Interventions

Motions de censure

Votre proposition, ce n’est pas le compromis, c’est la continuation dans la confusion

Bien sûr, il se doutait qu’il ne parviendrait pas à rallier ce jour-là une majorité à sa cause, il avait dû se dire que cela servirait plus tard ; et, armé de cette conviction, il avait écrit son discours. » Ainsi Éric Vuillard raconte-t-il une séance à l’Assemblée nationale.
Mon discours pourtant ne renonce à rien. Il s’adresse à chacune et chacun d’entre vous qui exercez cette responsabilité singulière, à votre liberté de conscience. Il entend résonner bien au-delà de cet hémicycle. Je suis là pour ébranler, si possible, les certitudes et les habitudes, pour rendre justice à celles et à ceux qui m’ont envoyé, qui nous ont envoyés sur ces bancs, pour changer de cap dès que possible. Je suis là, en fin de compte, parce que « vous avez un peu trop pris la confiance », comme on dit chez moi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
Le 16 mai dernier, madame la Première ministre, vous avez tweeté : « Merci à Emmanuel Macron de sa confiance et de l’honneur qu’il me fait en me nommant Première ministre. » Quelques jours plus tard, vous vous êtes présentée avec votre gouvernement devant la représentation nationale, de façon un peu cavalière, sans nous demander notre confiance, laissant penser qu’elle allait naturellement de soi.
Afin de faire respecter le Parlement, nous n’avions par conséquent pas d’autre choix, avec nos alliés de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale, que de déposer cette motion de censure. Vous en conviendrez, madame la Première ministre, nous ne pouvons pas commencer cette législature sur un malentendu. Il faut que se manifeste ici votre semblant, ou faux-semblant, de légitimité. Puisque vous ne l’avez pas fait, il nous revient d’engager votre responsabilité et la nôtre. Il s’agit donc d’un acte de clarification. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

En ce qui nous concerne, nous n’avons pas été élus pour appliquer le programme d’Emmanuel Macron, mais au contraire pour combattre les choix libéraux qui abîment le pays. Or la stratégie du compromis que vous avez définie, si on écoute attentivement votre discours de politique générale, a pour unique matrice la feuille de route présidentielle. Je vous cite : « Nous nous inscrirons dans le cadre défini par le Président de la République et agirons selon les valeurs qu’il porte. » Vous demandez des compromis et vous affichez un plan sans concessions !

Vous mettez par exemple sur la table une attaque frontale contre le droit à la retraite dont une majorité ne veut pas. Vous ne tirez pas les leçons de la séquence électorale. Vous n’écoutez pas le pays. Nous vivons dans un pays qui va mal, un pays en colère où grandissent des pulsions dangereuses. Il y a une forte odeur de brûlé.
Dans son dernier album, Florent Marchet dit combien il se sent étranger à la montée des idées d’extrême droite qu’il compare à un incendie – son intensité a d’ailleurs, à la faveur de ce quinquennat, été multiplié par dix. Si on l’écoute bien, le choix est simple : l’éclaircie ou l’incendie. Il faut, madame la Première ministre, faire le choix de l’éclaircie et, pour cela, il faut changer de politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.) Or nous avons le sentiment que vous faites semblant, que vous bluffez – ce n’est pas nouveau, mais cela ne trompe personne. Vous confortez, avec vos choix, la domination des puissances d’argent. Ainsi se nourrit le drame qui nous guette.
Vous êtes en train de céder à une tentation dangereuse. Vous essayez, d’une certaine manière, un coup de poker qui consiste à faire de votre faiblesse un argument pour rejeter la responsabilité de vos échecs sur les autres. Vous inversez les rôles. En réalité, vous voulez continuer d’expliquer qu’il n’y a pas de droite et pas de gauche, mais simplement la macronie éclairée, avec sa politique de droite ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.) Votre vertige est le résultat de la contradiction que vous prétendez abolir entre la droite et la gauche, entre les forces possédantes et le monde du travail au profit des premières.
Vous voulez continuer à expliquer qu’il n’existe que des décisions incontournables quand il s’agit de choix politiques. Je vous cite à nouveau : « Je crois fermement au dépassement entamé il y a cinq ans par le Président de la République. » Par la force des choses, vous entendez poursuivre votre action sous une forme différente, au coup par coup, au cas par cas. Ainsi, bien souvent, vous irez chercher à droite le consentement qui vous permettra de continuer votre chemin. Vous en avez d’ailleurs fait la promesse devant le Sénat, estimant que vous partagez avec sa majorité « bon nombre de priorités et même, sans aucun doute, de solutions ». Et, de temps en temps, vous nous présenterez une mesurette acceptable que vous nous demanderez de voter pour faire bonne mesure, bon poids, donner bonne conscience.
Votre proposition, ce n’est pas le compromis, c’est la continuation dans la confusion, c’est la mystification, l’enfumage.

Vous serez jugée sur vos actes. Comme nous l’avons toujours fait, nous soutiendrons ce qui nous semble aller dans la bonne direction mais nous ne vous aiderons pas à mettre en œuvre votre projet. Nous agirons dans l’intérêt général, nous ferons grandir des idées. Vous n’avez fait aucun geste hormis la promesse de déconjugaliser l’AAH, mesure inéluctable tant elle fait consensus au sein de la société. C’était d’ailleurs presque émouvant d’observer la majorité applaudir cette annonce, toute honte bue, après l’avoir tant de fois repoussée. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Vous devez revoir vos ambitions, madame la Première ministre : vous n’en avez pas les moyens. Vous devez adopter les mesures permettant de vivre bien et arrêter vos grandes réformes régressives de remastérisation libérale, qu’il s’agisse du droit à la retraite, de Pôle emploi, d’EDF ou encore de l’AAH. Vous devez tenir compte de votre affaiblissement. Il est de votre responsabilité de redéfinir un autre centre de gravité pour la politique de la nation, de renoncer à des projets qui ne passent pas. Saisissez la chance de revitaliser la place du Parlement et de la démocratie. N’essayez pas de faire malgré tout ce pour quoi vous n’avez pas de majorité.
L’extrême droite prétend représenter la seule opposition à Macron et voudrait manifestement être votre premier partenaire. Je vous le dis depuis le siège qui est le mien, celui de Gabriel Péri : pourvu que jamais ne soit servi à l’extrême droite ce qu’elle est venue chercher, les apparences de la respectabilité pour son funeste projet de société ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)
Pour le groupe Gauche démocrate et républicaine, pour ses députés communistes et ses députés d’outre-mer, c’est une motion de gauche. C’est une motion qui appelle d’autres pistes, qui propose une alternative. C’est une motion pour l’urgence de progrès sociaux, écologiques et démocratiques. C’est une motion qui vous appelle à des inflexions claires, non pas dans le but d’obtenir nos suffrages, mais afin de prendre en compte les points de vue qui ont part à la volonté populaire que nous représentons ici.
Vous continuez à contourner le salaire, à remettre en cause le principe de la cotisation sociale, à affaiblir la sécurité sociale, à proposer des augmentations de pouvoir d’achat qui sont en réalité autofinancées par leurs bénéficiaires. Vous renoncez à des ressources nécessaires, à la justice fiscale, à des investissements indispensables, par exemple dans la rénovation thermique des logements ou dans le développement des chemins de fer, et vous annoncez le retour de l’austérité budgétaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES. – M. Olivier Faure applaudit également.) Votre politique fiscale se fera au profit des actionnaires et des plus fortunés, au détriment du plus grand nombre et des services publics. Ainsi, l’audiovisuel public, désigné par le Président comme la honte de la République, est dans le viseur, et l’éducation nationale, maltraitée pendant cinq ans, traverse une crise qui ressemble furieusement à celle de l’hôpital public. Quant aux mesures que vous envisagez pour l’hôpital public, elles ne sont qu’un cautère sur une jambe de bois.
Vous annoncez un nouveau durcissement de la politique d’hospitalité. Ainsi, vous avez beau vanter les mérites de la République, les actes ne suivent pas pour lui permettre d’être au rendez-vous de sa promesse dans nos villes, nos villages, nos quartiers, sur le continent et dans les territoires d’outre-mer où l’on a le ferme sentiment d’être dans un lieu de seconde zone. (Mme Karine Lebon applaudit.)
Plutôt que l’effilochage des droits, plutôt que le recours à la chance, mettez au cœur de l’action publique la lutte résolue contre les inégalités et pour le respect de l’humain ; placez la question du climat au centre – la sécheresse gagne. Vous ne le ferez pas sans vous attaquer aux puissances d’argent, à la loi de l’argent. Ayez enfin ce courage plutôt que de vous placer du côté des patrons, d’Uber, de McKinsey et consorts ! Au lieu de favoriser la santé des actionnaires, agissez en faveur de la jeunesse tant malmenée ces dernières années.
Vous avez dit vouloir faire du travail « un levier d’émancipation », vous qui, avec le Président, avez défendu et conforté le modèle économique et social de travail low-cost d’Uber. Vous avez pourtant contribué à précariser, dans le public comme dans le privé, vous avez attaqué le code du travail, abîmé le droit à l’assurance-chômage. Le mal-emploi et le mal-travail sont en progression constante dans notre pays sous le coups d’injonctions à la compétitivité et à la réduction du prétendu coût du travail. Au lieu de vous payer de mots, arrêtez la casse, attaquez-vous à la précarité, occupez-vous des métiers, exercés majoritairement par des femmes, qui sont si mal reconnus.

Je reviens à Éric Vuillard : « Il releva la tête. Regarda l’hémicycle. À ce moment, son grand visage s’écarquilla. Et il sembla que l’expression " élu du peuple " voulait parfois dire quelque chose. » Chaque fois que je monte à cette tribune, telle est ma seule intention.
C’est donc au nom des espoirs de celles et de ceux qui nous ont envoyés en ces lieux, afin de les défendre d’emblée et parce que vous-même semblez les ignorer, que les députés communistes et des territoires outre-mer du groupe Gauche démocrate et républicaine voteront la censure. (Les députés des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES se lèvent et applaudissent.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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