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Motions de censure

Motion de censure PLFRSS pour 2023 - CMP

Une colère. Pas un coup de colère, encore moins une vague désapprobation : une profonde colère. Quelque chose de l’ordre de la révolte, même. Le refus sans appel de la régression sociale. Le refus de se voir voler deux de ses meilleures années de retraite. Le sentiment de ne jamais pouvoir être entendu. Le sentiment d’être pris pour des imbéciles. Le sentiment de ne pas être respecté. L’idée que ça suffit, tout simplement.

« On ne méprise que les gens qui font des choses méprisables », a écrit Alberto Moravia. Pour mériter tant de mépris, qu’ont fait les ouvriers, les employés, les privés d’emploi ? Qu’ont fait les organisations syndicales, qu’ont fait ceux qui manifestent ? Qu’a fait notre peuple pour mériter tant de mépris ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES, ainsi que sur les bancs des groupes LFI-NUPES et SOC.) Car c’est ainsi que sont perçus votre politique, votre entêtement, vos discours, vos justifications toujours plus embrouillées ; c’est ainsi qu’a été vécu le 49.3 infligé, au-delà de cette assemblée, au pays tout entier.

Je suis monté à la tribune tremblant de cette colère, de cette résistance épidermique au mépris, de cet attachement viscéral à la dignité humaine – la dignité, c’est bien cela qui est en jeu. Voilà ce qu’on m’a demandé de vous dire, ces derniers jours, dans les villes, dans les quartiers, sur les marchés. Hier soir, le Président a exprimé le souhait que le projet de loi aille « au bout de son cheminement démocratique ». Il faut arrêter de se moquer du monde.

Je vous le dis comme je le pense, avec respect, car je n’éprouve aucun mépris, mais également avec colère, combativité et franchise (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES) : je me demande comment vous pouvez être encore là, à défendre votre réforme illégitime, scélérate, qui n’a pas de majorité en sa faveur dans cette assemblée, encore moins dans le pays. Si vous croyez que vous pourrez vous en tirer comme ça, que c’est un mauvais moment à passer, que tout cela sera bientôt oublié, vous vous trompez lourdement. Vous n’êtes pas confrontés à un caprice d’enfant à la caisse du supermarché. Votre projet est grillé. Vous avez perdu la bataille des retraites ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, Écolo-NUPES et LIOT, ainsi que sur les bancs des groupes LFI-NUPES et SOC.)

Je ne vous répéterai même pas à quel point votre projet est scandaleux, injuste, injustifiable, inégalitaire, régressif, attentatoire au monde du travail – et doucereux pour le monde de la finance. Je ne vous répéterai même pas à quel point nous sommes attachés à ce droit à une nouvelle étape de la vie, donc opposés à votre projet de société centré sur le profit, sur la personne humaine compétitive, rentable, réduite à produire et à consommer : vous voulez faire de nous des hamsters qui actionnent leur roue, rongent leur vie et leur planète.

Je ne vous répéterai même pas combien vos opérations de publicité mensongère ont été ridicules, ni que votre diagnostic a été percé à jour, que tout le monde a bien compris quelle était votre volonté : affaiblir le droit solidaire à la retraite par répartition. Un tel changement ne peut s’accomplir sans avoir été consenti.

La seule chose à dire, c’est que cette réforme, quoi qu’on en pense, doit être retirée d’une manière ou d’une autre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Vous avez perdu à chaque étape, à chaque étape vous êtes passés outre. Ce n’est pas faute de vous avoir alertés, appelés à la raison, à la lucidité, à la responsabilité. Vous auriez pu faire de cette épreuve l’occasion de réparer, de rassembler, d’apaiser, de révéler la grandeur de la démocratie et de la République. Eh bien, non, vous avez choisi de placer des engagements comptables au-dessus de la volonté populaire, les intérêts de la finance au-dessus du bien-être social, du respect du travail, du droit mérité à la retraite.

Emmanuel Macron avait promis cette réforme ? La belle affaire ! Nul ne lui a confié les prérogatives d’un monarque absolu. Votre responsabilité ne consiste pas à ignorer les limites. Vous n’exercez le pouvoir qu’au nom du peuple : c’est avec lui que vous devez gouverner, non contre lui. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) De quel pays prétendez-vous être à la tête ? Comprenez-vous ce qui est en train de se passer ? Cette crise politique gravissime appelle tout autre chose qu’une attitude autoritaire, suffisante, paternaliste. Cessez de nous dire que vous agissez pour notre bien, c’est insupportable ! Ne faites pas le pari du pourrissement et de la répression.

Plutôt que d’entraîner le pays dans cette régression sociale, dans cette tension, dans cette crise, vous auriez pu créer des dynamiques pour vous attaquer avec beaucoup plus de force aux effets de la vie chère, à la faiblesse des salaires, à l’urgence culturelle, au malaise démocratique, à l’affaiblissement de la fonction publique, au défi climatique, aux drames de la guerre. Vous avez tant sacrifié pour mener à terme votre mauvaise réforme. Et les projets que vous annoncez nous inquiètent au plus haut point, parce que vous voulez continuer dans la même veine à « remastériser » la France, en effaçant le meilleur de son histoire pour imposer les canons du néolibéralisme qui défait la République et son pacte social. Où donc emmenez-vous ainsi le pays ?
Vous pouvez toujours pointer les responsabilités des autres, la vôtre est écrasante. Nous avons entendu vos petites manipulations pour vous rattraper aux branches : cette motion tiendrait lieu de vote sur le texte. Ce vote, vous en avez privé notre assemblée parce que vous alliez le perdre.

Vous avez perdu. Cette motion renverrait ce texte d’où il n’aurait jamais dû sortir, mais désormais la question va au-delà. La gravité de la situation provoquée par vos choix vous place dans l’incapacité de continuer à conduire la politique de la nation.

Par-delà les mesures elles-mêmes, chacune et chacun sait bien ici que ça ne peut pas continuer comme ça. Ne vous racontez pas d’histoires, ne cherchez pas d’excuses ou de justifications. Libérons ce gouvernement de ses responsabilités ; c’est notre responsabilité de parlementaires ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.) C’est notre responsabilité de lui demander de partir avec sa réforme sous le bras. Ne pas le faire, c’est d’abord accepter que cette mauvaise réforme demeure à l’ordre du jour. Ces deux ans de plus, voulez-vous les imposer ? Ne pas le faire, c’est aussi approfondir la crise démocratique et la crise institutionnelle, la crise de la République. Mesurez la fracture, mesurez la blessure, mesurez les effets. C’est la confiance dans la République et dans la démocratie qui est fragilisée.

Si les institutions de la Ve République à bout de souffle méritent d’être refondées pour nous permettre de mieux décider ensemble, au regard des exigences de notre temps, nous devons faire la démonstration que la volonté populaire peut se frayer un chemin. Nous devons faire la démonstration que le Parlement écoute et agit. Nous devons faire la démonstration que la démocratie n’est pas une pétition de principe. C’est bien cela qui est en jeu, au-delà même des retraites, au-delà même du sort d’un gouvernement.

Nous saluons l’action résolue, rassembleuse et prometteuse des syndicats, celle des militantes et militants engagés dans l’action collective au sein de leurs entreprises alors que depuis tant d’années les forces dominantes s’efforcent de les marginaliser, de mépriser leurs revendications, de limiter leur pouvoir et essayent de décourager les femmes et les hommes de se mobiliser et d’espérer. C’est avec eux, avec elles que se joue la victoire. Les mobilisations populaires ont provoqué, conquis, accompagné les plus belles avancées sociales et démocratiques. Notre assemblée doit trouver des issues, tracer des perspectives. Et il faut pour cela faire des gestes. Quels gestes d’apaisement, de respect ou de compréhension ont été faits par l’exécutif ces derniers jours ? Aucun.

Le sens de notre motion est clair. Elle veut porter l’espoir d’améliorer le droit à la retraite, pas de le réduire. Elle veut porter l’espoir d’une alternative politique heureuse. Elle veut battre en brèche les projets dangereux, antiégalitaires et antifraternels de l’extrême droite, qui ne comportent aucune solution pour nos retraites. Notre motion veut mettre un grand coup de frein à la frénésie des politiques libérales et de la loi de l’argent. Elle appelle à mettre à l’ordre du jour les belles choses qui sont dans les têtes et dans les cœurs. Aux ouvriers des ports, de la sidérurgie, de la pétrochimie ou des champs, aux employés de la SNCF ou d’EDF, aux caissières, aux agents territoriaux, aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), aux accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), aux enseignantes et aux enseignants, aux aides-soignantes, aux infirmières (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES) , aux artisans et commerçants , à celles et ceux qui exercent des métiers pénibles, mal reconnus, à celles et ceux qui se battent pour la justice, qui défendent un vrai droit à la retraite partagée, un travail qui prenne tout son sens et pas toute la place et où l’on s’épanouisse, à ces femmes et à ces hommes, à cette jeunesse pleine d’espoir, nous disons que rien n’est fini et que nous avons le droit de continuer à rêver plus fort et plus haut.

Et si le vote de cette motion devait décevoir, nous disposons encore d’outils pour nous faire entendre. Nous avons déposé un recours et une proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) qui devra être validée pour montrer que nos institutions ne sont pas complètement inopérantes face à une telle crise démocratique.

Nous irons partout débattre et chercher les signatures par millions pour imposer une sanction démocratique à cette réforme. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES. – M. Philippe Brun applaudit également.) La bataille se poursuit avec les mobilisations sociales, notamment avec la grande journée de jeudi prochain.

C’est contre cette réforme, pour que vive le droit à la retraite, pour le respect de la volonté populaire, pour sortir de la crise et au nom de la République que les députés communistes et ultramarins du groupe Gauche démocrate et républicaine sont actrices et acteurs d’une motion de censure ! ( « Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES, dont les députés se lèvent, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LIOT. – M. Jean-Louis Bricout se lève également.)

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