récemment encore, le Gouvernement et les parlementaires transalpins ont prévu dans leur projet de loi de finances rectificatif d’un montant de 39 milliards d’euros ([3]) que 1,2 milliard soit dédié à l’embauche de 25 000 enseignants supplémentaires. Nous devons nous aussi intégrer cette dimension à notre propre plan de relance. Nous soutenons pour cela le Président de la République qui a fait savoir dernièrement qu’il souhaitait renégocier le plan de relance européen, le jugeant insuffisamment doté pour faire face à la seconde vague ([4]). Nous considérons qu’il y aurait ici matière à obtenir les moyens nécessaires au financement des préconisations que nous portons. Notre École en a besoin.
L’indispensable redéfinition des programmes scolaires
En juillet dernier, les principales organisations syndicales avaient demandé à ce que les programmes scolaires soient redéfinis pour la rentrée 2020. Partant du constat que la continuité pédagogique avait été très disparate selon les classes et les foyers familiaux, selon les milieux sociaux et les lieux d’habitations, enseignants et parents avaient craint que des savoirs fondamentaux ne soient pas maitrisés pour cette année scolaire. Hélas, cette peur était fondée et beaucoup de professeurs nous alertent actuellement sur les différences de niveau très importantes qui peuvent exister au sein d’une même classe.
Cette tendance risque de s’accentuer à l’aune du fonctionnement alterné, où les élèves seront moitié moins présents, ce qui de fait va rendre impossible la bonne exécution des programmes scolaires initialement fixés. Voilà pourquoi les auteurs de cette proposition de résolution préconisent que le Conseil supérieur des programmes se saisisse dès à présent de cette question et imagine pour cette année scolaire et les années à venir, de nouveaux programmes scolaires, compatibles avec nos exigences académiques, tout en tenant compte des conséquences engendrées par le premier confinement. Il faudra pour ce faire envisager la recomposition de ce Conseil, maintes et maintes fois critiqué depuis 2018, en garantissant l’indépendance de ses membres et en élargissant le spectre de ses compétences.
Au quotidien, notre système éducatif conjugue trop souvent inégalités sociales et inégalités scolaires et nous savons désormais que les contingences liées à cette crise sanitaire accentuent le phénomène. Si rien n’est fait pour protéger nos enfants et notre institution scolaire, toute la société s’en trouvera perdue. Tel est l’objet de cette proposition de résolution, qui vise à soutenir et à faire confiance à l’ensemble de la communauté éducative, pleinement mobilisée pour faire face à la crise sanitaire. Dans les temps troublés que nous traversons, nous devons faire bloc autour de notre École et de nos enseignants, dont Victor Hugo disait avec justesse qu’ils sont « des jardiniers en intelligences humaines. »
PROPOSITION DE RESOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009‑403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34‑1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu les lois du 28 mars 1882, du 9 août 1936, du 26 juillet 2019 ainsi que l’ordonnance n° 59‑45 du 6 janvier 1959 relative à l’instruction obligatoire,
Vu l’article L. 111‑1 du code de l’éducation,
Considérant l’accroissement des inégalités scolaires pendant la période de confinement liée à la crise du covid‑19 ;
Considérant les retards et les lacunes accumulés dans les apprentissages des élèves du fait d’une année scolaire 2019‑2020 écourtée ;
Considérant le nombre d’élèves décrocheurs durant le confinement et les proportions inquiétantes de ce phénomène dans certains territoires et certaines filières ;
Considérant que l’égalité des chances est une valeur de la République ;
Considérant d’une part que l’instruction obligatoire est constitutive de la République et d’autre part que ce principe a été constamment renforcé ;
Considérant que le ministère de l’éducation nationale doit assurer la sécurité sanitaire de son personnel ;
Invite le Gouvernement à mettre à la disposition de tous les usagers des établissements scolaires les moyens de protection sanitaire recommandés par le Conseil scientifique.
Invite le Gouvernement à autoriser et favoriser le fonctionnement alterné dans les lycées et les collèges.
Invite le Gouvernement à poursuivre le dédoublement des classes par le recensement et la mise à disposition de nouveaux locaux.
Incite le Gouvernement à demander aux collectivités territoriales la mise à disposition de nouveaux locaux.
Invite le Gouvernement à déployer des purificateurs d’air dans tous les établissements scolaires.
Invite le Gouvernement à procéder au recrutement de tous les inscrits sur listes supplémentaires et à rappeler les professeurs contractuels ayant exercé lors des années précédentes.
Invite le Gouvernement à permettre le recrutement de nouveaux assistants d’éducation.
Invite le Gouvernement à procéder au recrutement d’accompagnants d’élèves en situation de handicap.
Invite le Gouvernement à doter les collectivités territoriales de moyens supplémentaires pour que celles‑ci procèdent au recrutement d’agents territoriaux.
Invite le Gouvernement à renforcer, dans le cadre du service public de l’éducation, l’équipement numérique des élèves, des enseignants, mais aussi des établissements.
Invite le Gouvernement à consacrer une part de son plan de relance au recrutement de ces personnels.
Invite le Gouvernement à renouveler la composition du Conseil supérieur des programmes et de garantir l’indépendance de ses membres.
Invite le Gouvernement à charger le Conseil supérieur des programmes de construire de nouveaux programmes scolaires, pour cette année et celles à venir, à la hauteur des nouveaux enjeux éducatifs issus de la crise.
([4]) https://www.lefigaro.fr/conjoncture/relance-macron-veut-revoir-le-plan-de-l-ue-20201030.