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Motions de censure

Motion de censure PLF 2023 - Lect déf

49.3, re-49.3, et dix de der ! Quelle tristesse, quelle désolation, de voir ainsi l’Assemblée nationale piétinée, humiliée – car ici, mesdames et messieurs les ministres, on ne joue pas à la belote !

Et si, pour cette séquence budgétaire, nous sommes au bout d’un exercice qui aura abîmé la démocratie, je veux rappeler qu’il est indécent de vouloir inverser la charge de la preuve. Si le recours à l’article 49, alinéa 3, de notre Constitution, n’est pas nécessairement suivi du dépôt d’une motion de censure, il n’existe pas de motion de censure sans recours au 49.3 : c’est donc bien votre refus de débattre qui conduit au dépôt de la motion que j’ai l’honneur de défendre au nom de tous les députés de gauche et écologistes, regroupés dans les quatre groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES, SOC et GDR-NUPES.

Votre lecture de l’article 49, alinéa 3, de notre texte fondamental, est tout de même singulière : dans toute notre histoire, l’usage a toujours voulu que les discussions aillent à leur terme – ou presque –, et que la plupart des amendements adoptés en séance – les plus emblématiques, du moins – figurent dans le texte final, sur lequel le Gouvernement engage sa responsabilité. Vous avez balayé ces usages, engoncés dans votre arrogance et votre refus d’admettre, une fois pour toutes, que lors du deuxième tour du scrutin présidentiel, des millions d’électeurs n’ont pas choisi le président Macron pour son programme. Je fais partie de ces millions de Français qui ont combattu, combattent et combattront toujours une extrême droite qui porte en elle la division, la haine de l’autre et le repli nationaliste. Nous la combattons d’autant plus que les agressions racistes, les actes ultraviolents et les appels à la haine ressurgissent dans notre pays. Des groupes identitaires n’hésitent plus à s’afficher, des groupuscules dissous ou en sommeil se reforment : pour faire cesser les agissements de cette extrême droite qui attaque les fondements mêmes de la République, il ne faudra pas trembler.

Face à cette situation, les députés communistes et ultramarins du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – et, plus largement, tous les députés de gauche et écologistes – ne failliront pas. Ils n’ont jamais failli. Pourtant, il est nécessaire de s’interroger sur le terreau qui fait prospérer l’extrême droite, car il faut briser la montée en France, comme dans l’Europe entière, des idées nauséabondes qu’elle défend. Bien sûr, c’est l’affaire de tous les Républicains, de toutes celles et tous ceux qui veulent continuer le combat des Lumières, celui du renversement de l’Ancien Régime, de 1848, de la Commune de Paris, du Front Populaire, du Conseil national de la Résistance, tous ces mouvements de l’histoire qui ont embrassé notre devise républicaine.

Pour chacune et chacun, à la place qui est la sienne, la responsabilité est immense, et elle est collective ; la vôtre, madame la Première ministre – et j’en profite pour vous saluer –, l’est plus encore, vous qui dirigez notre pays dans ces moments où il risque de basculer vers des heures sombres. Faire vivre la République et le Parlement, c’est l’inverse de la brutalité dont vous avez fait preuve lors de ce débat budgétaire. L’humilité et la composition de notre assemblée, décidée par nos concitoyens, auraient dû vous éviter de dériver de l’exercice de communication illustré par les dialogues de Bercy vers la rafale de 49.3 : madame la Première ministre, pourquoi avez-vous si peur du débat ? (Mme la Première ministre sourit.)

En première partie du projet de loi de finances (PLF), nous n’avons étudié que cinq articles : en effet, le couperet est opportunément tombé avant le débat sur la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui privera pourtant le budget de l’État de plus de 8 milliards d’euros en deux ans, amoindrissant considérablement le lien entre activité économique et bassin de vie. Expliquer que c’est indispensable pour assurer la relocalisation industrielle est une farce : la valeur ajoutée représente plus de 2 000 milliards d’euros, la CVAE, à peine 0,4 % de cette somme. La constance de votre credo idéologique pourrait susciter un brin d’admiration, si elle ne conduisait pas à placer le pays en grande fragilité. Le partage de la valeur ajoutée, qui est, au fond, l’indicateur le plus fiable pour évaluer les résultats d’une politique économique, est de plus en plus défavorable au travail.

L’écart de rémunération entre salariés et dirigeants au sein des entreprises du CAC40 se creuse. Le ratio d’équité, qui permet de comparer les rémunérations, montre une dérive patente : en 2014, le dirigeant le mieux payé touchait en moyenne 75 fois la rémunération moyenne des salariés ; en 2018, ce ratio est passé à 86, et en 2021, à 109 ! La crise n’est pas la même pour tout le monde.

Nous ne confondons évidemment pas ces dirigeants et leurs entreprises avec le monde des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), qui sont aujourd’hui sur le fil du rasoir, étranglées par des charges d’énergie complètement délirantes. Si l’augmentation des prix de l’énergie pour tous les foyers, toutes les entreprises, toutes les collectivités, cristallise les rancœurs, c’est surtout la marque de l’impéritie du Gouvernement et de cette Europe libérale qui détruit des vies et épuise la planète. Corollaire de vos choix en matière d’énergie : le bouclier tarifaire d’aujourd’hui, ce sont les profits de TotalEnergies de demain.
Vous administrez l’extrême-ponction à tous les ménages, toutes les entreprises, toutes les collectivités locales.

De débat sur les collectivités locales, justement, vous ne vouliez point, conscients que la trajectoire que vous proposez est injuste, inefficace et inéquitable. L’amortisseur électricité est un outil complètement contre-intuitif, puisqu’il peut pousser à consommer plus d’énergie afin d’entrer dans le champ du remboursement.

Vous feriez bien de ne pas non plus ignorer leurs difficultés liées aux autres augmentations, celle du prix des biens et des services, mais aussi de la rémunération de leurs personnels, car vous mettez en péril leur capacité d’autofinancement. Au-delà, ce sont autant de milliards d’euros d’investissements publics qui manqueront au pays pour répondre aux défis climatique, économique et social.

Le défi social, justement : c’est d’abord à celui-ci que nous aurions dû répondre dans les territoires d’outre-mer. Quelle occasion manquée, et quelle faute politique, alors que de tous les bancs de notre hémicycle était montée l’exigence d’un plan ambitieux de rattrapage et de dispositifs tendant à faire respecter un peu plus l’égalité, cette valeur cardinale de notre République ! Vous avez ignoré l’ampleur de ces exigences et des besoins en matière de santé, de sécurité, d’éducation – d’une présence accrue de l’État, tout simplement.

Au contraire, avec le texte que vous avez fait adopter sans vote, de nouveaux mauvais coups sont à l’ordre du jour : ah, le fameux compte personnel de formation, qui pourrait désormais être activé avec une participation du salarié ! Pas mal, le 49.3, pour faire passer les coups tordus ! Comment accepter qu’il n’y ait eu aucun débat en matière de logement, alors que plus de 20 % de nos concitoyens ne peuvent se chauffer correctement ? Pas davantage de débat en matière d’éducation, de culture, tout « ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers », comme disait Malraux. Nous savons bien que tout un chacun doit apporter sa pierre : les députés communistes et des outre-mer, qui forment le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, le font avec leurs convictions et leur soif de débat, persuadés que le débat public et la contradiction dessinent les chemins de l’avenir.

Nous continuerons de débattre, de défendre les choix d’un modèle alternatif, celui qui instaure une fiscalité plus juste, plus progressive, plus directe, celui qui fait des services publics la pierre angulaire de la reconquête républicaine, celui qui s’attaque à la rente et à l’accumulation de fortunes indécentes.

Certes, dans la configuration de l’Assemblée issue des élections législatives, qui n’ont pas accordé de majorité au Président de la République, il n’est pas incongru que le Gouvernement ait recours au 49.3 pour faire adopter les lois de finances : ce qui l’est, c’est de ne pas respecter le travail effectué. Comment avez-vous pu faire passer par pertes et profits la taxation sur les superdividendes, pourtant adoptée à une écrasante majorité ?

Comment avez-vous pu rayer d’un trait de plume la transformation en crédit d’impôts de la déduction fiscale actuellement en vigueur, qui représentait une telle avancée pour tous les résidents en Ehpad ?

Voilà une parfaite illustration de la dichotomie entre votre discours et vos actes, entre votre prétendue volonté de coconstruction et l’arrogance de vos dogmes qui transpire dans les textes définitifs. Vous contribuez, madame la Première ministre, à diviser et tendre encore un peu plus le pays : nos compatriotes souffrent de l’inflation. Nos compatriotes souffrent de votre inaction pour faire reculer les déserts médicaux et assurer un accès aux soins partout. Nos compatriotes, dans une très grande majorité – les actifs en tête –, ne veulent pas de la contre-réforme des retraites que vous vous apprêtez à déposer brutalement et cyniquement. Écoutez-les !

Alors que sur le continent européen la guerre fait rage, que les règles européennes libérales qui nous assaillent sont le carburant des inégalités, que les décisions d’une petite caste font si mal à la planète, vous poursuivez, bardés de certitudes. Vous traverse-t-il l’esprit que, parfois, vous pourriez avoir tort ? Il faut redonner à notre pays et à notre peuple, en lien avec les peuples du monde, la seule chose qui vaille, celle qui faisait dire à Paul Éluard : « Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur, et rien d’autre. »

Madame la Première ministre, c’est parce que nous voulons que vous cessiez de brutaliser non pas seulement le Parlement, mais également nos concitoyens, que nous voterons en faveur de cette motion de censure – j’espère qu’elle est, et qu’elle restera, la dernière de la législature. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)

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