Interventions

Motions de censure

Motion de censure Art 49-2

Demander la censure du Gouvernement pourrait n’être qu’une énième action engagée à l’encontre de la politique de l’exécutif. Toutefois, cette motion de censure est bien plus que l’expression d’un désaccord. Elle est désormais la seule possibilité qui nous est offerte par une Constitution au service quasi exclusif du pouvoir exécutif pour tenter de mettre un terme à l’autoritarisme de votre pouvoir.

Le jeudi 8 juin, démonstration a été faite par quelques piètres amendements que la fameuse séparation des pouvoirs n’est qu’une fiction sur laquelle repose la Ve République. Consacrée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle a reçu la plus magistrale des baffes, administrée par la présidente même de l’Assemblée nationale aux représentants du peuple et donc aux Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et sur quelques bancs du groupe SOC.)

Dans le registre des précédents de notre assemblée sera désormais inscrit à la page consacrée aux procédures destinées à étouffer les initiatives des oppositions ce jeudi noir pour notre démocratie.

Un parlementarisme toujours plus dévitalisé au fil des réformes de notre constitution avait déjà mis à mal cette séparation des pouvoirs. Celle-ci est pourtant un instrument de limitation de l’arbitraire. Citons quelques dates clefs de cette dérive structurelle : élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962, instauration du quinquennat en 2000 et inversion du calendrier électoral en 2001. Les artisans de ces réformes n’ont certainement pas imaginé que cette Constitution serait un jour au service d’un président qui serait à la fois Jupiter et « maître des horloges » et qui illustrerait de manière caricaturale la logique présidentialiste. Peu vous importe toutefois puisqu’Emmanuel Macron est votre unique mentor.

Vous êtes-vous posé cette simple question : qu’en serait-il demain si les règles que nous validons pour le fonctionnement de notre assemblée pouvaient être appliquées par un pouvoir intrinsèquement autoritaire ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)

Nous savions que le coup fatal porté au pouvoir législatif viendrait du camp de la majorité. La réforme constitutionnelle lancée par l’exécutif lors de la précédente législature, heureusement avortée, en portait tous les stigmates. Une autre est en préparation, nous dit-on. Nous devons ici avouer que nous sommes encore abasourdis par le fait que ce coup ait pu être asséné par la présidente même de notre institution. (Mme Clémence Guetté applaudit.)

Ne tentez pas de feindre ou de nous faire croire qu’il s’agissait d’une simple affaire de recevabilité d’amendements. Nous le savons, vous le savez, le peuple français le sait : ce qui s’est joué ce jeudi noir et les jours précédents, c’est une mise à mort en règle du Parlement législateur qui s’est vu retirer l’une des dernières facultés, le droit d’initiative parlementaire des oppositions et des groupes minoritaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et SOC.)

En écartant, dans le cadre d’une niche parlementaire, des amendements reprenant une disposition déclarée deux fois recevable, vous avez réduit, madame la présidente, avec le soutien des groupes de votre majorité et sur commande de l’exécutif, notre parlement au silence législatif. C’est un acte d’antiparlementarisme pur !
C’est aussi une première dans l’histoire de la Ve République : une condamnation à l’impuissance législative prononcée par la présidente de l’Assemblée nationale elle-même !

Et tout ça pour quoi ? Parce que le Gouvernement n’était pas prêt à subir le camouflet d’un vote de notre assemblée sur la réforme des retraites. Le report de l’âge légal à 64 ans, le peuple n’en voulait pas et il n’en veut toujours pas et ses représentants dans cette assemblée sont une majorité à ne pas en vouloir. C’est un fait et les faits sont têtus ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Un fait insupportable pour un président qui veut décider de tout, tout seul.

Tous les articles de notre Constitution ont été utilisés pour empêcher ce vote, avec succès.

Est-ce pour autant un succès pour notre démocratie, mes chers collègues ? Est-ce un succès que cette réforme des retraites qui affecte violemment les plus fragiles d’entre nous ne soit pas soumise au vote ? Est-ce une victoire que cette réforme qui obligera les Français à travailler plus longtemps, jusqu’à 64 ans, 65 ans, soit imposée par le 49.3 ? Êtes-vous fiers ou tout simplement lâchement soulagés d’avoir empêché à tout prix le moindre vote des représentants du peuple sur le droit à une retraite juste que des millions de Français considèrent comme un droit inaliénable ? Vous sentez-vous altiers après avoir contourné l’obstacle quand les Françaises et les Français ont défilé pendant des mois, par millions, dans la dignité de leur colère ?

Cette motion de censure vous offre la possibilité, chers collègues, d’un dernier sursaut ; saisissez-la !

Refusez que votre capacité d’action, celle pour laquelle vous avez été élus, soit réduite à peau de chagrin.

Refusez la confiscation par l’exécutif du pouvoir législatif. La présidente de l’Assemblée nationale, nous le constatons avec stupeur, a cédé à la pression du Président de la République et du Gouvernement. Refusons d’y consentir et de cautionner cette capitulation. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.) Refusons, au nom de notre responsabilité envers nos électrices et nos électeurs et envers l’ensemble du peuple français, d’être exclus de l’initiative législative.

Nous devons conserver nos capacités d’agir pour proposer et voter des lois qui défendent l’intérêt général et non pas celui des plus riches, des plus puissants ou des plus proches du pouvoir qui, eux, disposent déjà de représentants dans toutes les autres sphères du pouvoir. (M. Sébastien Jumel et M. Jean-Paul Lecoq acquiescent.) Ils n’ont pas besoin de battre le pavé pour faire entendre leurs voix.

Par le vote de la motion de censure, montrez-leur que vous avez enfin compris – vous également, membres de la majorité, qui êtes si peu nombreux cet après-midi –, le message qu’ils vous ont envoyé en juin 2022 en refusant d’accorder au Président de la République un pouvoir sans partage.

Lors des élections législatives de 2022, les Français ont voulu mettre un terme à ce régime de cumul et de confusion des pouvoirs, concentrés à l’extrême à l’Élysée (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES), en ne désignant qu’une majorité toute relative en soutien à Emmanuel Macron.

Ils ont clairement exprimé leur refus de l’hyperprésidentialisme qui asphyxie notre démocratie. Leur volonté était claire : rééquilibrer et séparer les pouvoirs. Par conséquent, censurons dès aujourd’hui le Gouvernement, pour que plus jamais notre assemblée ne soit censurée ! Vous nous avez remerciés, madame la Première ministre ; merci à vous de nous laisser disposer de cet ultime choix, au moment où votre prétendue victoire, une victoire à la Pyrrhus, signe la dissolution définitive du macronisme. (Les députés des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES se lèvent et applaudissent.)

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